avc, trois petites lettres et puis s'en vont...
avc, trois petites lettres et puis s’en vont, et ne s’en reviennent pas, pas spontanément ni facilement, les fonctions cognitives ou comportementales atteintes.
Trois petits avc du lobe frontal, et me voilà, sans conscience de rien ; je me retrouve, m’a-t-on dit, dans un état de grande confusion, — mais je n’en garde aucun souvenir.
La mémoire est touchée, la mémoire immédiate, mais aussi, plus troublant donc, le souvenir de l’état dans lequel j’ai été au regard des autres : on m’en parle, mais ça n’imprime pas, rien. À vrai dire, je n’ai le souvenir de rien, comme si ces heures-là, après l’avc, n’avaient pas été vécues. Un épais brouillard masque tout.
S’en est suivie une longue et pénible période, vécue avec un sentiment diffus d’aboulie, de perte d’initiatives, de désintérêt des activités sociales, de perte de l’abstraction, de difficultés à évaluer la réalité — comme un défaut de conscience.
Reste aujourd’hui des difficultés de concentration (les premiers temps, j’ai été incapable de lire une seule page d’un livre), des défauts d’équilibre, une difficulté à penser et mener un raisonnement logique (je me trouve incapable de faire des Sudoku même de faible niveau), des troubles de la mémoire.
Cependant, à force, ces derniers temps, j’ai lu en parallèle 4 petits livres aisés à lire que m’avait donné ma fille — j’ai relu aussi de substantiels passages du Rivage des Syrtes, qui n’est pas l’ouvrage le plus facile de Julien Gracq, et des ouvrages courts, des opuscules, comme Le Joueur d’échecs, ou Nietzsche, de Stefan Zweig.
J’ai relu aussi avec plaisir — malgré la difficulté de fixer son attention sur ces écrits passablement ésotériques — quelques-uns des poèmes de René Char, dans Commune présence. J’ai été sensible à la puissance des mots, à leur mystérieuse harmonie, j’ai aimé ces mots qui me vont droit au coeur :
Ton naufrage n’a rien laissé
Qu’un gouvernail pour notre coeur,
Un rocher creux pour notre peur…
Je me suis également re-exercé au dessin au sein d’un atelier d’art-thérapie. Mon premier dessin, il y a un mois, me fait penser à un dessin de gamin. C’est une copie à main levée, maladroite, de la chambre de Van Gogh à Arles. Les traits sont approximatifs et tremblants. Je m’étais appliqué pourtant, j’ai pris du plaisir — mais je n’ai pu faire mieux.
Mon dernier dessin, également à main levée, une copie de La jeune fille à la perle, de Vermeer, bien que peu ressemblant (le visage, le regard ce n’est pas cela), montre des progrès dans le coup de crayon, le trait est plus affirmé. Entre ces deux dessins il y a un mois, et cela me porte toujours plus à espérer dans les progrès.
Ce n'est pas facile de se refaire après un accident, de retrouver ses repères, la continuité de la vie. La vie d'ailleurs ne sera pas la même, elle sera nécessairement autre, ce qui fait d'elle un nouveau projet. C'est comme un aller-retour, mais le retour est différent.
Il faut deux rivages à la vérité : l'un pour notre aller, l'autre pour son retour. Des chemins qui boivent leurs brouillards.
J’espère bien reprendre un jour le blog. Mais ce n’est pas encore l’heure. J’ai encore bien des soins. Leur présence est comme celle d’une bougie. C’est comme attendre l’aurore à côté d’une bougie. Comme dit encore René Char :
La vérité attend l’aurore à côté d’une bougie
PS Je poste ce billet à quelques jours de quitter l’établissement psychiatrique-gérontologique où je réside depuis le 12 juin.
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