California
La Californie n'est pas San Francisco. Vous quittez les limites de la ville et - exception faite des lieux mythiques comme Berkeley ou Stanford, ou, au sud de SF, la célèbre Silicon Valley [Palo Alto, Cupertino, Sunnyvale, Mountain View, Santa Clara etc.], ou encore la riche et réputée Monterey Bay [Monterey, Carmel, Pebble Beach...] - vous découvrez que la Californie, sans être l'Amérique profonde du Middle West, n'en est pas loin. La richesse n'est pas tant partagée. Le bon goût n'est pas le lot de tous. La nourriture pas des plus raffinées. Le mode de vie autrement plus basic qu'à SF.
La crise marque les esprits. L'Etat, je l'ai dit dans le précédent billet, s'est trouvé l'été dernier en cessation de paiement. Impensable il y a quelques années. La Compagnie qui distribue l'électricité a fait faillite. Les tarifs viennent d'être modifiés. L'eau manque drastiquement. Un peu partout elle est sévèrement rationnée. La grande majorité des gens sont passés aux modèles automobiles compacts. Les très gros modèles, énormes 4x4 et autres monstres, s'ils n'ont pas disparu, se font remarquer : ils dénotent. Impensable aussi il y a quelques années. La voiture la plus vue dans les rues est la Prius [voiture hybride de Toyota]. Dernière heure : L'Etat californien vient de décider - pour alléger le budget dédié à l'éducation - de réduire l'année scolaire de une semaine.
Les maisons ont perdu beaucoup de leur valeur. Le journal local d'hier parle d'un couple, Jennifer et David, la quarantaine. Ils sont, comme l'indique le titre de l'article, "Underwater, and with few options'". Leur maison ne vaut plus que $115,000 pour $230,000 achetée fin 2005. Ils font partie de ces propriétaires piégés - 11,3 millions à travers le pays - qui voient anéantis les efforts de toute une vie. Ils comptaient sur l'investissement de la maison pour payer les études de leurs enfants et pour leur retraite. Ils vont se déclarer en faillite [arrêter de payer leurs traites : ils préfèrent abandonner leur maison à la banque plutôt que payer pendant 10 ans une somme qui au final excèdera de loin la valeur de la maison]. "It's a rude awakening", commente le journaliste : "There's a total change in thinking going on". Une rude prise de conscience à laquelle contraint la crise, qui oblige à voir les choses autrement. Les termes mêmes de l'article méritent d'être relevés : "We're going through a big psychological shift. Will this recession change how we think about our homes ? Are they an investment vehicle or a place to live ?". Où l'on voit que la crise n'est pas derrière nous comme beaucoup ici - pareillement en France - le voudraient croire.
Autres signes de la crise : Les State Parks, très appréciés - ils sont publics, la nature y est conservée en son état, je pense à tous ces Parks regroupant de magnifiques forêts de redwoods ou de sequoias - sont menacés de fermeture, faute de budget pour les entretenir. Quand on sait qu'une grande partie du domaine le long de la Côte est privé [partout on voit a l'entrée de routes ou chemins ce type d'avertissement : "Dead End Road. DO NOT ENTER under penalty of arrest"], les natifs ont du souci à se faire. A moins que là aussi les choses ne soient en train de changer. A preuve un article dans le journal de ce jour qui stigmatise la vente d'un immense domaine privé, situé au sommet de Bixby mountain avec vue imprenable sur l'Océan et la fameuse côte de Big Sur [la vue, y lit-on, est "like 'The Sound of Music'. It is so stunning"...]. La vente du Adler Ranch - c'est le nom de la propriété - fait aujourd'hui, c'est nouveau, l'objet de controverses. "It is a unique and iconic property", qui devrait revenir de droit dans le domaine public. Mais ni le County ni le Pfeiffer Big Sur State Park n'ont le budget pour préempter et ouvrir le domaine en open space.
