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L'énigme Robespierre, idéologie et pouvoir

 

 

 
« Cet homme-là ira loin, il croit tout ce qu’il dit » 
(Mirabeau à propos de Robespierre)
 
 
 
Robespierre n’est peut-être pas un personnage des plus recommandables sous tous rapports. Même à son époque Il n’a pas bonne presse auprès de tout le monde. Ses convictions bien ancrées dans la défense de la cause du peuple en font cependant rapidement un acteur incontournable de la Révolution, dont il va jusqu’à incarner l’esprit dans sa personne. Mirabeau dira de lui dans ses Mémoires biographiques, littéraires et politiques : « Cet homme-là ira loin, il croit tout ce qu’il dit ». Oui, il est allé loin… trop loin ? Énigme que cet homme qui à la fois élève la vertu en principe de gouvernement, et érige la Terreur en mode de gouvernement...
 
 
 
Certains de ses contemporains le décrivent de façon peu amène, telle Mme de Staël (qui avait de bonnes raisons de lui en vouloir)  : « Ses traits étaient ignobles ; ses veines étaient d’une couleur verte ».  Elle ajoute : « Sur l’inégalité des fortunes aussi bien que sur celle des rangs, il soutenait les thèses les plus absurdes ». Buzot l’appelle « cet homme à figure de chat ». Selon Merlin de Thionville, Robespierre aurait eu d’abord « la mine inquiète et douce du chat domestique » ; puis on le vit peu à peu prendre « la mine farouche du chat sauvage » ; et pour finir « la mine féroce du chat-tigre ». Dusaulx soutient que « jamais il ne regarda en face un honnête homme ». Et Barras qu’il était d’une « insensibilité absolue »...
 
Même ses détracteurs, cependant, lui reconnaissent une qualité, son désintéressement, qui lui vaudra d’être appelé « l’Incorruptible ». Danton se moque de lui : « On dirait que l’argent lui fait peur » (ce qui n’était pas le cas pour Danton). Robespierre lui-même a cette exclamation, en 1793, à la tribune des Jacobins : « Je regarde l’opulence non seulement comme le prix du crime mais encore comme sa punition. Je veux être pauvre pour n’être point malheureux ».
 
Personnage clivant, Robespierre l’est encore aujourd’hui. Jean-Luc Mélenchon, convaincu que l’oeuvre égalitaire de la Révolution « n’est pas achevée » définit Robespierre comme « un exemple et une source d’inspiration ». D’autres, à l’opposé, le considèrent comme un révolutionnaire insensé, le premier responsable de la Terreur, un monstre à rejeter de la mémoire nationale.
 
Robespierre n’a pas de rue ou de place à son nom à Paris. Danton, lui, a sa rue et même sa statue, au carrefour de l’Odéon, à proximité de l’endroit où il habitait, passage du Commerce St-André. Robespierre, non. Il y a quelques années, en 2011, la question a été posée de lui donner le nom d’une rue ou d’une place, mais la majorité du Conseil de Paris s’est prononcée contre la proposition, présentée par Alexis Corbière, du Parti de gauche, qui visait à honorer « la figure la plus connue de la Révolution, celui qui le premier a parlé de ‘Liberté, Égalité, Fraternité’, celui qui s’est prononcé contre l’esclavagisme, pour le vote des juifs ». La première adjointe de l’époque, Anne Hidalgo, maire depuis, a répondu que « le sujet restait non consensuel », parce que Robespierre « est aussi l’homme de la Terreur ». 
 
Voilà : la Terreur. Et de fait il est difficile de comprendre l’enchaînement fatal des événements. Robespierre a eu un rôle central dans le déclenchement de la Terreur, difficile de le nier, mais comment en est-il arrivé là, jusqu’à envoyer à l’échafaud ceux qu’il considérait comme « traîtres » à la Révolution, fussent-ils ses propres amis ou des proches, comme Camille Desmoulins, ou Danton. Par intransigeance ? Convaincu de détenir, seul, la Vérité révolutionnaire ? Pris dans une logique de Pouvoir ? Au nom de valeurs suprêmes ?
 
