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Carnets du Japon (I)

 

 

 

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 Noël : Alexandre et Éléonore nous offrent un voyage au Japon

en individuels organisé par Alexandre

 

 
De retour d’un voyage magnifique au Japon, en individuels, offert par nos enfants Alexandre et Éléonore, et méticuleusement organisé pour nous par Alexandre étape par étape, je livre ici mes premières impressions de découverte du pays et du peuple japonais. Si l’étonnement est le début de la philosophie, comme le dit Aristote, alors nous avons accompli à notre manière, de la mégalopole de Tōkyō à Hakone, de l’ancienne capitale Kyōto à Tanabe, et en pérégrins sur les chemins millénaires du Kumano Kodō jusqu'à Kōya-san, une merveilleuse promenade de la Philosophie.
 
 
Ce qui frappe d’abord les visiteurs étrangers, surtout ceux qui comme nous voyageant seuls, rencontrent pas mal de problèmes pour se repérer, s’orienter —  la plupart des indications : noms de rue, informations dans les gares, enseignes, menus des restaurants etc. sont écrits exclusivement en langue japonaise, indéchiffrable pour nous, et les Japonais parlent très peu anglais, voire pas du tout dans les campagnes — c’est l’extrême gentillesse et la serviabilité des gens à notre égard. Au moindre souci nous sommes immédiatement pris en charge par quelqu’un, qui n’hésitera pas à se dérouter pour nous mettre sur le bon chemin, nous accompagnant avec force sourires, nous quittant sur une élégante courbette comme ils font entre eux dans leurs échanges. Mieux que cela ils sont observateurs et prévenants. Nous sentent-ils dans l'embarras (par exemple au restaurant pour nous débrouiller avec un menu écrit en japonais ou dans un onsen pour savoir comment s'y prendre correctement), ils nous montrent spontanément comment procéder. C’est comme si dans leur relation ils étaient tout à nous et étions uniques pour eux. 
 
 
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Un  carrefour à Tōkyō dans le quartier de Ginza
 
La civilité, le sens du service, le respect sont l’expression la plus marquante de leur hospitalité (omotenashi ) et de leurs relations entre eux. Même au sein d’une foule dense, dans les halls des gares, pour monter dans les trains, sur les trottoirs, pour traverser les rues… nulle presse, pas de cohue, la discipline absolue est respectée, tout le monde observe la règle.
 
 
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Travailleurs de bureau à Ōsaka
 
 
Cela donne une certaine impression d’uniformité, comme si les gens s’éprouvaient plus comme parties élémentaires d’un groupe social que comme individus. De fait, on ne peut qu’être frappé, par exemple, par l’uniformité des tenues des travailleurs de bureau : tous les hommes portent le même costume noir ou bleu marine, chemise blanche, seules les rayures de la cravate varient ; les femmes le même tailleur jupe ou pantalon noir, chemisier blanc, même hauteur de talon des chaussures noires... Dans une société aussi formatée, il ne doit pas être aisé de s’affirmer différent en tant qu’individu. 
 
L’ensemble des Japonais forme en revanche indéniablement un groupe social caractérisé à part : type physique, langue, us et coutumes, art de vie en font un peuple différent, conscient de sa singularité. Cette singularité est peut-être le fruit de la spécificité insulaire (shimaguni : « un pays insulaire ») : les Japonais en tout cas aiment à laisser entendre que leur langue et leur culture auraient présenté, dès le départ, et de façon comme naturelle, du fait de l'isolement géographique, des caractéristiques uniques au monde. Leurs récits anciens sur la création de leur civilisation, le Kojiki et le Nihon Shoki (écrits et compilés respectivement au VIIᵉ siècle et au VIIIᵉ siècle) relatant les origines mythiques du Japon les confortent dans ce sentiment. Selon ces récits, aux commencements, les dieux primitifs auraient engendré Izanagi (la divinité mâle) et Izanimi (la divinité femelle), qui auraient enfanté les îles de l’archipel, donnant naissance à un peuple descendant directement des dieux.
 
Nicolas Bouvier, qui fit deux séjours au Japon, d’abord en 1956, puis en 1964-1965, le note dans Le vide et le plein : "Ce qui fait tout le prix du Japon — souvent à nos dépens et à ceux des Japonais — c’est d’être un pays extrême, presque sans références extérieures, un système clos, un peuple qui doit encore aujourd'hui […] se frapper violemment le front du poing pour se persuader qu’il ne rêve pas et que le monde extérieur existe."
 
Il est vrai que le Japon moderne, qui cultive de façon étonnante la recherche constante du progrès et de l’innovation, conserve des moeurs et des coutumes issues de ses traditions les plus anciennes, qui ont de quoi nous surprendre, nous ravir souvent par leur raffinement en matière de savoir-vivre.
 
 
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Repas dans un ryokan à Hakone
En haut : première partie du diner
En bas : petit déjeuner !
 
