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La laïcité en question

 

 

La laïcité serait-elle une valeur devenue difficilement lisible, qui ne mobiliserait plus, dont on n’attendrait plus qu’elle fonde le vivre-ensemble  ? 
 
Bien des controverses ces dernières années, notamment autour de la question du port du voile, autorisé ou non, interdit ou non selon les circonstances, montrent le flou, les hésitations des politiques qui semblent démunis pour apporter des réponses claires, non susceptibles d’être contestées devant les tribunaux, dans des situations concrètes, comme dans l’affaire Baby-Loup.
 
Notre société a-t-elle un problème avec la laïcité ? 
 
Ce n’est pas ce que pense l’Observatoire de la laïcité [dont la mission est d' "assister le Gouvernement dans son action visant au respect du principe de laïcité en France"...], lequel, par la voix de son président, Jean-Louis Bianco, estimait  il y a peu encore que « La France n'a pas de problème avec sa laïcité ». Circulez, il n’y a rien à voir.
 
Pourtant, dans le contexte de tensions lié à la montée d’identités communautaires, certaines propositions, dans le débat de société, paraissent faire peu de cas du principe de laïcité : ainsi la recommandation (rapidement mise à la trappe) d’un rapport commandé par le gouvernement en 2013 sur une "refonte de la politique d’intégration"  prônant la fin d’une intégration jugée répressive, car demandant aux nouveaux venus de s’adapter aux règles laïques du pays d’accueil, au profit d’une nouvelle notion, l’ "inclusion", réclamant aux accueillants d’accepter les moeurs des nouveaux venus. Étant donné la propension de certains communautarismes à imposer dans les pays où ils s’implantent une religion d’État, cette idée d’inclusion paraît pour le moins naïve, en tout cas réellement pas en ligne avec le principe de laïcité.
 
La laïcité, quoi qu’en dise l’Observatoire, est donc bien en question.
 
Mais que signifie exactement le principe de laïcité ? Le concept, s'il est complexe dans son acceptation, est assez simple dans son acception. Le mot  "laos", utilisé dans la traduction grecque des écrits bibliques, désignait le peuple, par opposition aux prêtres. Plus tard, à l’époque médiévale, "laicus", "laïque" désignera toute personne ou institution ni ecclésiastique ni religieuse, par opposition à "clerc". Quand il s’est agi, pour la société, en France, de se libérer du pouvoir des clercs, c’est-à-dire du pouvoir de l'Église catholique sur les institutions, le combat a été mené au nom de la "laïcité", élevée au rang de principe.
 
Ce principe a été énoncé essentiellement en deux temps : d’une part, sous la Révolution française, notamment dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, reprise par le préambule de la Constitution de 1958, dont l’article Ier rappelle que : « La France est une République laïque » ; d’autre part, par la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des "Églises" et de l’État, qui introduit les principes de non-ingérence et de séparation avec les institutions religieuses ; les institutions religieuses ne peuvent avoir de pouvoir sur l’État ; l'État garantit la liberté de conscience et l’exercice de la liberté d’expression dans les limites de l’ordre public.

La séparation des Églises et de l’État prononcée en 1905 ne s’est pas faite sans heurts. "Les Églises", dans les années 1900 en France, c’est essentiellement l’Église catholique, qui dirigeait de nombreux établissements d’éducation : l’éducation, de fait, fut, et reste, l’un des premiers terrains d’exercice du principe de laïcité. L’Église catholique mettra du temps à accepter positivement le principe de laïcité : les lois de laïcité, déclarées "injustes" en 1925 [Déclaration des évêques] ne seront reconnues "conformes à la doctrine de l’Église" [Déclaration de l’assemblée des cardinaux et archevêques de France] qu'en 1945, quarante ans après leur promulgation.
 
Le principe finit donc par être reconnu et accepté par tous après guerre. Mais la notion de laïcité semble aujourd’hui avoir perdu de sa lisibilité face aux situations nouvelles liées à des formes ostentatoires et revendicatrices d’appartenance à une religion. 
 