Ce qui est certain, ce que nul ne conteste, c’est que Robespierre est un homme intègre (d’où son qualificatif d’ « Incorruptible ») et un homme de conviction. Homme intègre, il tranche avec beaucoup des autres acteurs de la Révolution, même de premier plan, qui n’ont pas craint de magouiller pour leur profit personnel (comme Fabre d’Églantine, poète certes, mais directement compromis dans la juteuse affaire de la liquidation de la Compagnie des Indes, ou comme les sinistres Fouché, Carrier et autres Barras envoyés en province, qui ont profité des pleins pouvoirs qu’on leur avait donné pour faire fortune, s’appropriant des biens nationaux à bon compte), ou jouant contre rémunération un double jeu (comme il sera prouvé de Mirabeau, payé par la Cour, et aussi de Danton). 
 
Homme de conviction, Robespierre ne se départira jamais de la ligne qu’il s’est fixé, très tôt, encore étudiant, grand admirateur de Jean-Jacques Rousseau, qu’il entreverra, à Ermenonville, en 1778, l’année de sa mort (Robespierre a vingt ans). L’essentiel de ce dont il est redevable à Rousseau, Robespierre le résume ainsi : le philosophe lui a fait comprendre « la dignité de notre nature », et il a su appeler son attention sur « les grands principes de l’ordre social ». « Personne, dit-il encore, ne nous a donné une plus juste idée du peuple que Rousseau, parce que personne ne l’a plus aimé ». Le Contrat social est son livre de chevet et va déterminer son engagement politique. La  justice sociale toujours obsèdera Robespierre. Il restera taraudé par l’insoluble question, récurrente, de la misère dans Paris. Il souscrit à cette déclaration d’un député en 1794 — qui lui fait mal mais elle n’est que trop vraie : « La Révolution n’est pas faite. Seuls les sans-culottes la soutiennent, et on n’a rien fait pour eux ».
 
Les obstacles sont immenses. La Convention elle-même, c’est-à-dire la représentation nationale, est sous l’emprise d’un puissant groupe, les Girondins, expression et instrument d’une classe, la classe gagnante de 1789, la bourgeoisie propriétaire. Qu’on y songe : le droit de vote est resté réservé aux citoyens qui ont des biens (ceux qui sont en mesure de payer le marc d’argent), qu’on appelle les « citoyens actifs » — les autres sont les « citoyens passifs » (autrement dit des citoyens non citoyens). Robespierre s’est élevé contre, de toute sa force, en vain. Écoutons quelques accents de sa harangue passionnée :
 
[…] Quel est celui qui, parmi des hommes égaux en droits, ose déclarer ses semblables indignes d’exercer les leurs ? […] Quel est après tout ce rare mérite de payer un marc d’argent ? […] Quelle est la source de l’extrême inégalité des fortunes ? […] Ne sont-ce pas les mauvaises lois, les mauvais gouvernements, enfin tous les vices des sociétés corrompues ? Je ne vous envie point le partage avantageux que vous avez reçu […] Le peuple ne veut que justice ; les riches prétendent à tout, ils veulent tout envahir, et tout dominer. Les abus sont le domaine des riches, ils sont les fléaux du peuple : l’intérêt du peuple est l’intérêt général, celui des riches est l’intérêt particulier […] Tous les hommes, quels qu’ils soient, ont le droit de prétendre à tous les degrés de la représentation...
 
Mais il est interrompu par des cris d’une partie de l’Assemblée et forcé de se taire. Le compte rendu de la séance par le "Journal de Paris" est explicite : « On a vu promptement que Robespierre allait parler pour les pauvres qui, n’ayant rien, ne peuvent rien » ; en conséquence, « on lui a coupé la parole ».
 
