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Mirabeau impur génie

“Mirabeau, écrit Sainte-Beuve, est la première grande figure qui ouvre l’ère des révolutions” ... Un personnage pourtant controversé, pour le moins hors du commun, qui a mené une vie frénétique, certes pas exemplaire en son privé, mais qui fut de fait un énergique partisan de la Révolution en ses commencements − bien que non républicain

 

 

MIRABEAU

 

 

 

Un personnage hors du commun

Honoré Gabriel Riqueti, comte de Mirabeau, plus connu sous de nom de Mirabeau, est né en 1749 dans le château de Bignon-Mirabeau dans le Loiret. Souffrant de malformations physiques (un pied tordu, deux grandes dents et une énorme tête) et défiguré à l'âge de trois ans par la petite vérole, il compense sa “laideur grandiose et fulgurante” (Victor Hugo) par une remarquable intelligence et vivacité d'esprit….

 

Mirabeau mène très tôt une vie dissolue (il parlera plus tard, dans un discours à l’Assemblée, de sa  “jeunesse très orageuse”) et a des relations très difficiles avec son père ; pour le soustraire à ses dettes énormes, ce dernier le fait enfermer plusieurs fois ; on ne compte plus ses ‘résidences secondaires’ (les forteresses dans lesquelles il est embastillé) : île de Ré, château d’If (près d’un an, en 1774, peu après son mariage avec Émilie de Covet-Marignane…), château de Joux en Franche-Comté en 1775 (il lit beaucoup ; compose des mémoires, par exemple sur les Salines de Franche-Comté ! vu qu'il est à proximité ; finit par s'enfuir en convolant avec Sophie de Monnier, jeune femme mariée), donjon de Vincennes "dans un cachot de dix pieds de large" pour quarante-deux mois, de 1777 à 1780 (il y mène une activité frénétique ; écrit ses célèbres Lettres à Sophie ; un virulent libelle Des Lettres de cachet et des prisons d'État ; traduit Tacite, Tibulle, Bocace ; étudie le Coran ; y rencontre Sade)...

 

Sorti du cachot de Vincennes “nu comme un ver” en 1780 (il a trente ans), Mirabeau contracte un prêt usuraire et mène une vie d’opulence, avec grand train ; il commence aussi des années de voyage : Angleterre, Allemagne ; il s’informe de politique et d’économie ; il écrit sur toutes ces matières ; jusqu’en 1787, où il rentre en France. 

 

L’homme politique

La nation est grosse de grands événements, l’inquiétude généralisée ; Mirabeau saisit l’urgence de l’action politique directe. Il a bientôt quarante ans. C’est un géant obèse, au visage marqué de petite vérole, avec une voix de trompette finale. Il a déjà laissé transparaître, dans ses écrits, l’ardeur avec laquelle il prend la défense du peuple opprimé qui “n’a plus de forces pour souffrir.” Il fait partie en 1788, avec entre autres Brissot et Condorcet, des fondateurs de la Société des amis des Noirs, créée pour l'abolition de l'esclavage.

 

Au moment des élections pour les États Généraux, en 1789, écarté par la noblesse à cause de ses frasques et de ses écrits, c’est du peuple, vers lequel il s’est tourné avec sa fougue habituelle, le subjuguant par ses harangues, le séduisant par sa carrure, qu’il obtient le mandat dont il rêve pour mener son action politique.

 

Très vite, il se fait un nom au sein de l’Assemblée, par sa célèbre répartie, lors de la séance royale du 23 juin, au marquis de Dreux-Brézé, maître des cérémonies, qui intimait aux députés du Tiers-État l’ordre de quitter la salle de l'hôtel des Menus-Plaisirs de Versailles, où ils étaient réunis : "Allez dire à ceux qui vous envoient que nous sommes ici par la volonté du peuple, et qu'on ne nous en arrachera que par la puissance des baïonnettes."✽  Le surnom d’ ‘Hercule de la liberté’ lui est aussitôt donné par l'abbé Sieyès.

 

 

Mirabeau répondant à Dreux-Brézé

 

✽ La formulation exacte de l’apostrophe de Mirabeau à Dreux-Brézé est la suivante :

"Oui, Monsieur, nous avons entendu les intentions qu'on a suggérées au Roi ; et vous qui ne sauriez être que son organe auprès des États-Généraux, vous qui n'avez ici ni place, ni voix, ni droit de parler, vous n'êtes pas fait pour nous rappeler son discours. Cependant, pour éviter toute équivoque et tout délai, je vous déclare que si l'on vous a chargé de nous faire sortir d'ici, vous devez demander des ordres pour employer la force ; car nous ne quitterons nos places que par la puissance des baïonnettes."

