De la beauté
J’écrivais dans le dernier billet, quant à savoir si l’Univers a une finalité ou si les "réglages" qui ont permis l’apparition de la vie sur Terre sont le fruit du hasard, que cette question clivante (la question "anthropique") ne me travaillait pas plus que cela : "hasard ou pas, finalité ou pas — j’admire la beauté du processus qui amène là où nous sommes, au sein de notre Univers. Cette beauté m’enchante et m’intrigue…"
L’idée de "beauté" m’est venue spontanément à l'esprit pour exprimer le sentiment qu’évoque en moi l’existence de ce processus qui aboutit de fait à l’apparition de la vie et de la conscience sur Terre. L’Univers n’est pas obligé d’être beau mais il est beau !
Mais qu’est-ce que la beauté ? La beauté pour moi est associée à un sentiment d’admiration : ainsi de l'émotion devant un paysage époustouflant, un objet ou un corps superbe, une fleur magnifique, ou encore une oeuvre d’art "qui me parle" — dont je perçois à travers mon ressenti l’harmonie secrète et l’éclat de la présence.
Admiration et émotion encore en lisant un texte de Proust ou de Julien Gracq, un poème de Verlaine ou de Baudelaire, ou une page de René Char...
La beauté, dans ma jeunesse, il m’en souvient encore, c’était aussi l’émotion devant une "belle" formule mathématique, ou une "élégante" démonstration, exceptionnellement courte ou dont le résultat était établi d'une façon surprenante ! Je trouvais, et je trouve encore, les nombres beaux.
Comment décrire la beauté ? Étonnement, émerveillement, ravissement. Sentiment aussi de gratuit. Rien n’est dû, tout est donné. Et sans pourquoi. La beauté est là, offerte, à nous de l'accueillir, c'est tout. Comme il est magnifiquement dit de la rose, si souvent célébrée pour sa beauté et ses parfums, dans ce distique d’Angelus Silésius, poète du XVIIᵉ siècle qu’on affilie aux mystiques rhénans :
La rose est sans pourquoi, fleurit parce qu’elle fleurit ;
Sans souci d’elle-même, ni désir d’être vue.
En effet la rose est sans pourquoi, comme tous les vivants.
Le sentiment de beauté, comment ne pas le ressentir aussi, j'y reviens, devant les extraordinaires images du fin fond de l'Univers que le surpuissant télescope James-Webb de la Nasa, positionné à 1,5 million de kilomètres de la Terre, vient de nous offrir.
Ce somptueux cliché montre les premières galaxies formées après le Big Bang, il y a plus de 13 milliards d'années. Dans un pixel de ce cliché, on a des centaines de milliers de systèmes solaires... Étonnement, admiration, stupeur ! devant l'immensité révélée de l'espace, et du temps : les galaxies que nous voyons sont telles qu'elles étaient il y a 4,6 milliards d'années ! La distance de la Terre à ces galaxies est telle qu'il a fallu 4,6 milliards d'années pour que leur lumière parvienne jusqu'à nous !
Réalisons !
À titre de comparaison : la lumière réfléchie par la Lune met 1,3 seconde pour parvenir jusqu'à nous.
La lumière émise par le Soleil : 8,3 minutes.
[La lumière parcourt 299 792 kms par seconde. La distance moyenne de la Lune à la Terre étant de 384 467 kms, la lumière réfléchie par la Lune met 384 467 : 299 792 = 1,3 seconde pour parvenir jusqu'à nous.
La lumière émise par le Soleil, situé à 150 millions de kilomètres de la Terre, met 150 000 000 : 299 792 = 500,3 secondes — soit 8,3 minutes pour arriver jusqu'à nous.]
4,6 milliards d’années, c'est le temps qu’il a fallu à la lumière émise par les galaxies photographiées pour arriver jusqu’aux capteurs du télescope James-Webb, ce qui fait que l’image publiée représente un instantané de cette toute petite partie de l’Univers — un grain de sable dans l'immensité de l'espace — environ 1 milliard d'années après le Big Bang...
Vertige des chiffres ! Profondeurs insondables ! Beauté qui terrifie ! car la beauté peut aussi être bouleversante ! Résonne en moi la pensée de Blaise Pascal : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie ».
Et c'est ce même immensurable Univers qui abrite en son sein notre chez nous, sur la minuscule Terre, perdue comme un point insignifiant dans l'immensité de l'espace...
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