Robespierre ne cessera de porter la cause du peuple, chaque fois, et les occasions sont nombreuses, où il la faut défendre. Il affirme haut et fort : "Je suis du peuple, je n'ai jamais été que cela et je ne veux être que cela. Je méprise quiconque a la prétention d'être autre chose". Dans son tout dernier discours encore, le 26 juillet 1794 — il sera décrété « d’accusation » par la Convention le 27 juillet (9 thermidor), et guillotiné le lendemain — il dénonce ceux qui pratiquent une véritable « contre-révolution » qui a pour but de « favoriser les riches créanciers » et de « ruiner et désespérer les pauvres ». Cette ligne d’action est donc toujours présente dans son esprit, elle constitue l’essentiel de son engagement. Mais qu’est-ce qui l’a fait basculer dans la Terreur ? Quel verrou a sauté, et quand ?
 
Ce n’est pas Robespierre qui a créé le sinistre Tribunal révolutionnaire (TR), non plus que le Comité de salut public (CSP). Le TR émane de la Convention, sur la proposition de Danton (loi du 10 mars 1793). L’accusateur public, nommé par la Convention, Fouquier-Tinville, instruira les procès de Charlotte Corday, de la reine Marie-Antoinette, des Girondins, de Hébert et des hébertistes, de Danton et des dantonistes… mais aussi de nombre d’aristocrates, et d’une multitude de pauvres gens, hommes et femmes du peuple (28% de journaliers, 31% de travailleurs urbains parmi les victimes de la Terreur) : au total 2639 condamnations à mort à l’actif du TR sous l’égide de Fouquier-Tinville.
 
Robespierre n’est pas à l'origine non plus du CSP. Cette instance de gouvernement révolutionnaire, composée de 9 membres, sous le contrôle de la Convention, est créée par le décret du 6 avril 1793. Danton domine le CSP dans les débuts, Robespierre n’en fait pas partie. Danton essaie en secret de négocier avec les coalisés extérieurs qui menacent aux frontières, prêt à offrir en contrepartie la libération de la reine. Mais ses tentatives n’aboutissent pas. Danton alors se met en retrait. Remarié, il s’absente longuement, plusieurs semaines. C’est le moment où Robespierre se fait élire au CSP, le 27 juillet 1793 — un an jour pour jour avant sa chute.
 
Robespierre n’a pas pour autant le champ libre. D’abord il n’est qu’un membre du CSP, et il doit composer avec des collègues qui ne sont pas tous du même bord. Rapidement ses propos se durcissent. Il dit qu’au CSP « il y a vu des choses qu’il n’aurait pas osé soupçonner ». Il dénonce des  « traîtres » parmi les représentants du peuple. Bientôt, à la fin de septembre 1793 — et c’est peut-être le premier verrou qui saute — après avoir hésité (aucun représentant du peuple n’a jamais été condamné à mort), il consent à ce que les députés girondins arrêtés soient traduit devant le TR et conduits à la guillotine.
 
L’atmosphère est empoisonnée. Ce ne sont que calculs, haines, noeuds d’intrigues qui menacent la Révolution - soit du fait des « ultra » (le mot est inventé par Danton) à la gauche de la gauche (la Montagne), qui vont si loin dans leurs revendications qu’ils menacent de tout faire exploser ;  soit du fait des modérés (la Plaine), représentants la bourgeoisie d’affaires, qui veut arrêter là la Révolution, ne pas aller plus loin. Robespierre, fidèle à sa conception de la Révolution au bénéfice du peuple, voit le danger des deux côtés.
 
Deuxième verrou qui saute : il annonce, en décembre 1793, qu’à sa requête le CSP présentera, « dans le plus bref délai, un rapport sur les moyens de perfectionner l’organisation du Tribunal révolutionnaire ». De fait, à partir de cette période, les exécutions vont se multiplier. La Terreur, affirme Robespierre en février 1794, « n’est autre chose qu’une justice prompte, sévère, inflexible ». En moins de quinze jours, Robespierre va envoyer au « rasoir national » ses opposants des deux « factions » que sont, à sa gauche d’abord, les hébertistes (24 mars), puis, à sa droite, Danton et les dantonistes (5 avril) — les uns et les autres étant jugés « traîtres » à la cause de la liberté. La Révolution est comme Saturne ; elle dévore tous ses enfants.
 