Les politiques paraissent timorés, comme s’ils avaient perdu leurs repères face à ces situations nouvelles. Une reculade des plus significatives est celle de Jospin en 1989 se défaussant sur le Conseil de l’État à propos de la question du port du voile à l’école : que pouvait faire d’autre le Conseil d’Etat que donner un avis conformément aux règles passées, alors qu’il était précisément demandé aux politiques de mettre à jour la règle face à une situation nouvelle ? L’affaire Baby-Loup, d’autres encore, témoignent des mêmes incertitudes quant à la portée concrète, dans des cas précis, du principe de laïcité. 
 
Il serait sans doute avisé de revenir, réfléchir à ce qui fait une valeur. Nietzsche écrit : « Aucun peuple ne pourrait vivre s'il ne commençait par se fixer des valeurs, et s'il tient à durer, il ne peut adopter les évaluations des voisins […] Une table des valeurs est inscrite au-dessus de chaque peuple, c'est la table de ses victoires sur lui-même. » [Ainsi parlait Zarathoustra, I, Des mille et une fins]
 
La laïcité en France est une des victoires du peuple sur lui-même acquise au cours de son histoire (la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi de 1905), qui forge son identité. Le principe est simple, il fonde une exigence d’unité, il est à la base d’un vivre-ensemble séparant ce qui relève de la sphère publique et ce qui relève de la sphère privée, assurant à chaque citoyen la liberté dans la sphère qui lui est propre : la liberté de conscience et l’exercice de la liberté d’expression dans les limites de l’ordre public.
 
Pourquoi donc la lecture de ce principe paraît-elle aujourd’hui brouillée ? au point qu’on voit attribuer au terme "laïcité" des qualificatifs superfétatoires comme "nouvelle laïcité" , "laïcité ouverte", "positive", "modérée", "tolérante" etc. Une valeur reconnue comme valeur (comme également : la liberté, l’égalité, la fraternité) vaut par elle-même : l'ajout d'un qualificatif n'a pas de sens.
 
Le problème est que le monde change et qu’il faut oser le monde, et non point s’arcbouter sur le passé dépassé.
 
Concernant la laïcité, notre référent semble être resté la situation de l’État s’affirmant face à l’influence historiquement prédominante, dans notre pays, de l’Église catholique. La situation aujourd’hui a changé, les défis sont autres : il s’agit d’affirmer l’exigence de neutralité face à l'influence ouvertement revendicatrice de "dar al-islam" ("pays d'islam"). La laïcité est un rapport de forces, il serait naïf de ne pas le reconnaître et penser que le "respect de la différence" l’emporte sur l'exigence de neutralité.
 
Ce qu'affirme le principe de laïcité, c’est l’unité des citoyens en tant que citoyens au sein de l'État dans la sphère publique - quelles que soient les croyances des dits citoyens, lesquelles relèvent de, et doivent rester dans, la sphère privée. La laïcité affirme et construit un espace dégagé de l’emprise des dogmes, offrant à chacun la capacité d’exercer et de vivre la liberté de conscience.
 
Ne transformons pas, par nos craintes ou certaines naïvetés, ce qui a été une victoire du peuple sur lui-même, en une défaite. La laïcité à la française est une belle valeur (la France est le seul pays à l'appliquer ainsi), ne la méconnaissons pas, elle fonde une exigence d'unité à la base de notre vivre-ensemble.
 
 
 

Annexe

Spinoza philosophe de la laïcité

 

 

Il ny a pas de grandes conquêtes ou avancées sociétales historiques qui naient été préparées, précédées par des réflexions, souvent des combats de penseurs novateurs dans leur vie, leur oeuvre, pour semer, faire émerger des idées nouvelles qui grandiront dans les esprits avant de sincarner, souvent difficilement, non sans polémiques, avec des avancées, des reculs, dans les faits. 
 
Parmi les précurseurs de l'idée de laïcité, un nom ressort : celui du philosophe Spinoza.
 
