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Avatar, vous avez dit avatar ?


Avatar continue de susciter des débats. Je propose ici la contribution de Chantal mon épouse, qui a écrit en 1996 dans la revue Futuribles un article consacré au phénomène du virtuel : "Réel-virtuel : la confusion du sens".


"La plupart des critiques du dernier film de Cameron, s'ils en ont relevé l'exploit technologique, se sont montrés en revanche très réticents sur l'intérêt de l'histoire racontée, clivant ainsi le fond et la forme du film. Or il me semble que cette grille de lecture est réductrice et simpliste; pas du tout adaptée à ce qui se joue dans le film.
D'ailleurs - au-delà des critiques - le film a déclenché un évènement en soi, tant par l'importance de son succès que par les réactions et les débats d'idées parfois passionnés qu'il a provoqués.

De mon point de vue, le génie de Cameron, c'est d'avoir mis du vin nouveau dans des outres nouvelles. Sa force est de conjuguer et de faire converger le fond et la forme de l'oeuvre pour délivrer un message d'une très haute actualité, et c'est pour cela qu'il nous émeut autant. Le sentiment de dépaysement total est généré tant par la force de la narration que par les moyens d'expression. La puissance des images 3D et l'immersion exercent une impression visuelle sidérante. La planète Pandora, avec ses habitants, sa faune et sa flore fantastiques nous transportent dans un univers merveilleux mais tout aussi stupéfiant. Et notre contact avec ces créatures se fait à travers l'immersion en leur sein d'un être humain qui prend  la forme d'un avatar, fabriqué par les Terriens, créé pour ressembler aux Na'vis et s'adapter à un univers virtuel, où l'on ne respire pas l'air terrestre, au sens propre et figuré.

Ce film est un foisonnement d'images, de sons, de symboles et de sens. Il peut prêter à de multiples interprétations et aucun discours linéaire ne parvient à rendre compte totalement de sa richesse, ni à l'épuiser.

Personnellement, je me suis particulièrement attachée au héros, Jake, un ancien GI, d'autant plus impatient d'entrer dans sa peau d'avatar pour se lancer dans cette aventure, qu'il est hémiplégique, donc terriblement limité dans son corps physique. Les images que nous livre le film, lorsqu'il découvre et expérimente son nouveau schéma corporel, sont sublimes : avec maladresse au début, il se meut avec une volupté inouïe dans ce nouveau corps libre et libéré des contraintes du réel. De très belles scènes aussi, pleines d'émotions, quand il nous fait découvrir en même temps que lui la planète Pandora et que nous partageons son étonnement, son émerveillement en nous immergeant dans ce monde luxuriant et fantastique qui n'est pas régi par les mêmes lois que l'univers terrien.

Le film est le théâtre de la mutation de l'identité du héros. Sa mission, en prenant la peau d'un avatar, est celle de se faire passer pour un Na'vi, de se faire adopter par eux pour les infiltrer et, au final, permettre aux Terriens de s'approprier la matière première convoitée pour leur industrie technologique. Ainsi, au fur et à mesure du déroulement du film, on va assister au changement d'identité de Jake. Progressivement le héros va être initié aux moeurs des Na'vis, à tout ce qui fait leur être profond. Puis il va épouser leur cause jusqu'à devenir l'un d'entre eux.

Cette transformation de l'identité du héros est elle-même le théâtre où se joue l'affrontement entre deux mondes : celui des Terriens et celui des Na'vis. D'un côté, un monde de toute puissance, basé sur le désir de possession, de convoitise (le terme est employé dans le film), d'intimidation par la force. De l'autre, un monde fait d'harmonie, de respect de la nature, peuplé d'êtres vivants reliés entre eux et à l'environnement. Un affrontement entre ces deux mondes provoqué par l'offensive et le besoin de dominer pour posséder. Une confrontation entre le monde l'avoir et celui de l'être.

Des moyens hyper puissants sont déployés pour anéantir la résistance des Na'vis, des moyens si démesurément puissants qu'ils en deviennent caricaturaux, d'autant plus qu'ils s'avèrent, en fin de compte, impuissants à vaincre l'adversaire. Ce n'est pas qu'ils ne sont pas assez puissants, c'est qu'ils vont se révéler inadaptés face à l'intelligence et à l'énergie vitale des Na'vis. C'est le combat de David contre Goliath. Le facteur décisif du succès de ce combat n'est pas la force; il est d'un autre ordre : celui de l'élan vital qu'aucune machine de guerre, aussi sophistiquée soit-elle, n'est capable de juguler.