Troisième verrou qui saute : la terrible loi du 22 prairial (10 juin 1794) qui simplifie à l’extrême les procédures du jugement du TR : suppression des témoins et des plaidoiries ; les preuves morales suffisent ; définition imprécise de la notion de délit etc. (la procédure se réduira dans ces jours de Grande Terreur à la reconnaissance de l’identité des prévenus…). Un député demande-t-il le rétablissement des témoins ? Robespierre s’oppose à cet amendement, et déclare abruptement : « Nous braverons les insinuations perfides par lesquelles on voudrait taxer de sévérité outrée les mesures que prescrit l’intérêt public ». 
 
 
 
Que s’est-il passé dans la tête de Robespierre dans les quatre ultimes décades fatales, entre le 20 prairial (8 juin 1794) et sa chute, son exécution le 10 thermidor (28 juillet 1794) ?
 
20 prairial : Robespierre préside la grande fête de l’Être suprême. Ce devait être, ce fut son jour de gloire. Il s’est attribué le rôle de Pontifex maximus. Vilate, un juré au TR note : « La joie brillait pour la première fois sur son visage ». Mais cette grandiose célébration, voulue par lui, lui fut aussi fatale. 
Pourquoi cette célébration ? On touche ici au coeur des convictions de Robespierre. Robespierre croit dans les valeurs, et d’abord dans la vertu. « Ce mot de vertu faisait rire Danton » écrit-il dans ses notes quand il s’en prend à ce dernier, ajoutant : « Comment un homme, à qui toute idée de morale était étrangère, pouvait-il être le défenseur de la liberté ? » Car pour Robespierre, morale et défense de la liberté vont de pair. La vertu est un principe de gouvernement. Dans son rapport du 5 février 1794 il a ces mots : 
 
Quel est le principe fondamental du gouvernement démocratique ou populaire […] ? C’est la vertu ; je parle de la vertu publique […] Tout ce qui tend à concentrer les passions du coeur humain dans l’abjection du moi personnel, à réveiller l’engouement pour les petites choses et le mépris des grandes, doit être rejeté ou réprimé […] Dans le système de la Révolution française, ce qui est immoral est impolitique […] Nous voulons, en un mot, remplir les voeux de la nature, accomplir les destins de l’humanité, tenir les promesses de la philosophie.
 
Accomplir les destins de l’humanité, tenir les promesses de la philosophie, en quoi ? Là est la grande divergence de Robespierre avec nombre de députés qui, d’esprit voltairien, sont anti-religion. Robespierre, lui, croit, à la suite de Rousseau, en un Être suprême, et à l’immortalité de l’âme, qui contrent l’égoïsme et donnent sens au destin de l’humanité. Ce pour quoi il a voulu instituer la fête de l’Être suprême. Mais, ce faisant, il attise contre lui la haine de ceux qui ne lui pardonnent pas ce retour du religieux. Robespierre se sent investi d’une mission : donner un sens à l’Histoire en restituant à l’homme sa « dignité » (Rousseau) qui est ouverture à une dimension plus grande que lui, spirituelle. En ce sens Robespierre est un croyant, dans des valeurs spirituelles. Il veut une République « où toutes les âmes s’agrandiront ». Mais il a commis une erreur fatale en voulant instituer une religion d’État, qui s’imposerait à tous sans respect des consciences individuelles.
 
