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Willy Ronis, une poétique de l'engagement

 

 

 

L'Hôtel de la Monnaie à Paris abrite ces semaines-ci, jusqu'au 22 août, une très belle exposition de photographies de Willy Ronis, connues ou inédites, sous le  titre évocateur : "Willy Ronis, une poétique de l'engagement".

Que Willy Ronis - disparu en septembre dernier à l'âge de 99 ans, alors qu'il préparait lui-même cette exposition qui devait être celle de son centenaire  - ait été un photographe "engagé", lui-même se définissait ainsi. 

Beaucoup de ses photographies sont consacrées au monde ouvrier et au Paris des quartiers populaires des années 30 à 60. Willy Ronis ne cache pas son empathie pour le monde du travail. De ses photos émane une sorte d'émotion vive, parce que c'est la vie, une vie comprise de l'intérieur, qui est saisie à travers ses "instantanés" - si tant est que la vie puisse être saisie, arrêtée.

C'est le miracle des photos de Willy Ronis de nous rendre contemporain, le temps d'une émotion, de ces instants uniques, qui échappent dès lors au temps. 

Comment un "instantané" peut-il nous faire toucher quelque chose du "non-temps", je ne sais. Mais je sais mon émotion devant cette image d'une machine noire pleine d'engrenages (une machine à tisser) devant laquelle se tient, magnifique, assise bien droite sur son tabouret, irradiante de lumière dans sa blouse blanche, une jeune ouvrière "qui tient les fils" de la machine. Magnifique instantanéité qui dit, ou veut dire, qu'en dépit de tous les esclavages, l'homme reste, doit rester maître des machines.

Je sais mon émotion quand je regarde, fasciné, cette image d'un meeting syndical...
... chacun des visages des ouvriers, leur attitude, ils font comme front devant le délégué qu'on voit de trois-quart arrière. Un instantané saisi "sur le fil du hasard".

Je laisse la parole à Willy Ronis :

"Il est rare qu'une bonne photo vous soit offerte sur un plateau d'argent. Il faut la mériter. En voici un exemple.
Le premier trimestre 1950 fut une période de grèves. Je sillonne Paris pour un hebdomadaire, selon un itinéraire raisonné, et je m'arrête devant l'entreprise Les Charpentiers de Paris, rue Saint-Amand. Les ouvriers attendent que leur délégué les informe de l'état des négociations.
Depuis le trottoir je peux voir six hommes au maximum. Je me retourne. Un vélo est appuyé contre un mur. Son propriétaire m'aide à grimper sur le cadre. Du haut de cet observatoire le viseur de mon Rollei est rempli par une trentaine de têtes, toutes reconnaissables. Au moment opportun, je déclenche, avec le délégué à droite, dans une bonne attitude.
Les cas seront nombreux où l'intérêt du sujet découle essentiellement d'une prise de vue plongeante. Parce que c'est ainsi que les plans se détachent le mieux de bas en haut de l'image. Tout se lit du premier coup d'oeil."

Nul doute que Willy Ronis a "mérité" cette photo, comme il en a mérité bien d'autres dont il nous fait partager l'émotion. Né en 1910 à Paris, fils d'un émigré juif d'Odessa et d'une pianiste lituanienne, il avait commencé sa carrière en 1932 en reprenant  le studio de retouche photo de son père. Dès 1934, avant même d'embrasser la profession de reporter, il descend dans la rue pour photographier les manifestations ouvrières. Ce thème lui restera cher. Il aura le talent de capter ces moments qu'il saisit dans leur vérité par empathie, comme une sorte de témoignage militant.

Dans sa dernière interview Willy Ronis se confie : "J'ai rangé mon matériel le jour où j'ai constaté que je ne pouvais plus gambader dans Paris, grimper sur une caisse pour avoir le meilleur angle de vue ou traverser une rue en courant [...] Toute ma vie, j'ai préféré la photo de rue, la photo "réelle", la capture du moment unique, celui où surgit une péniche sous un pont ou une femme avec un landau en bas d'un escalier... La vie d'un photographe est remplie de moments de ce genre, de moments de grâce". 




L' "engagement" de Willy Ronis est à la source des émotions que nous procurent ses photos d'usines, de travail, de loisirs ouvriers, de rues populaires. Mais le titre de l'exposition nous parle aussi de "poétique" : Qu'est-ce à dire ?

Le substantif "poétique", du grec poiêtikê, évoque quelque chose de la création [poiêsis : "création"]. "La photographie, disait Willy Ronis, c'est le regard. On l'a ou on ne l'a pas". En quoi le regard participe-t-il de la création ?

Regardons encore une photographie, celle-ci pour le moins insolite :
 

 

 

 

 

???

 

Nous voyons trois manchots qui semblent aller au-devant d'un cavalier blanc qu'on aperçoit tout au fond, au bout de l'allée qui sort du parc...

 

... Le regard, perplexe, se porte alors sur la légende écrite sur un petit panneau à proximité de la photographie : "Le repos du cirque Pinder".

 

La scène alors prend sens. Ecoutons Willy Ronis commenter lui-même cette photographie :

 

"Air France Revue me commande un reportage sur quelques grandes familles, dont la famille Pinder. Février 1956, le cirque prend ses quartiers d'hiver dans un château de Touraine.

J'effectue ma mission dans un climat morose car je n'ai rien rencontré d'intéressant.

Je parcours en vain le parc, en quête d'une idée susceptible de sauver l'aventure, quand j'avise un trio de manchots errant dans ces lieux aussi tristement que moi-même. Me vient un projet diabolique. Je ramasse dans l'herbe une petite branche et pousse sournoisement mes palmipèdes vers le portail, comme s'ils avaient décidé d'aller faire du footing hors de la propriété.

Au moment de lâcher ma baguette pour fixer cet épisode salvateur, survient un miracle. Au loin, un cavalier sur un cheval blanc. L'image prendra alors un tout autre sens. Ce seront les trois émissaires des châtelains accueillant dignement le noble étranger de passage".

 

Voilà une magnifique illustration de "poétique", de "création" qui confirme l'adage :  "Créer, c'est sortir du cadre" !

 

Une grande reconnaissance à Willy Ronis pour sa belle invitation à l'empathie et à inlassablement nous exercer à un regard large, qui sorte du cadre, pour comprendre les scènes du monde.


 

« Homo sum : humani nihil a me alienum puto » : « Je suis un homme, et rien de ce qui est humain, ne m'est étranger »

(Terence, L'Héautontimorouménos)

 

 




26/06/2010
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