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Voyage Autour de l'âme

 

J'étais dans le RER à Paris, la foule était celle d'un jour de grève, dense, bigarrée, multi-colorée, pressée, compressée, les yeux sont dans le vague, les oreilles munies d'oreillettes ne captent pas les sons extérieurs, - l'assemblage est étrange, fluctuant, précaire, d'individus physiquement proches, mentalement isolés les uns des autres.

 

Debout, serré dans le wagon, je tiens mon livre au-dessus de la tête des gens. Le hasard veut que ce soit le traité De l'âme, de Aristote, que je viens de me procurer dans une édition ancienne chez un bouquiniste.

 

Cela m'a paru un peu incongru vu la situation, mais quoi, que nous dit Aristote ? Je relis les premières pages du traité .

 

Toute connaissance est, à nos yeux, une chose belle et admirable; pourtant, nous préférons une connaissance à une autre, soit en raison de son exactitude, soit parce qu'elle traite d'objets d'une valeur supérieure et plus dignes d'admiration; pour ces deux motifs, il est raisonnable de placer l'étude de l'âme au premier rang.

 

Ca démarre fort ! Cette affaire d'exactitude, concernant l'étude de l'âme est surprenante. Il faudra retrouver le terme grec. Demeure la belle affirmation : il est raisonnable de placer l'étude de l'âme au premier rang [parmi les sciences de la nature : Aristote parle en naturaliste].

 

Vient, un peu plus loin, toute une série de questions, bien ordonnées, qui sont celles auxquelles l'étude de l'âme devra s'employer à répondre. Telles [je n'en cite que quelques-unes] :

 

A quel genre l'âme appartient et ce qu'elle est : je veux dire si elle est une chose individuelle, ou une qualité ou une quantité [...] Si elle est au nombre des êtres en puissance ou si elle n'est pas plutôt une entéléchie [en acte], car la différence n'est pas sans importance.

 

J'entends bien que la différence n'est pas sans importance ! La distinction puissance/acte, comme celle de matière/forme, est essentielle chez Aristote. Disons, pour faire bref, que la notion d'acte est inséparable de celle de puissance : l'acte c'est une activité d'actualisation de quelque chose, qui passe d'un état potentiel à un état actuel. Quand l'état de pleine actualité est atteint, Aristote parle d'entelecheia. La question, donc, n'est pas secondaire : est-ce que l'âme est du côté du substrat, de la matière, ou de l'essence, de la forme ? L'enjeu, c'est, ni plus ni moins, la question du matérialisme.

 

Bien d'autres questions suivent dans ce chapitre préliminaire, consacré à ce que nous appellerions la problématique. Je ne relève que celle-ci : 

 

Les discussions et les investigations actuelles sur l'âme semblent porter seulement sur l'âme humaine... Nous devons nous garder de passer sous silence la question de savoir si la définition de l'âme est une, ou si elle est différente pour chaque espèce d'âme, comme pour le cheval, le chien, l'homme, le dieu...

 

Voilà qui est bien intéressant ! Qu'est-ce que répondraient mes voisins de voyage à la question, s'ils pouvaient l'entendre : est-ce que l'âme existe ? Certains éluderaient, d'autres, par exemple nés dans la religion chrétienne comme on naît Français [ainsi que le dit Montaigne dans les Essais, II, XII : "Nous sommes Chrestiens à mesme titre que nous sommes ou Perigordins ou Alemans"], assureraient que, oui , l'âme humaine existe... mais qui penserait à parler de l'âme du cheval, du chien etc. ? Pour Aristote, l'âme est principe de vie. Il y a plusieurs sortes d'âmes correspondant aux diverses sortes de vivants. Un vivant est un corps animé : pas seulement les plantes, les animaux : l'univers entier est considéré par Aristote comme un vivant...

 

Tout plein de perspectives s'ouvrent... Mais je réalise que je suis arrivé  à destination. Je referme le livre, dont je n'ai lu que les premières pages, dans une ambiance singulière. Le souvenir me reste d'un étrange voyage Autour de l'âme...



27/05/2009
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