Et comment comprendre, pas plus tard que le surlendemain de cette célébration qui se voulait aussi fête de la réconciliation dans le partage des valeurs suprêmes, cette loi liberticide du 22 prairial (10 juin 1794), voulue par lui, qui déclenche la Grande Terreur ?
Autre énigme :  Pourquoi Robespierre se met-il en retrait, dès le lendemain du 22 prairial, après avoir imposé cette loi terroriste ? Comment a-t-il pu laisser entre les mains de ses adversaires ce dangereux instrument de procédure expéditive ? Y a-t-il été forcé ? A-t-il nerveusement craqué ? Billaud-Varenne, un des membres du CSP, fera état plus tard d’une terrible altercation lors de la séance du 11 juin (23 prairial) : séance « si orageuse, que Robespierre pleura de rage ». C’est un fait, en tout cas, que Robespierre cesse de fréquenter le CSP, de ce moment jusqu’au 26 juillet, date de son dernier discours devant la Convention, veille de sa « chute » le 27 juillet (9 thermidor). Mais les digues ont été ouvertes : plus rien n’arrête l’extrême violence de la répression. En son absence (mais pas complètement à son insu : le 20 juillet il contresigne l’envoi au TR de plus de cent victimes…), le « rasoir national » fonctionne comme jamais : du 23 prairial jusqu’au 8 thermidor, sur cette période de quarante-cinq jours (la Grande Terreur), le TR enverra 1285 condamnés à la guillotine… 
 
 
 
Il eut été plus simple (intellectuellement parlant) que Robespierre fût sans foi ni loi — de l'espèce des Carrier à Nantes, avec les noyades collectives dans la Loire, ou des Fouché à Lyon, avec les mitraillades dans la plaine des Brotteaux, pratiquant des massacres inconsidérés, à grande échelle et non sans sadisme. La Terreur serait la basse-oeuvre d’un homme sans scrupule que n’aurait jamais guidé aucune morale.
 
Mais Robespierre n’est rien de cela. C’est à l’opposé un homme de foi, c’est-à-dire de conviction, y compris religieuse, et de loi. Dans son dernier discours-testament devant la Convention, le 26 juillet 1794, il livre le fond de ce qui l’anime :
 
Elle existe, je vous en atteste, cette passion tendre, impérieuse et irrésistible, ce zèle pour les opprimés, cet amour sacré de la patrie […] cette ambition de fonder sur la terre la première république du monde […]  Non, la mort n’est pas un sommeil éternel  [inscription qu’un député voulait qu’on inscrive à l’entrée des cimetières]. Citoyens, effacez des tombeaux cette maxime gravée par des mains sacrilèges qui jette une crêpe funèbre sur la nature, qui décourage l’innocence opprimée, et qui insulte à la mort. Gravez-y plutôt celle-ci : la mort est le commencement de l’immortalité...
 
L’énigme demeure de cet homme de foi et de loi qui institue la Terreur en mode de gouvernement —fut-ce un gouvernement d’exception, provisoire, chargé de fonder la République future rêvée, idéale [25 décembre 1793 : « Le but du gouvernement constitutionnel est de conserver la République ; celui du gouvernement révolutionnaire, de la fonder. »]
 
Michelet, dans son Histoire de la Révolution française, a cette réflexion intéressante, qui peut (peut-être) fournir une piste : Robespierre, écrit-il, « était un homme d’autorité plus que de gouvernement, un homme d’influence plus que d’affaires ». De fait, dès les débuts de sa vie publique, c’est par la parole que Robespierre agit, pas par l’action directe. Toujours, inlassablement, à la tribune de l’Assemblée ou au club des Jacobins, il prend la parole pour prêter sa voix aux "citoyens non citoyens" (parce pauvres), attaquer les riches, dénoncer les « traîtres », faire des propositions, en contrer d’autres etc. — mais il n’agit pas : il fait agir. C’est plutôt comme s’il se réservait au ministère de la parole [ses Oeuvres, regroupant ses discours et ses notes de travail, publiées par la Société des études robespierristes, ne comptent pas moins de 10 volumes...]. Desmoulins le célèbrera comme « cet orateur du peuple » , « un des plus fermes remparts de la société naissante ». Il rencontre à la tribune un grand succès — non qu’il fût particulièrement éloquent, mais ses discours, qu’il lit (il n’improvise jamais, comme Danton), interminables, emphatiques, rhétoriques, frappent les esprits par la conviction qui les anime et la rigueur du raisonnement. L’auditoire de l’Assemblée ou des Jacobins s’enthousiasme : « Ce n’était plus des applaudissements, c’étaient des trépignements convulsifs, c’était un enthousiasme religieux, c’était une sainte fureur ». La force de son discours tient également à l’appui que lui apporte son expérience personnelle de la vertu.
 
