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Conscientisation

 

 

 
Je lis, j’entends d’un peu partout, que le monde d’après risque bien de ressembler au monde d’avant. Et certes, je vois que certaines logiques sont toujours là en sous-oeuvre, qui ne demandent qu’à se redéployer après l’arrêt imposé par la crise du Covid-19 : logiques de marché et de coût, logiques de financiarisation, logiques de consommation etc. Donc tout comme avant ? Sauf à penser que la conscientisation née de la crise fournisse une nouvelle donne qui modifiera le jeu : tout ne sera pas comme avant.
 
Cette idée de conscientisation est majeure, la conscience étant, comme disait Bachelard, « l’acte humain par excellence ». En somme, ce qu’on veut, ce qui peut se produire avec la volonté, c’est que l’humain réinvestisse le champ de l’action « politique », au sens originel, celui de civilité ou politikos, qui désigne ce qui est relatif à l'organisation d'un État et à l'exercice du pouvoir dans une société organisée. Le problème, c’est que nous nous sentons bien démunis, face à ceux qui ont le pouvoir, pour influencer les décisions, qui pourtant nous concernent au premier chef.
 
Ainsi voudrait-on voir mettre à profit cet arrêt économique forcé pour promouvoir un nouveau modèle de développement, plus équitable et plus durable ; investir dans de nouveaux secteurs (santé, environnement, sobriété énergétique) ; combattre le retour du néo-libéralisme (qui, à l’évidence, va essayer d’utiliser la puissance publique pour restaurer le pouvoir du capital) ; se protéger contre certaines dépendances (alimentation, industrie, santé…) ; remettre à leur juste place les activités les plus utiles à la société etc.
 
Toutes ces réflexions relèvent, comme dirait Bachelard, que j’ai cité plus haut, de l’ordre de l'animus. Bachelard aimait en effet à distinguer, dans la suite de Jung qu’il reprenait à sa manière, animus et anima : c’est à l’animus, disait-il, qu’appartiennent les projets et les soucis, deux manières de ne pas être présent à soi-même ; à l’anima appartient ce qui relève de la vie en soi. Mon sentiment est que, de fait, dans cet ordre de l’animusnous avons peu de prise, à notre niveau, sur ce qui ressortit à l’organisation politique d’une société qu’on veut autre. L’exercice du jugement est nécessaire, mais en rester à la critique risque bien de nous tenir éloigné de nous-mêmes (voire nous pourrir la vie, comme il était dit dans un billet précédent). 
 
En revanche la conscientisation, qui relève de l’ordre de l’anima et est naturellement associée aux affects, forme un réel levier de mobilisation politique : car nous avons le pouvoir de changer nos modes de vie : alimentation saine, saisonnière et locale ; déchets réduits ; transports modérés ; sobriété énergétique etc.  — si donc on comprend, subissant le choc du coronavirus, qu’on est en train de changer d’époque, qu’on ne peut pas continuer sur les mêmes modes de vie, et si on (ré)agit en conséquence, l’organisation politique de la société (modes de production, d’investissement, priorités etc.) aura à composer avec la nouvelle donne en entrant en résonance avec le quotidien des gens.
 
Pour qu’il y ait prise de conscience, il faut souvent qu’il y ait eu un choc, un événement déclencheur. Le Covid-19 joue ce rôle d’événement déclencheur, et la particularité de cet événement est qu’il est à la fois personnel et collectif, il nous a touché chacun individuellement et toute la société, toutes les sociétés. Les conditions paraissent favorables pour que cette prise de conscience soit assez partagée pour influer sur une nouvelle organisation commune, politique de nos vies.
 
Cette vue peut paraître naïve, utopique. Je ne le crois pas. Parce que, Bachelard le disait  : « Toute prise de conscience est un accroissement de conscience, une augmentation de lumière », et cette augmentation de lumière corrèle naturellement avec l’augmentation de la puissance d’agir, comme dit Spinoza, qui associe à cette augmentation la « joie ». Ce n’est pas un hasard si le même Spinoza fait remarquer qu’en politique, inspirer des passions tristes est nécessaire à l’exercice du pouvoir : les despotes ont besoin de la « tristesse » de leurs sujets, qui corrèle avec la diminution de leur puissance d’agir. La conscientisation en revanche, en augmentant la puissance d’agir, peut bien poser problème aux pouvoirs. En tout cas elle éloigne des passions tristes et conforte dans la joie. 

 



12/06/2020
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