 

 

Haï de la noblesse comme démagogue, du clergé comme impie et scandaleux, il reste suspect au Tiers comme entaché d’aristocratie — et c’est par sa force de travail légendaire, son autorité et son talent oratoire qu’il s’impose à l’Assemblée ; infatigable destructeur de la vieille charpente féodale encore debout ; défenseur aussi de la monarchie constitutionnelle, seule possibilité selon lui, pour engager à ce stade les réformes utiles au peuple et faire aboutir la Révolution. Dans un discours à l’occasion de la Déclaration des Droits, Mirabeau s'exprime ainsi :

 

“Nous ne sommes point des sauvages arrivant des bords de l’Orénoque pour former une société. Nous sommes une nation vieille et sans doute trop vieille pour notre époque. Nous avons déjà un Gouvernement, un Roi, des préjugés. Il faut, autant qu’il est possible, assortir toutes ces choses à la Révolution et sauver la soudaineté du passage.”

 

Tout un programme. Mais à partir de là, on le sait, les pistes vont se brouiller. Son action est toujours aussi forte, sa détermination sans faille, mais il convainc moins ; ses discours portent moins ; on le dit aussi fatigué, malade. Il meurt brusquement, usé par le travail et les excès, le 2 avril 1791, à l’âge de quarante-deux ans.

 

Le peuple l’honore comme son héros, reconnaissant en lui l' "orateur du peuple". La rue où il meurt est rebaptisée “rue Mirabeau”. Le 4 avril, l'Assemblée nationale vote la transformation de l'église Sainte-Geneviève en Panthéon. Le 5 avril, le corps de Mirabeau y est transporté en grande pompe : Mirabeau est le premier à entrer au Panthéon des Grands Hommes.

 

Premier entré, premier sorti

Las! Mirabeau ne reste au Panthéon que jusqu'au 21 septembre 1794 ! Premier entré, premier sorti : en effet, la découverte de l’ "armoire de fer" des Tuileries, en décembre 1792, a révélé qu’il avait pris clandestinement contact avec le roi Louis XVI, qu'il informait et conseillait en échange d'argent pour payer ses dettes... 

 

Ce personnage, décidément, ne laisse pas indifférent. Qui était-il, au-delà de ses excès et de son affranchissement de la morale ? Certainement un génie − opportuniste ? calculateur ? Comment aurait-il réagi après la fuite du roi à Varennes le 20-21 juin 1791 ? Et après la journée insurrectionnelle du 10 août 1792, qui consomme la chute de la monarchie constitutionnelle ? − Nul ne peut le savoir.

 

Mirabeau ne fut pas républicain ; peut-être n’eut-il pas le temps de le devenir − mais il a eu l'ambition du pouvoir, et a toujours été en besoin d’argent ; sa vénalité toujours liée à la trajectoire de sa tactique politique, dont elle était un ingrédient : aussi j’opine à suivre Sainte-Beuve lorsqu’il écrit :  “Non, Mirabeau ne s’est pas vendu, il s’est laissé payer : là est la nuance.”

 

Cependant, à lire ses discours de la période du début, et ceux des derniers temps, on sent bien que le Mirabeau des premiers mois, ardent, audacieux, terrible, a fait place sur la fin à un Mirabeau prudent, assagi, peut-être travaillé à l'idée de concilier d'autres intérêts. N’empêche. Que fût-il advenu de l’Assemblée et de la Révolution si Mirabeau, le jour de la séance royale, n’avait lancé à Dreux-Brézé sa célèbre apostrophe ? C’est Mirabeau qui garantit l’Assemblée contre un coup de force et proclama la souveraineté du peuple.

 

Ce peuple, dont il fut l'orateur privilégié, se contentera de le juger à l'oeuvre dont les résultats lui apparaissent éclatants : le pouvoir absolu contrecarré, les privilèges abattus, les droits de l’homme proclamés, le peuple souverain... L'histoire ne peut ignorer cependant l'ambiguïté de cette première grande figure qui ouvre l’ère des révolutions...

 

 

 

"Imite le moins possible les hommes

dans leur énigmatique maladie

de faire des noeuds"

(René Char)

 

 



04/05/2024
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