Plus tard, à la veille de participer, finalement, au gouvernement, on sent en Robespierre comme une réticence. Malgré la pression de ses amis, il refusera d’entrer au Comité de salut public à sa création, le 6 avril 1793. Il ne se résignera à le rejoindre qu’en juillet 1793. Ultimes réflexions ? « Avant de se mettre en route, écrit-il, il faut connaître le terme où on veut arriver, et les chemins où l’on veut marcher ». 
 
Le terme, les chemins pour y arriver : telles sont les questions décisives. Le terme, Robespierre l’a toujours su : pour lui, c’est la Révolution pleinement achevée, c’est-à-dire qui ouvre la voie à cette République du peuple rêvée, enfin instaurée, sur les ruines de la Royauté. C’est « substituer toutes les vertus et tous les miracles de la république à tous les vices et tous les ridicules de la monarchie ». Mais constamment le but échappe. Les « traîtres » barrent la route, qu’il faut éliminer, pour garder inflexiblement le cap politique. C’est l’existence de la Révolution qui est en jeu. Alors Robespierre passe à l’action. Mais l’action, ce n’est pas de l’influence (Robespierre ne se cantonne plus dans le ministère de la parole), c’est du direct. Robespierre agit, et conformément à ses principes : « Nous sommes intraitables, comme la vérité, inflexibles, uniformes, j’ai presque dit insupportables comme les principes » (7 février 1794).
 
Ce qu’il se passe, c’est que l’idéologie ne fait jamais bon ménage avec l’action — comme l’Histoire d’hier et de nos jours encore ne cesse de le manifester. Par idéologie, ancré dans ses principes, Robespierre déclenche la violence, certain de son bon droit — la vertu qu’il incarne, aidant. Mais il n’y a pas de violence vertueuse. La violence une fois lâchée ne se maîtrise pas. 
 
Je vois dans le retrait de Robespierre au lendemain du vote, à son initiative, de la loi terroriste du 22 prairial qui déclenche la Grande Terreur, comme l’aveu de son échec, de son incapacité à assumer l’action engagée. Les mots, les idées se maîtrisent, qui sont en ligne avec l’être profond, d’où ils acquièrent leur vertu ; l’action, non, surtout violente, qui développe sa propre logique échappant à l'acteur. La seule issue pour Robespierre ne peut plus être dès lors, tel le destin d’un héros tragique, que sacrificielle. Cette issue, depuis longtemps il l’a regardée en face. Ainsi s’exclamait-il en avril 1792 :
 
Le Ciel , qui me donna une âme passionnée pour la liberté, m’appelle peut-être à tracer de mon sang la route qui doit conduire mon pays au bonheur. J’accepte avec transport cette douce et glorieuse destinée...
 
 
 
portrait_robespierre1.jpg
Portrait de Maximilien de Robespierre 
Anonyme
Musée Carnavalet - Histoire de Paris

"Ce tableau peut se lire comme une description des traits psychologiques du personnage. Un contemporain décrit Robespierre de cette manière : « Le teint pâle, les yeux verts, habit de nankin rayé vert, gilet blanc rayé bleu, cravate blanche, toujours poudré ». On reconnaît le portait de l'Incorruptible sanglé dans son costume de petit-maître. La méticulosité de sa toilette ne se démentira jamais, même lorsque la Convention se peuple de sans-culottes et de bonnets phrygiens."

 

 



16/10/2017
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