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Ruptures et transition

 

 
Quand Augustin appréhende la fin de son monde, la fin du monde romain au sein duquel il vit, il est sous le choc de la nouvelle du sac de Rome par les barbares : un événement inconcevable, l’image même de la fin comme une faucheuse surgissant du dehors pour détruire. Puis, il tente une interprétation, une lecture, il tente de donner du sens : le monde a vieilli, il est vieux, il y a des effondrements qui sont ceux de la vieillesse. Le vieux monde passe, mais c’est pour laisser la place à la jeunesse, au renouveau (dans l’esprit d’Augustin, qui prêche pour sa paroisse, le renouveau sera incarné par la Cité de Dieu, à venir).
 
En évoquant ainsi la vieillesse du monde, Augustin cède quelque peu à ce qu’on appelle l’anthropomorphisme : il conçoit le monde à notre image. Le monde vieillit, comme nous, nous vieillissons. De la même manière que les dieux, dans l’Antiquité, étaient conçus à l’image de l’homme : naissant, se développant, aimant, se bagarrant, se jetant l’anathème etc… 
 
Cette manière d’appréhender le monde à l’image de l’homme, c’est-à-dire de ramener les choses à notre dimension, de comprendre à partir de nous-mêmes, de notre expérience, de nos mythes et nos croyances, aide à résoudre quelques questions, mais montre ses limites. 
 
Aujourd’hui on comprend que l’univers n’est pas à notre mesure. C’est une source de difficultés. Nous avons du mal à appréhender les phénomènes complexes à l’échelle de la planète (comme le réchauffement climatique, le déclin de la biodiversité, la déforestation, l'épuisement inéluctable des réserves de pétrole puis de gaz…) et à appréhender le temps long sur lequel ces phénomènes se déroulent. Notre cerveau est mal adapté à faire face à cela. La prise de conscience du franchissement inexorable de limites à terme mortifères est comme embuée : on peine à réaliser (par exemple les conséquences d’un réchauffement au-delà des 2°C etc.), car on n’arrive pas à se représenter les choses sans les ramener à notre échelle humaine. En somme, on n’a pas beaucoup avancé depuis le temps d’Augustin.
 
On n’est pas mieux lotis concernant les mythes. Les mythes qu’on se raconte ne sont plus ceux de l’Antiquité, ils ont été remplacés par d’autres récits - qui ne nous aident pas mieux à vivre, car ils masquent le réel : ainsi du mythe du progrès ou du mythe de la croissance indéfinie sur lequel repose notre modèle économique (pas de créations d’emplois au-dessous de 1% de croissance etc.). 
 
L’enjeu, c’est être lucide.
 
Comment ? Il y a, bien sûr, à faire un effort de « com-préhension » au sens propre : tenter d’appréhender les choses dans leur globalité et leurs inter-relations (à quoi s’emploie la pensée complexe), ne pas les analyser séparément.
 
Mais être lucide, c’est aussi ne pas se raconter d’histoires : autrement dit opérer certaines ruptures, rompre avec certaines pratiques qui, comme les idées reçues, sont rarement remises en cause parce qu’elles « vont de soi », on ne les discute pas et pourtant elles sont discutables. Un exemple ? J’ai vu l’autre jour à la TV sur F2 un reportage sur un agriculteur qui fait pousser ses légumes… sans eau, à partir de semences anciennes. Voilà une rupture significative.
 
C’est pourquoi je crois qu’il faut porter son attention sur les mouvements (l’idée de mouvement, c’est de faire bouger les choses) qui, tel le «mouvement de la transition », s’emploient à fédérer des initiatives locales (les espaces où un citoyen peut exercer sa puissance d’agir : la sphère privée, sa manière de consommer, son quartier…) en vue de « mettre en route sans plus attendre la transition sociale, énergétique et écologique » en réponse à la double pression du changement climatique et du pic pétrolier.
 
La transition, c’est l’histoire d’un grand débranchement : couper les fils progressivement, retrouver un peu d’autonomie et une puissance d’agir.
 
L’époque d’Augustin, qui a été celle d’une fin de monde, la fin de l’Empire romain, a été celle aussi - et pendant les quelques siècles qui ont suivi,  jusqu’à l’émergence d’une nouvelle civilisation aux débuts du Moyen-Âge - du développement prodigieux de la vie érémitique. Ces ermites coupaient les ponts avec le monde faisant le choix d’une vie spirituelle dans la solitude. Je me prends à penser que ces ermites, à leur manière, avaient en quelque sorte « débranché ».
 
(Je note que le sociologue Jean Sainsaulieu a développé dans sa thèse, en 1973, sur Les ermites français une idée semblable. Il relève qu’un lien étroit apparaît entre les résurgences de l'érémitisme et les périodes de fin : ainsi on assiste à un renouvellement de l'érémitisme au 16ième siècle, correspondant à la dissolution de la Ligue. Il en sera de même après les guerres napoléoniennes...)  
 
Peut-être est-ce comme une loi de la transition de devoir, en ces périodes, sciemment débrancher, opérer des ruptures, larguer les amarres - se préparer à lever les voiles pour capter l’esprit nouveau. 
 
 
 IMG_8151.jpg
  Décoration florale Square Jean XXIII à Paris
"... des éventails ouverts sur le ciel pour capter
l'énergie  du vent..."
  
Ici le guide des initiatives de transition :
Un des mouvements de la transition en France :
 


13/10/2015
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