Supposons que nous voulions convertir une température de degré Fahrenheit (utilisé aux États-Unis) en degré Celsius (utilisé dans le reste du monde) :
- en programmation, on donne la formule [ qui, en l'occurrence, est simple : °C = (°F - 32) / 1,8 ]
- en machine learning , on va donner des exemples (évidemment, dans le cas précis, ça n'a pas grand intérêt de procéder ainsi) : la machine, à partir de tous ces exemples donnés, va être capable d'opérer une conversion de degré Fahrenheit en degré Celsius pour une nouvelle valeur :
Mais supposons maintenant qu'on veuille reconnaître un chat dans une image : là, on n'a pas de formule simple ! il n'y en a même tout simplement pas : pendant 40 ans on a cherché la formule "ce qu'est un chat"... on ne trouvera jamais pourquoi un ensemble de pixels ressemble à un chat ... Le machine learning répond en revanche à ce type de problème :
Mais depuis peu est opérationnelle une nouvelle technologie de machine learning en passe de révolutionner les méthodes de l’IA : le deep learning ou « apprentissage profond » — dont le Français Yann LeCun, professeur à l'Université de New York et Directeur de Facebook AI Research, est un des trois "parrains" fondateurs. Cette nouvelle technologie d’apprentissage, basée sur des réseaux de neurones artificiels numériques, va permettre cette fois-ci au système d' "apprendre à apprendre". L'architecture interne du système modélise un réseau de neurones, composé de milliers d'unités (les neurones) qui effectuent chacune de petits calculs simples. "La particularité, c'est que les résultats de la première couche de neurones vont servir d'entrée au calcul des autres. Ce fonctionnement par « couches » est ce qui rend ce type d'apprentissage « profond »", détaille un chercheur en IA. La nouveauté, c'est qu'il y a tellement de couches que le système, par la puissance de calcul disponible, est capable de définir par lui-même (avant c'était fait à la main) les caractéristiques importantes [ les feature ] du modèle. Cette technologie d’apprentissage est utilisée pour comprendre la voix, être capable d'apprendre à reconnaître des visages etc.
Revenons à notre exemple du chat (j’ai remarqué que les spécialistes de l’IA adorent les chats). Comment reconnaître une image de chat ? Notre chercheur détaille le procédé du deep learning : « Les points saillants sont les yeux et les oreilles. Comment reconnaître une oreille de chat ? L'angle est à peu près de 45°. Pour reconnaître la présence d'une ligne, la première couche de neurones va comparer la différence des pixels au-dessus et en dessous : cela donnera une caractéristique de niveau 1. La deuxième couche va travailler sur ces caractéristiques et les combiner entre elles. S'il y a deux lignes qui se rencontrent à 45°, elle va commencer à reconnaître le triangle de l'oreille de chat. Et ainsi de suite. À chaque étape — il peut y avoir jusqu'à une vingtaine de couches —, le réseau de neurones approfondit sa compréhension de l'image avec des concepts de plus en plus précis ». Au final, la machine aura découvert par elle-même le concept de chat. L’apprentissage reste toutefois supervisé.
Où l’on remarque qu’en tout cela la machine aura imité le fonctionnement logique de l’intelligence apprenante d’un humain.
Perspectives
Mais l’intelligence humaine, j’y reviens, ce n’est pas qu’affaire de logique et de raisonnement.
L’humain pense avec tout son corps, pas seulement avec son cerveau. Et le corps, c’est ce que Merleau-Ponty appelait son être-au-monde. Le corps est l’interface avec l’environnement. Le corps réagit à des sensations, des perceptions, il éprouve des émotions — et c’est avec tout cela, pas seulement avec son cerveau, que l’humain pense. Son intelligence — c’est-à-dire sa faculté de tout relier pour comprendre : un problème, une situation, un événement, l’art, la poésie, le spirituel — procède par déduction, induction mais aussi intuition et se nourrit des émotions.
Des recherches sont menées pour tenter de relier l’apprentissage et la perception (grounded machine learning ). Il y a aussi cette question : l’apprentissage en IA se fait avec supervision — mais ce n’est pas comme cela que fonctionne un enfant : outre qu'il suffit à un enfant de voir quelques chats pour apprendre à les reconnaître (là où la machine a besoin de plusieurs milliers d'exemples), 95% de son temps, un enfant éveillé apprend de manière non supervisée : il apprend par exploration. Le Graal des chercheurs, le voilà : Est-ce qu’on peut faire de l’apprentissage non supervisé, comme font les enfants ? Mais on est devant un territoire sans carte… c’est une exploration dans l’inconnu. René Char dirait (a dit dans
Feuillets d'Hypnos) :
"Mettre en route l’intelligence sans le secours des cartes d’état-major"...
Les applications pratiques de l’IA cependant sont d’ores et déjà bien présentes parmi nous et continueront de se développer à la vitesse grand V : voiture autonome, reconnaissance vocale, reconnaissance faciale, domotique, finance, diagnostics médicaux etc. — l’IA va profondément modifier dans bien des domaines nos modes de vie, apportant avec elle une augmentation considérable de nos capacités physiques et rationnelles.
Cédric Villani, notre ci-devant mathématicien bien connu, lauréat de la médaille Fields en 2010 (l’équivalent du Nobel), député, qui doit remettre le 29 mars au Premier ministre un rapport sur les enjeux stratégiques et économiques de l’IA, a dit récemment : « L’intelligence artificielle sera partout comme l’électricité ». Je trouve ce propos pertinent. La fée électricité a révolutionné nos modes de vie mais tout en douceur : aujourd’hui on ne pourrait plus s’en passer, plus rien ne fonctionnerait sans elle. Ainsi en sera-t-il, je pense, de l’IA, qui est déjà en place dans de nombreux domaines de notre quotidien.
Quant à savoir s'il faut craindre l'IA, comme pour toute forme de technologie, tout dépend de ce qu'on en fait ou fera...
Alexandre et Cédric Villani
(post d'Alexandre sur FB : L'affiche annonce " IA espoir et danger "
— si j'ai bien compris, l'espoir c'est Cédric V. et le danger c'est moi...)
Mes remerciements à mon fils Alexandre, spécialiste en la matière, qui a revu, complété et corrigé mon texte sur les parties techniques et fourni les schémas d’illustration — et qui, à ma demande, a ajouté ces quelques lignes donnant son point de vue :
Dans la phase actuelle d'emballement médiatique, on entend tout et n'importe quoi sur l'IA. Le rapport signal/bruit est faible. Le paradoxe c'est que tout en surestimant la proximité, voire la possibilité des choses qui relèvent du fantasme — l'IA "générale" a l'intelligence au niveau d'un humain, a ses propres intentions, s'adapte, nous dépasse... — nous sous-estimons en même temps l'immense impact que ces nouvelles technologies auront, au cours des vingt ans à venir, sur notre société et nos entreprises. Nous surestimons l’IA qui va *remplacer* l’homme, mais sous-estimons celle qui va l'*augmenter*. Comme internet auparavant, et l’informatique encore avant, et finalement tous les outils depuis l’aube de l’humanité, l’IA rendra l’homme plus puissant, pour le meilleur et pour le pire. Notre génération a la lourde responsabilité de trouver les moyens de se servir de l’IA pour améliorer l’humanité, plutôt que d’en aggraver les problèmes.