Je pense, sans pouvoir bien en parler n’ayant pas les références idoines mais j’ai beaucoup apprécié, à l’art de la cuisine, incluant les goûts, les couleurs, la tradition, l’incroyable variété des produits entrant dans la composition des plats, les modes de préparation, de cuisson, de consommation.
 
 
 
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 Washitu : pièce d'habitation traditionnelle japonaise revêtue
de tatamis sur lesquels on étend le soir les futons pour dormir

 
Je pense à l’art de vivre dans le type d’habitat traditionnel, la beauté, la sobriété des washitu  — pièces d'habitation japonaises traditionnelles dont le sol est revêtu de tatamis — meublées seulement d’une table basse et de coussins, qu’on repoussera la nuit pour disposer les futons sur lesquels on dormira. Je pense à la pratique rituelle de se déchausser à l’entrée des maisons pour enfiler des chaussons, qu’on quittera pour les tatamis en les laissant devant la cloison coulissante, soigneusement rangés en parallèle. Je pense à cette forme raffinée et originelle de l’art de vivre japonais qu’est l’onsen : comme le veut la tradition japonaise concernant les bains, il faut se laver à l’extérieur des bains en utilisant une douche basse avec un petit tabouret en se savonnant et en se rinçant soigneusement, avant de s’immerger entièrement nu dans le bain d’eau thermale ultra chaud de l'onsen où on rejoint les autres (hommes et femmes séparément).
 
 
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Boîtier de commande de WC
(instructions en japonais exclusivement, dans un hôtel international à Ōsaka !)
 
Plus anecdotiques sont certains usages. Par exemple on roule à gauche : les Anglais n’ont pourtant jamais colonisé le Japon. Je ne parlerai pas des toilettes japonaises traditionnelles, dont la pratique se révèle (pour nous) hasardeuse. Les toilettes modernes sont à l’occidentale, mais le Japon étant le Japon, elles sont extraordinairement sophistiquées, en mode électronique. La marque Toto, qu’on retrouve partout au Japon, a ainsi conçu des toilettes avec : siège chauffant, déclenchement de jets nettoyant le fondement, chasse d’eau intégrée etc. (mode d'emploi exclusivement rédigé en japonais). Précision : pour pénétrer dans les toilettes on laisse ses chaussons à la porte, pour en enfiler d’autres, en plastique, réservés à cet espace. Ne pas oublier à la sortie de reprendre ses chaussons pour intérieur !
 
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Distance et courbette pour la fin de discussion entre contrôleurs
 
La vie est très policée et très codée au Japon. L’étranger certainement fait des bévues, ignorant le détail des us et coutumes. Mais il est facile d’observer, par exemple, que les gens maintiennent une certaine distance entre eux, par respect. On ne se serre pas la main, pas question de bise ! En revanche toute conversation entre personnes est commencée et terminée avec des inclinaisons du corps, plus ou moins profondes en fonction des relations et des statuts sociaux des interlocuteurs. Les hommes s’inclinent les bras étendus le long du corps, les femmes en joignant les mains au niveau de la taille.
 
L’extrême sophistication des codes de comportement dans la société conduit le Japonais, me semble-t-il, à s’identifier à son rôle social — comme l’acteur derrière son masque dans le théâtre . C’est sans doute pourquoi le Japonais exprime peu ou pas ses sentiments personnels en public et demeure réservé, comme en retrait, s’abritant derrière la série de rituels qui organise toute sa vie quotidienne.
 
 
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À l'entrée d'un temple bouddhique à Hongū.
 La corde fait partie d'un rite shintoïste : en la tirant on fait retentir un gong pour attirer l'attention
des kami (esprits), ensuite on frappe deux fois dans ses mains et on peut prier le Bouddha
  
Le Japonais paraît réservé également vis-à-vis des croyances. Ne lui demandez pas s’il est shintoïste, bouddhiste, confucéen ou chrétien, il est un peu tout cela à la fois ou selon les moments de la vie, imprégné qu’il est de spiritualité, mais réticent au dogme religieux. Il mélange de façon tout à fait spontanée et naturelle plusieurs pratiques religieuses et rituels sans aucune discrimination apparente. Une maxime célèbre affirme que les Japonais naissent dans le shintoïsme, vivent leur vie en confucéens, se marient en chrétiens et meurent en bouddhiste : il paraît bien vrai que le sens du sacré prévaut chez eux sur la religion dès lors qu’elle manifeste un dogme. 
 
 
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Les Japonaises traditionnellement revêtues de leurs kimonos marchent à tout petits pas — on dirait même, dans leurs intérieurs, qu’elles glissent plutôt sur le parquet ciré. Cette image de pas glissant dans le silence feutré et la lumière tamisée des maisons me reste comme une représentation symbolique de cette civilisation si raffinée, bien loin de nos idéaux volontaristes de marche forcée...
 
 
À suivre


12/04/2017
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