Exemple d'un incroyable domaine privé : toute la partie de la baie de Monterey appelée Pebble Beach. On y accède par la 17 Mile Dr., une route payante. Tout au long de cette côte exceptionnelle s'étagent, au milieu d'une magnifique nature arborée de redwoods, domaines et immenses villas. Le golf, de renommée mondiale, occupe la partie centrale [quid des milliers de litres d'eau consommés pour l'arrosage ? quid des pesticides pour l'entretien des pelouses ?]. J'ai eu l'immense plaisir de rencontrer chez lui Cyril Yansouni. Les anciens d'HP Grenoble s'en souviennent bien. Il fut après Karl Scharwz, le fondateur d'HP Grenoble en 1971, notre boss, très apprécié, de 1977 à 1981. La maison de Cyril, très grande (600 m2), est décorée avec un goût très raffiné, son intérieur se distinguant j'imagine de celui des villas avoisinantes [dont celle de Clint Eastwood]. La propriété jouit d'une magnifique vue sur l'Océan. Cyrill me dit que la crise touche aussi Pebble Beach. Le lodge du golf est resté quasiment vide cet hiver.
Les affaires ne marchent pas bien. Les commerces se plaignent d'une baisse sensible de la fréquentation. A Carmel même, haut lieu du luxe [galeries d'art, magasins de vêtements de luxe, restaurants...] les commerces enregistrent une forte baisse du chiffre d'affaire. On veut croire cependant - comme partout ailleurs - à une sortie prochaine de crise. Mais les signes de reprise sont plus imaginés, ou espérés, que tangibles.
Les gens de plus commencent à douter. L'Amérique n'a plus le vent en poupe. "Les prochaines années, ça va se passer là-bas", commence-t-on à entendre dire. "Là-bas": c'est-à-dire "en Chine". Du coup, certains font apprendre le mandarin à leurs enfants. Par pragmatisme. La foi n'est plus trop là.
Comment juge-t-on l'action de Obama ? Nous sommes en Californie. L'Etat vote démocrate aux présidentielles [comme la côte Est et le Nord]. Reste qu'on ressent encore une attente. La dernière grande affaire s'est jouée dimanche dernier, avec le feu vert donné de justesse par le Congrès [3 voix d'écart] au projet de réforme de la santé, si controversé [le dernier sondage avant le vote donnait dans le pays une majorité d'opinion contre]. Obama a signé enfin! cette fameuse health care legislation mardi. Dans le plus pur style de com' qui lui est cher, on voit sur la photo Obama en train de signer l'acte, entouré du vice-président Biden et de Vicki Kennedy, la veuve d'Edward Kennedy, cependant qu'un enfant, dont la mère est morte en 2007 faute d'assurance santé, se tient près de lui, comme une sorte de témoin. Difficile de faire plus fort dans le symbole.
Ceux dans le pays qui ne veulent pas de cette législation continuent de manifester contre et vont introduire des recours. Une courte majorité finalement l'approuve. En tout état de cause cette loi marque un moment historique. Dès à présent, quelque soit l'issue du mandat d'Obama, deux choses au moins resteront dans l'histoire : 1) il aura été le premier président african-american 2) il aura réussi, là où ses prédécesseurs démocrates, en remontant jusqu'à Teddy Roosevelt, ont échoué. Certes le projet n'est pas à la hauteur de ce que visait Obama. Il lui a fallu lâcher sur les illegal immigrants [la législation ne s'applique pas à eux], lâcher aussi sur l'avortement [en aucun cas les fonds publics ne pourront financer l'IVG]. Reste que le mouvement est amorcé. "Yes we can !" jubilait Obama reprenant son air de campagne. Et ce n'est sans doute pas un hasard, cette première grande oeuvre concerne le social, domaine dans lequel Obama a démarré son action à Chicago.
Pour terminer cette chronique un petit clin d'oeil. Vous les reconnaissez sur la photo ? Ce sont Steve Jobs et Eric Schmidt, respectivement PDG d'Apple et de Google, prenant un café hier à Palo Alto...
C'est ça aussi la Californie !
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