Ce que grandir veut dire
Ce que grandir veut dire ? La question peut paraître incongrue ('pas attendue dans la circonstance'), venant d’une personne qui s’apprête à fêter ses 82 automnes. Elle paraît plus pertinente, cette question, venant d’enfants qui spontanément se projettent dans l’à-venir : quand je serai grand, je serai… Mais la question se pose tout de même pour des sujets plus âgés, comme je m’en faisais la réflexion en déambulant dans le Jardin du Luxembourg à Paris...
Me promenant comme j’aime dans la partie de jardin à l’anglaise, j'y rencontre des arbres magnifiques, souvent plus que centenaires, dont la silhouette est encore bien élancée, à l’ombre desquels on se sent tout petits ; d’autres arbres, comme les marronniers, qui furent majestueux, mais qui disparaissent l’un après l’autre, du fait de cette maladie émergente qui les attaque (le chancre bactérien du marronnier), contre laquelle on ne peut malheureusement rien, à part remplacer l'arbre par une autre espèce.
Le marronnier de gauche, atteint par le chancre
du marronnier, va devoir être abattu
J’aime aussi à saluer, lorsque je passe auprès, ce bel érable sycomore dont jadis, c’était il y a quelques années, mon petit-fils Théophile alla spontanément embrasser le tronc... Je garde l'image en mémoire.
Mais je connais aussi un arbre, désigné comme 'catalpa bignonioide', qui m’intrigue. On le donnerait pour mort à voir son tronc fortement penché et étayé, blessé, plein de trous et de rugosités, partiellement recouvert seulement d’une écorce qui fait penser à une vieille peau de crocodile. Cependant il continue de se déployer, c’est un peu bancale mais il se déploie, et produit des rameaux avec des feuilles bien vertes, qui vont chercher la lumière dont il a besoin pour réaliser la photosynthèse. Mais comment s’y prend-il cet arbre ?
En théorie, sans continuité de l’écorce, les feuilles ne peuvent plus envoyer de sucres aux racines ; celles-ci cessent leur activité de pompage, l’eau ne circule plus, l’arbre entier sèche et se meurt. Mais ici l’arbre n’est pas seul. Je vois tout près de lui un autre arbre bien vivant, d’une autre espèce, et à ce qu’en m’a dit Michel, un des chefs jardiniers du Jardin, de la proximité des deux arbres résulte un entrelacement de ramifications souterraines qui crée autant de points de contact et d’échange entre les arbres... Le vieil arbre continue de se déployer. Ainsi va la vie.
Belle illustration de ce propos de Spinoza : "Chaque chose, autant qu'il est en elle, s'efforce de persévérer dans son être" (Éthique, III, 6). L'effort par lequel chaque chose s'efforce de persévérer dans son être, c'est précisément cela la vie : ce que grandir veut dire.
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