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La leçon d'Andromaque (7 mars 2008)

Vu récemment sur la scène du Sudden Theâtre dans le 18ième un Andromaque version moderne (les comédiens et comédiennes en uniformes d'une pseudo Wermacht) époustouflant d'émotion. Mes impressions, mêlées à la relecture de quelques notes sur le Racine de Barthes.

 

J'aime ces petites salles de quartier - moins de cent places - où, assis sur des banquettes tout juste rembourrées, on se trouve à quelques mètres seulement de la scène,  nue, sans décors, en totale proximité avec les acteurs.

 

Ici, pas droit à l'erreur. Ca passe ou ça craque. On ne peut pas faire illusion. Ce soir-là, c'était criant de vérité. On écoute le texte de Racine en oubliant que c'est du Racine. On est complètement pris par l'émotion.

 

Les sentiments qui s'expriment sont de toujours et donc d'aujourd'hui aussi.

 

J'ai ressenti Oreste comme la part de nous-mêmes, de notre société, un peu fat, qui bombe le torse, a des allures guerrières, mais est faible, s'éprouve comme une victime, le jouet du destin - des autres qui sont plus forts - une fatalité qui le dépasse [Je me livre en aveugle au destin qui m'entraîne (I,1)].

 

Hermione est ambigüe. Sur scène, elle apparaît d'abord assez masculine, sanglée dans son uniforme, dure, froide, peu ouverte à la compassion : voir comme elle se débarrasse d'Andromaque venue lui demander d'intercéder auprès de Pyrrhus en faveur de son fils [Je conçois vos douleurs, mais un devoir austère, /Quand mon père a parlé, m'ordonne de me taire. /C'est lui qui de Pyrrhus fait agir le courroux. (III, 4)]. On la trouvera plus féminine en amoureuse jalouse ou lorsqu'elle joue la séduction pour arriver à ses fins (faire périr Pyrrhus, par vengeance, de la main d'Oreste).

 

Aux sentiments personnels d'Hermione se mêlent en elle ceux de tout un peuple. Derrière Hermione il y a "les Grecs". Hermione, fille du Roi vengeur, est le gage d'une société, dont la figure centrale est le Père et qui dispose d'une idéologie, la vendetta (le sac de Troie en représailles du rapt d'Hélène [Nos vaisseaux tout chargés des dépouilles de Troie...(II, 1)]). En rompant avec Hermione, Pyrrhus rejette et le Père et cette idéologie. Il rejette cet ordre ancien installé dans la répétition stérile.

 

Andromaque, elle, est exclusivement définie par sa fidélité à Hector. Elle vit dans l'enfermement de la mémoire, autre forme de stérilité. Le tombeau d'Hector est son seul refuge, elle veut l'habiter, s'y enfermer avec son fils, vivre dans la mort une sorte de ménage à trois [Ainsi tous trois, Seigneur, par vos soins réunis...(I, 4)]. Son destin est tragique. Son suicide est un sacrifice, seule forme possible pour permettre à son fils de vivre par lui-même et non comme un pur reflet du mort.

 

Pyrrhus se heurte du côté d'Hermione au Père, du côté d'Andromaque au Rival (Hector). Tout est fermé devant lui. Mais il a la volonté d'en sortir et pas par n'importe quels moyens. Décidé à rompre avec Hermione, il va lui-même la chercher, et s'explique devant elle sans chercher à se justifier [Vous ne m'attendiez pas, Madame (...) /Je ne viens point, armé d'un indigne artifice, /D'un voile d'équité couvrir mon injustice... (IV, 5)]. Il assume la violence de la situation. Il réfute les deux ordres anciens de fidélité pour instaurer un nouvel ordre d'action [Animé d'un regard, je puis tout entreprendre (1, 4)] qui rompra avec la répétition de l'ancienne loi vendettale et le retour immuable des vengeances.

 

Pyrrhus ne serait-il pas en fin de compte le personnage central de la pièce ? Les comédiens qui jouaient l'autre soir le donnaient à voir. Pyrrhus choisit l'exercice d'une liberté. Il agit avec détermination sans cynisme et sans provocation.

 

Une vraie leçon pour aujourd'hui.



07/03/2008
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