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C'était avant



Dans une série récente de chroniques,  fraîches et spontanées, de son blog "Indiscipline intellectuelle" intitulées C'était avant, mon ami Thierry Groussin nous propose des réflexions très intéressantes, à partir de son expérience et des choix personnels qu'il a fait pour "se mettre en cohérence", en tant qu'individu, avec des enjeux collectifs qui dépassent sa propre personne. La première chronique, qui tourne autour de l'usage de l'automobile, commence par des souvenirs d'enfance - la "traction avant" de son père ! -, relate son propre plaisir de rouler, se trouver derrière le volant, et puis comment, récemment, il a décidé de "passer à autre chose" : ne plus avoir de voiture ; les motivations de cette décision, ce qui l'a amené à "rompre avec cette addiction tant économique que psychologique avec le véhicule individuel motorisé"... Exemplaire.

Ces chroniques m'inspirent, de mon côté, quelques réflexions personnelles, dans ce billet que j'intitule aussi - comme Thierry : C'était avant. Il ne s'agit pas de cultiver la nostalgie mais de prendre conscience, à travers quelques arrêts sur image, de la distance, qui sert de marqueur, non seulement au temps qui passe, mais aussi au monde qui passe. Le temps passe (plus exactement c'est nous qui passons) : ceci se mesure sur une échelle linéaire. Le monde passe : il s'agit là de sauts, voire de métamorphoses, qui ne se mesurent pas sur la même échelle.

Premier arrêt sur image : la voiture à cheval qu'avec mon cousin nous empruntions, casés sur les sièges arrières, derrière la grand-mère (de mon cousin) qui conduisait d'une main ferme la carriole, pour aller à l'église du village le dimanche, à 5 ou 6 kilomètres de là. C'était en Sologne, dans le pays du Grand Meaulnes. De quoi me faire rêver sur ces espaces que nous franchissions, qui me paraissaient immenses, pour rejoindre un ailleurs, au-delà du monde des étangs, des bois, des prairies que constituait le domaine régenté par la grand-mère, notre monde connu.

Deuxième arrêt sur image : ma première construction d'un poste à galène à partir de composants achetés parmi le bric-à-brac du marché aux puces de Saint-Ouen porte de Clignancourt ; l'émotion incroyable quand le premier bruit est sorti [je pense que c'était de la musique, mais je me souviens de cette chose-là comme étant du bruit, et c'était magique].

Dernier arrêt sur image : des souvenirs de classe ; sur les photos, certains portent  la cravate ; le maître ou la maîtresse sont respectés, craints même  ; on ne peut imaginer qu'on s'adresse à eux autrement qu'en les vouvoyant ; on se lève quand ils arrivent dans la salle ; et si on se permet un peu de familiarité, ce ne sera point trop ; exemple : mon premier jeu de mots, à l'adresse de Monsieur Maurice Rat, notre professeur de latin, qui venait d'écrire une grammaire latine (qui fait toujours référence !) : "la grammaire de Rat  R-A-T [est ratée]"- Passons...

Trois arrêts sur image . Le premier fait mesurer la distance, on dit aujourd'hui le gap, quant à notre relation avec l'espace, le deuxième quant à notre relation avec la technologie, le troisième quant à notre relation au savoir.

L'espace :  nous avions, j'avais le rêve de pays lointains, inconnus, à découvrir ; le père d'un de mes amis était explorateur, de quoi me faire rêver encore plus de terra incognita.  Aujourd'hui, le monde est perçu comme un village ; la planète est  notre "maison commune" [d'où   la sensibilisation aux enjeux de l'écologie : "écologie", du grec oikos, maison]. Aujourd'hui, on voyage loin sans se déranger ; c'est le monde qui vient à nous. Nous ne vivons plus dans le même espace.

La technologie : nous sommes passés du monde dur [le "dur" du matériel, dur comme l'était le poste à galène ; et c'est le sens de hardware, littéralement la "quincaillerie"] au soft  ["doux, mou", d'où vient software] de l'immatériel. De l'accès aux ondes, hasardeux, aléatoire, par la pointe sur la galène, à l'univers  des ondes électromagnétiques, hertziennes, radioélectriques etc. qui nous englobent de partout, ne nécessitent aucun milieu matériel pour leur propagation. Du marché aux puces aux puces électroniques. Là-dessus s'est ajouté internet et l'essor de nouvelles technologies dont la convergence fait émerger un monde d'un modèle complètement nouveau : désormais on peut agir à l'échelle planétaire en tant qu'individus. L'ère de la coopération est [techniquement] ouverte. La Terre est devenue une plateforme multipolaire d'échanges en temps réel. Le monde d'avant est révolu.

Le savoir : il était détenu par les savants et les profs, consigné dans les bibliothèques, distribué dans des lieux spécialisés. Aujourd'hui, il est accessible à tous, par Web, Wikipedia, les moteurs de recherche, de n'importe où ; à se demander pourquoi encore des amphis. Ce nouveau savoir fabrique des têtes différentes ; la plasticité du cerveau s'en accommode ; et cela induit un fonctionnement autre, et partant, une autre structuration de l'esprit ; à la forme mentale, linéaire, sujet/verbe/complément, succède une autre forme, caractérisée par l'hypertexte : on saute d'un lien à un autre, on zappe, et du coup on zappe tout : chacun prend dans le savoir ce qui lui convient, et peut le partager. Un nouvel humain est né.

Nouvel espace, nouveau modèle d'échanges et de collaboration, nouvel accès au savoir, nouvel humain : que de nouveaux possibles devant nous !  Ouvertures sur l'à venir.

Ce qui était avant n'est plus objet de nostalgie.

 


Photo d'école

(Je me reconnais au dernier rang à gauche...)

Ce qui était avant n'est plus objet de nostalgie

 

 

Le blog de Thierry Groussin :

http://indisciplineintellectuelle.blogspirit.com/



21/03/2013
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