Athènes d'hier et d'aujourd'hui
J'envoie ce billet d'Athènes. Alternance des temps. Ciel de grand bleu magnifiant la beauté des oeuvres monumentales du passé classique - et ciel de pluies froides et tristes inondant la ville moderne noyée dans la résignation et le doute.
Ciel de lumière parant l'Acropole d'une palette de couleurs mordorées avec des nuances roses. Nous empruntons tôt le matin le chemin du péripatos que suivaient les processions des Panathénées, au cours desquelles le peuple se rendait en cortège à l'Acropole pour offrir à Athéna le péplos, une tunique tissée par de jeunes Athéniennes : mais aujourd'hui le cortège est constitué d'une longue théorie pleine de remous rieurs d'enfants des écoles piaillants, excités, joyeux qui précèdent la foule pressée des groupes de touristes soucieux de ne pas perdre le contact avec leurs guides, qui portent haut leurs pancartes éponymes comme jadis étaient dressées les bannières.
Parvenus au pied des remparts, s'ouvre devant nous le majestueux vestibule des Propylées encadré de deux nefs latérales que séparent six colonnes ioniques : une fois franchi le dernier portique, nous voici sur le vaste plateau du téménos qui donne accès au Parthénon, aujourd'hui en partie caché par les échafaudages et les grues utilisés pour les grands travaux de restauration. Mais rien ne saurait masquer la beauté idéelle de ce joyau de l'architecture dorique.
Suprême coup de génie de Phidias, son concepteur, le Parthénon ne se présente pas de face, mais de trois quart par rapport à l'axe des Propylées, sous son meilleur profil. Phidias s'attacha en outre, par un subtil jeu de lignes, à en corriger les illusions d'optique. L'amincissement des colonnes vers le haut (1,90 mètre à la base pour 1,45 mètre au niveau des chapiteaux) et leur galbe dévié vers l'intérieur, le léger renforcement des colonnes d'angle et l'imperceptible convexité des éléments horizontaux contribuent également à l'harmonie intemporelle de l'édifice.
Mais la pluie froide est venue. La ville noie son vague-à-l'âme dans le gris du ciel. L'urbanisme est triste et désordonné, aucune règle n'ayant jamais réussi à s'imposer. Plusieurs joyaux de l'art byzantin, de magnifiques petites églises des XIe-XIIIe siècles, se trouvent enserrées entre d'affreux immeubles modernes, la contemporaine laideur n'ayant cure de l'antique beauté héritée.
En plein centre d'Athènes, à deux pas de la grande place Syntagma, près du Parlement, haut-lieu de la vie politique et sociale, des chantiers désertés, des maisons ou des imeubles abandonnés sont comme des témoins passifs de la crise qui secoue le pays. On sent partout les bases fragiles ; les infrastructures déliquescentes ; un certain laisser-aller. Rien ne se lit sur le visage des gens, au demeurant affables. Je n'ai pas vu les queues devant les guichets de banque ou les distributeurs décrites par certains journaux. Mais la crainte de quitter l'euro et les incertitudes qui s'ensuivraient grèvent la confiance en l'avenir.
En 131 après J.-C. a été érigé une sorte d'arc de triomphe dédié à Hadrien, juste à la jointure entre Athènes et le nouveau quartier romain. Sur cette porte d'Hadrien, des inscriptions gravées en frise proclament, côté Athènes : "Cette ville est Athènes, l'antique cité de Thésée" ; tandis que du côté opposé on peut lire : "Cette ville est la cité d'Hadrien, et non celle de Thésée". Europe ou non Europe : l'histoire recommencerait-elle ?
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