Lidée de laïcité, Spinoza l’a d’abord portée dans sa vie en revendiquant la liberté de conscience. Spinoza, né en 1632 dans une communauté juive marrane d’Amsterdam (les marranes  désignent les Juifs originaires d’Espagne et du Portugal "officiellement" convertis au catholicisme mais judaïsants en secret, dont beaucoup avaient émigré aux Pays-Bas pour rétablir le culte de Moïse dans sa pureté), fut très jeune repéré par les responsables communautaires, du fait de ses dons, comme on dirait aujourd'hui "meilleur espoir".
 
Cependant très tôt Spinoza décide de s’émanciper et acquérir son autonomie, au grand dam de ses maîtres. Il rejoint l’école de Van Den Enden, un personnage brillant, étranger à la communauté juive, dissident religieux et politique, et apprend auprès de lui le latin (la langue des intellectuels de son temps) et également la philosophie, la politique, l’histoire et les sciences. La rupture avec la communauté est imminente. Spinoza accepte difficilement de diriger sa pensée vers une voie tracée par des textes sacrés auxquels il adhère de moins en moins. La tension est telle que les responsables communautaires le somment de rentrer dans le rang. Spinoza refuse. Condamné par le  "Herem" (assemblée des autorités communautaires), il ne se rend pas à la convocation et préfère l’exclusion de la communauté.
 
Exclu de la communauté, Spinoza perd ses contacts (il est interdit aux Juifs de le rencontrer), ses revenus, ses biens. Mais il gagne la liberté de penser et la paix intérieure. Il va désormais vivre en solitaire ; le métier quil apprend de polisseur de verres d’optique lui assure son indépendance. Dans le Traité de la réforme de l’entendement il écrit : «Quand l’expérience m’eut appris que tous les évènements ordinaires de la vie sont vains et futiles, voyant que tout ce qui était pour moi cause ou objet de crainte ne contenait rien de bon ni de mauvais en soi mais dans la seule mesure où l’âme en était émue, je me décidai en fin de compte à rechercher s’il n’existait pas un bien véritable et qui pût communiquer quelque chose enfin dont la découverte et l’acquisition me procureraient pour l’éternité la jouissance d’une joie certaine et incessante. » 
 
Spinoza a gagné la liberté et la joie, la liberté de penser, la liberté d’être raisonnable par lui-même sans le recours à aucune autorité. « L’exercice de mon pouvoir naturel de comprendre […] a fait de moi un homme heureux. J’en jouis, en effet, et m’applique à travers la vie, non dans la tristesse et les lamentations mais dans la tranquillité joyeuse et la gaieté, ainsi qu’il convient à qui réalise en comprenant quelque progrès intérieur. »
 
 
Dans ce XVIIième siècle qui ne connaît que des États théocratiques, Spinoza va revendiquer pour tous cette liberté en introduisant lidée de laïcité, qui implique la séparation des religions et de lÉtat, la liberté pour les citoyens de penser indépendamment des dogmes. 
 
Spinoza nest pas athée. Il met en avant dans sa philosophie une idée de Dieu conçu comme un être immanent qui ne crée pas la Nature hors de lui, ne la transcende pas, mais se confond avec elle : "Deus sive Natura",  "Dieu c’est-à-dire la Nature", affirme L’Éthique. Le Dieu de Spinoza peut être conçu par la raison humaine, il se situe hors de l’imagination que le philosophe présente comme le fondement de la vision que les religions (chrétienne, juive...) imposent aux autorités politiques des pays européens. Nous pouvons concevoir Dieu par l’entendement, non par l’imagination. Dans une lettre en réponse à son correspondant Hugo Boxel, Spinoza écrit : «Vous m’avez demandé si j’ai de Dieu une idée aussi claire que du triangle. Je réponds que oui. Mais demandez en revanche si j’ai de Dieu une image aussi claire que du triangle, je répondrai que non : nous pouvons en effet concevoir Dieu par l’entendement, non par l’imagination». 
 
Telle est la source de la sagesse laïque de Spinoza : ne dépendre que de son entendement, de sa raison, de son esprit ;  exercer la liberté de penser par soi-même indépendamment des dogmes.
 
 
 
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En complément du billet à signaler ce document très intéressant : la "Lettre ouverte au monde musulman" (publiée le 13 octobre 2014) écrite par le philosophe musulman Abdennour Bidar 


15/03/2015
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