A travers le passage d'un monde à un autre régi par de nouvelles valeurs, le héros accomplit la métamorphose de son identité. Il a contribué à la transformation du monde en se transformant lui-même. Métamorphose individuelle en même temps que globale, à dimension planétaire.

Certes, on pourrait être tenté de dire que cette histoire ressemble à tant d'autres et de la réduire à une succession de clichés. Et pourtant, tout en rejoignant des symboles et des mythes universels, elle nous parle de manière actuelle par rapport aux préoccupations et au monde qui sont les nôtres aujourd'hui.

Il s'agit, bien sûr, d'un conte, d'une fable ou d'une épopée. Une histoire qui tire justement sa force d'être imaginaire, c'est à dire de s'adresser  en grande part à l'inconscient, en dépassant les limites réductrices de la raison. Une histoire se déroulant sous la forme d'un foisonnement désordonné qui alimente notre imagination en même temps qu'elle nous parle car elle nous révèle notre imaginaire collectif.

Différents niveaux de sens s'interpénètrent, qui permettent de nombreuses projections, interprétations, associations d'idées, fantasmes...

- En ce qui me concerne, tout d'abord, le désordre foisonnant du film fait écho à ce qui ce passe dans le monde réel dans lequel je vis, même si l'aspect merveilleux s'y montre plus discret! Je me retrouve et je me sens embarquée dans un univers plein de contradictions, d'injonctions paradoxales, et confrontée ainsi à une véritable crise identitaire. Je me sens être le terrain d'un affrontement entre deux mondes, aussi bien dans mon environnement, dans celui des relations aux autres que dans mon univers intérieur. Mes propres systèmes sécuritaires de défense ne suffisent plus à endiguer le flot de turbulences qui m'agitent et s'agitent autour de moi. Je me sens bousculée, dérangée dans mes repères identitaires et mon éducation, ma culture ne m'ont pas formatée pour comprendre tout ce qui se passe. Néanmoins, je suis entraînée dans le courant violent de cette aventure.

- Pandora entre en résonnance avec cette terre avec laquelle ses habitants seraient réconciliés. J'y reconnais l'aspiration à une terre respectée, à des relations harmonieuses avec l'environnement et entre les êtres vivants. Il s'agit d'une utopie, mais aussi d'un défi pour notre planète menacée par une exploitation humaine de plus en plus outrancière et mortifère. Je me sens plombée par le vieux monde - en moi et à l'extérieur de moi - qui résiste d'une manière de plus en plus violente et insolente, qui déploie des forces de plus en plus démentielles, à la mesure d'une avidité exacerbée et d'autant plus qu'il se sent menacé par la force d'un nouveau monde qu'il pressent et qu'il ne parvient pas à réduire.

- Par ailleurs l'univers virtuel du film - autant par les moyens technologiques d'expression qu'il déploie que par le type de personnages qu'il met en jeu - entre en résonnance avec la culture du virtuel qui prend de plus en plus de place dans la vie réelle. Le virtuel modifie profondément nos rapports au temps et à l'espace et les relations humaines. Aujourd'hui, des milliers d'humains, jeunes, moins jeunes et de plus en plus jeunes vivent sur Internet par avatars interposés. Le virtuel est-il en voie de détrôner le monde réel ou du moins ne fait-il pas d'ores et déjà  inexorablement partie de notre réel?

Telles étaient les questions que je me posais et que je posais, il y a 14 ans, dans un article que j'avais écrit sur le virtuel. J'y évoquais, à travers la révolution introduite par le développement des NT, l'enjeu sous-jacent, central, à savoir celui de la mutation de l'identité.

Je franchis maintenant les frontières de l'espace et du temps dans un autre sens pour faire une association avec la religion hindoue dans laquelle le mot avatar désigne, à l'origine, chacune des transformations du dieu Visnu. Là, les dieux épousent des formes et des identités différentes et, récemment, lors d'un voyage au Cambodge, en fréquentant les merveilleux temples d'Angkor, combien de fois mes repères cartésiens n'ont-ils pas été mis à mal par ces représentations "changeantes"? Par leur mythologie et leur culture, les Orientaux sont coutumiers de ces "logiques", ce qui ne laisse pas de nous déconcerter nous Occidentaux, qui sommes peu familiers avec ces registres et qui nous raccrochons tant à l'idée de l'Unique et à celle, figée, de l'identité.

Nous sommes confrontés à la nécessité d'un changement identitaire tant global qu'individuel et l'urgence de cette mutation nous presse de toutes parts. Dans cet espace transitionnel personnifié par l'avatar, entre un vieux monde qui résiste de toutes ses forces et un nouveau monde idéalisé, rêvé et à venir, n'est-ce pas la métamorphose de l'identité qui est en jeu et enjeu ?"








23/02/2010
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