Blanche ou l'oubli. Photographies de Pierre Gaudu.
Le titre d'un roman me revient. Blanche ou l'oubli, d'Aragon. Pas vraiment un roman. Plutôt le roman d'un roman, ou comment les personnages se composent, ce qui se passe entre l'auteur et eux, ce qui passe de l'auteur à eux et de eux à l'auteur, dans ce monde de l'imaginaire qui est "du merveilleux domaine de l'oubli" - que le roman rend inoubliable. "Le roman n'est pas ce qui fut, mais ce qui pourrait être, ce qui aurait pu être".
Pierre Gaudu, artiste peintre, dessinateur, crée aussi de magnifiques photographies, en couleur ou en noir et blanc. Certaines de ces photographies présentent des personnages. En les regardant, je pense au portrait qu'Aragon fait de Blanche, la femme rêvée, mais pas vraiment, pas seulement rêvée, qui hante le poète, la rend inoubliable pour lui, pour nous.
Blanche est derrière cette vitre embuée. Blanche qui nous regarde. Mais que sont-ce ces gouttes comme des larmes qui masquent en partie le visage, lequel ainsi se noie doucement, pas un cri, il se laisse couler. Dans l'oubli du temps ? Qui étiez-vous, femme, dont le regard me poursuit ? Oubli... inoubliable...
" Une larme"
photographie de Pierre Gaudu 2012
Blanche, c'est toi aussi que j'aperçois, ou entr'aperçois, dans le majestueux décor des arbres des Contes de la forêt. Oui, là, dans ce magnifique parc de Vizille, assise au bout du banc comme si elle voulait laisser place à une rencontre, cette jeune femme qui regarde le photographe, donc nous aujourd'hui, pendant que les autres personnages vivent leur vie, l'enfant joue, les amoureux s'aiment, la vie quoi... Le photographe doit entretenir une relation particulière au temps pour saisir un instant comme celui-là, cette sorte d'arrêt.
"Contes de la forêt"
photographie de Pierre Gaudu 2011
"J'ai oublié... quelque chose en moi s'est arrêté... le temps. Voilà, voilà, l'oubli ! C'est le temps qui s'arrête. Blanche ! [...] L'instant est à jamais devenu une pose, une pause. Le silence épouvantable du cri. Le nom du cri. Blanche ! Personne ne peut m'entendre au fond du temps troué".
Voilà ce que le photographe prend dans ses rets à l'aide de son dispositif. Car il y a un dispositif. Pierre me dit qu'il se rend sur le lieu où il va photographier comme "à un rendez-vous", un rendez-vous amoureux j'entends. Il s'installe, il observe, le cadre de la scène est fixé, le coeur bat la chamade, l'attente commence... Et viendra le bon moment, le kairos disaient les Grecs, ce moment opportun, unique, le juste instant qui est celui, fugitif, de la rencontre.
L'instant fugitif de la rencontre, que je retrouve dans les photographies de nature, de la vie de la nature dont Pierre sait magnifiquement "fixer les vertiges" [Rimbaud] : un frémissement, un basculement, un souffle, une pause... tout qui "fait signe".
La photographie alors n'est pas seulement réponse, elle fait sortir du cadre, elle est aussi question. Peut-être a-t-elle pour but, comme les romans selon Aragon, de "ramener l'homme à la situation de l'enfance" :
"L'enfant ne se contente pas de la réponse qu'on lui fait, elle engendre toujours pour lui une autre question. L'adulte, c'est-à-dire l'enfant intégré dans un système qu'il ne remet plus en cause, est une somme de réponses dont il se contente [...]
Il m'arrive de penser que les romans ont pour but de ramener l'homme à la situation de l'enfance, briser ce cadre qui le limite, que les romans tendent à le mettre dans la situation d'insatisfaction de l'enfant".
Les photographies de Pierre ouvrent cet espace de la question, de l'in-satisfaction, de l'in-quiétude. C'est en cela qu'elles me touchent.
Le site de Pierre Gaudu : http://pierre-gaudu.over-blog.com
Il n'est parole ni parfum que de blessure. Je suis le blé où souffle son vent, Blanche. Qu'est-ce que c'est que ce petit moment blême où je m'égare ? Blanche, ainsi s'appelle ce pays sans limite d'être meurtri. Blanche, seule, vers qui toujours vivre en vain me ramène.
[Aragon, Blanche ou l'oubli]
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