Correspondances
J'ai récemment participé à une randonnée, dans des lieux inspirés de la forêt catalane sur le site de Capmany en Espagne, dans le massif de Montserrat, et dans les criques du parc du cap Creus au pied des Pyrénées.
La marche sur le site de Capmany était hors du temps ou plutôt à rebours du temps.
Nous enfonçant dans la forêt de chênes-lièges sur de petites sentes odorantes rendues luisantes par la pluie qui tombait drue, nous rencontrâmes après un certain temps dans une petite clairière une construction énigmatique composée de pierres brutes dressées, de grandes dimensions, sur lesquelles reposaient à plat, intactes, deux grandes pierres, et une autre fracturée, le tout formant une sorte de cavité mystérieuse. Ce dolmen, car il s'agissait d'un dolmen, vieux de trois à quatre mille ans, semblait avoir été jadis recouvert par un tumulus de pierrailles dont on voyait encore les traces. Probablement était-ce à l'origine un tombeau : une des traces du soin avec lequel les peuplades néolithiques ont enseveli leurs morts.
Plus loin nous découvrîmes, enserré dans la forêt, magnifiquement érigé, un puissant mégalithe fiché en terre, de 2,5 mètres environ de hauteur, dressé droit vers le ciel : comme symbolisant le jaillissement de la vie abbysale. La pluie à ce moment cessa de tomber et la lumière, belle et forte en cette fin de journée, vint parer la pierre sacrée qui se nimba de ces derniers rayonnements. Un cri monta alors tout proche de la forêt. Je pensais aux Correspondances de Baudelaire : Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. Et je songeais, méditatif, aux correspondances des énergies vitales et à ce mégalithe dressé seul en ce lieu depuis trois ou quatre mille ans, comme une sorte de grand répondant.
Poursuivant notre marche à travers la forêt nous arrivâmes enfin sur une aire bien dégagée où se dressaient des pierres levées formant plusieurs enceintes circulaires jumelées. Au centre du cercle principal, d'environ 10 mètres de diamètre, était dressé un mégalithe comme un moyeu au centre d'une roue. Un autre cercle, de plus petite dimension, dans lequel étaient ménagées des ouvertures, comme des portes ou des passages, touchait le premier, cependant que deux petits cercles, formés un peu à part, complétaient l'ensemble.
Nous étions en présence de ce que les spécialistes appellent un cromlech, c'est-à-dire un monument mégalithique constitué par un alignement de menhirs formant une enceinte de pierres levées, circulaire comme ici, ou elliptique. La plupart des cromlechs, qui sont beaucoup plus rares que les autres monuments mégalithiques (dolmens, menhirs, cairns), paraîssent dater, en Europe notamment, de l'Âge de bronze [2500 av. J.-C. à 1000 av. J.-C.].
Pénétrant avec respect dans le grand cercle et en faisant le tour, nous étions conscients de mettre là nos pas dans les pas des druides celtes qui officiaient dans ce sanctuaire, probablement un lieu d'initiation. Une boucle se bouclait, au coeur de cette forêt, du présent au passé.
Mais de combien d'initiations voudrions-nous pouvoir bénéficier ! Comment refaire un pont avec la sagesse des anciens qui vivaient en de telles correspondances avec les énergies telluriques - de la Terre - et cosmiques ?
La beauté naît du dialogue, de la rupture du silence
et du regain de ce silence. Cette pierre qui t'appelle
dans son passé est libre.
[René Char]
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