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Djihad (au théâtre des Feux de la Rampe)

 

 

 

Théâtre Les Feux de la Rampe à Paris. Salle comble. Une pièce improbable : Djihad. Auteur : Ismaël Saidi, fils d’émigré marocain, né en Belgique, adolescence à Schaerbeek (une des communes de Bruxelles), travaille pendant quinze ans dans la police belge ; a écrit en 2014 cette pièce de théâtre, qui a rencontré un succès phénoménal en Belgique et ouvert plein de débats, au point d’être déclarée d’utilité publique.
 
 
Comment traiter dans un spectacle un sujet tragique pour que ça passe auprès des spectateurs, qu’ils puissent le recevoir en y trouvant à la fois plaisir et matière à réflexion ? La manière classique est d’introduire une distanciation : par le truchement de la beauté de la langue (ainsi des tragédies de Shakespeare, Racine…) ou par le biais de l’humour (ainsi des comédies de Molière…). Sans distanciation le tragique ne passe pas, la gravité du sujet plombe. L'humour, ici, va assurer la prise de distance propice à une bonne réception.
 
Djihad met en scène l’aventure de trois jeunes musulmans de Schaerbeek qui décident de partir au nom de leur religion en Syrie pour combattre aux côtés des autres djihadistes. En huit tableaux, on va suivre leur folle équipée de Bruxelles à Homs en passant par Istanbul, Alep, une plaine dans le désert… et retour à Bruxelles pour le seul survivant.
 
Issus du même quartier, les trois jeunes, Ben, Ismaël et Reda, sont d’entrée de jeu présentés comme des paumés en perte d'identité lancés dans l’aventure du voyage en Syrie pour des raisons propres à chacun, pas bien assumées, qui se révèleront, s’expliciteront à leurs propres yeux, au long des épreuves qu’ils vont traverser dans leur recherche rocambolesque du djihad rêvé. Car ces trois-là - ici est le ressort comique - tout attachants qu'ils sont, se comportent comme de parfaits pieds-nickelés : Ben le religieux, le leader de la bande, ex-fan d’Elvis Presley (ce qui nous vaudra une scène hilarante où Ben, épuisé, montant la garde auprès de ses camarades endormis, va faire une « rechute », se mettant en plein désert à chanter à tue-tête du Elvis Presley, réveillant les deux autres qui vont danser sur le rythme rock) ; Ismaël le pragmatique, prompt à la discussion ; Reda le naïf (qui se révèlera le plus éduqué des trois, diplômé d’études supérieures, mais cassé suite à une rupture amoureuse, sa famille n’acceptant pas qu’il envisage d’épouser son amie non-musulmane).
 
Avec ces trois pieds-nickelés, il n’était pas difficile d’imaginer les situations les plus baroques, en toutes circonstances, dès l’embarquement à l’aéroport. Exemple : attendant leur tour pour passer les contrôles, Ismaël s’assure que Reda n’a rien gardé dans son sac qui soit susceptible d’attirer l’attention de la police ; si, il a pris des lames de rasoir… ; sommé de les retirer du sac, on découvrira qu’il les a mises dans sa poche etc.
 
Bien des situations, tout au long de l’équipée, tout en suscitant le rire, donnent matière à réflexion. Ainsi lorsque les trois apprentis djihadistes, rencontrant dans une église en ruine un jeune arabe qui vient d’enterrer sa femme, sympathisent avec ce " frère ",  compatissent à sa douleur… jusqu’à ce qu’ils découvrent qu’il s’appelle Michel : " - Michel ? c’est pas un prénom musulman ça ! - Qui vous a dit que je suis musulman, je suis chrétien ".   Alors, puisque c’est un mécréant, ils veulent le liquider, mais n'arrivent pas à passer à l’acte :  " - tuer des mécréants tant qu'on ne les voit pas ça va, mais là… et on l’a appelé frère…" 
 
A travers le parler simple et direct de ces paumés en recherche d’eux-mêmes, d’un sens à donner à leur vie, qui croient un moment l’avoir trouvé, ce sens, en adhérant à l’idéologie du djihad, dont ils ne comprennent ni les tenants ni les aboutissants, mais c’est une manière pour eux de sortir de l’impasse de leur non-intégration dans une société qui les rejette et les renvoie à leurs racines incomprises - passe une réelle émotion, sensible dans la salle qui, au baisser de rideau, va se lever pour applaudir chaleureusement les comédiens (des jeunes musulmans de Schaerbeek). 
 
Un seul reviendra du voyage en Syrie, débarrassé de pas mal d’illusions : " - On a été manipulés, mais pas seulement par le système, par les nôtres aussi ". Mais peut-être est-il en voie de se trouver, dans l’intime, au terme de ce drame, face à l'immense défi d’une vie après le retour.
 
L’auteur ne donne pas de leçon, il n’y a pas de morale à l’histoire, mais - et c’est sa force - Djihad offre un intéressant outil de réflexion sur ce sujet combien sensible, difficile à aborder, de la radicalisation.
 
 
 
Ismaël Saidi 4838931_6_a9a5_ismael-saidi-au-theatre-varia-a-bruxelles_52389f9a50f5afaa2f457520036a6303.jpg
Ismaël Saidi (photo Le Monde)
 
 


23/10/2016
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