Dérisoire démocratie
« Dérisoire » : « Qui paraît ridicule par son caractère médiocre : Les mesures pour faire face à cette crise sont dérisoires » (Dictionnaire)
Nous vivons une période sombre, crépusculaire. Pas de perspectives. Fatalisme. Ce qui arrive devait arriver et on ne peut rien faire pour s’y opposer. Impuissance des politiques. Démocratie dérisoire. « Dérisoire » : « qui paraît ridicule par son caractère médiocre: Les mesures pour faire face à cette crise sont dérisoires » ( dictionnaire).
Marcel Gauchet (philosophe, auteur d’ouvrages parmi lesquels Le Désenchantement du monde, L’Avènement de la démocratie, La Condition politique etc.) estime dans L’Express (22/10) que tous les dirigeants européens ont en commun « l’incapacité d’une pensée stratégique, l’inaptitude à se projeter dans ce monde globalisé et à définir la place que l’on doit y occuper». Cette incapacité de penser, l’inaptitude à se projeter, définir sa place etc. n’est pas, me semble-t-il, le lot des seuls dirigeants ou disons que les dirigeants, en cela, sont à l’ image de l’ensemble de la nation qui se trouve piégée dans cette situation d’atonie, significative d’un terrible affaiblissement, ou un affaissement sur lui-même de notre système politique qu’est la démocratie.
Les États se sont dépouillés de leur souveraineté dans des domaines qui étaient essentiels pour l’exercice de l’action démocratique et son efficacité comme, par exemple, la monnaie : à la place, l’Europe s’est dotée d’institutions supranationales technocratiques : les commissions font leur propre jeu sans réel contrôle et en imposent aux États, qui ne peuvent que suivre en bons, ou moins bons élèves (ce vocabulaire en dit long sur la réalité de la place occupée : nous voilà comme dans une salle de classe en face d’un maître qui de droit détient le savoir). Dérisoire démocratie.
L’État, à l’intérieur, ne cesse de se désengager de responsabilités qui étaient les siennes et assuraient à la fois cohérence et solidarité : des pans entiers du domaine public sont livrés (souvent dans des conditions aberrantes) à des intérêts privés, ou bien fleurissent un peu partout des "Hautes Autorités" (Haute Autorité de Santé, Haute Autorité pour la transparence de la vie publique etc.) qui signent autant de renoncements à l’exercice des responsabilités sous le contrôle démocratique.
L’exercice de la démocratie locale est pareillement en maintes occasions faussé. Il faut des résistances, parfois des affrontements, voire un drame comme récemment sur le projet de barrage de Sivens, pour mettre à jour les faux-semblants de processus qui n’ont de démocratique que l’apparence. Les agriculteurs bénéficiaires du projet de retenue d’eau crient au scandale : bien sûr que la décision de construire le barrage est démocratique puisque celle-ci a été prise dans le cadre de débats au sein de la Compagnie générale des coteaux de Gascogne [CACG], société d’économie mixte qui intervient dans les chantiers régionaux liés à la répartition de l’eau. Sauf que.
Sauf que les dés sont pipés puisque ce sont les mêmes élus de la région, qui d’un côté s’en remettent à la CACG pour réaliser les études qui concluent à la nécessité de construire la retenue d’eau, et lui confient la maîtrise de l’ouvrage (sans aucun appel d’offres…), et de l’autre siègent au sein de la même CACG [présidée par le vice-président du conseil général du Gers] : ce qui s’appelle être juge et partie. Les avis négatifs de la Commission de la protection de la nature n’ont pas été considérés. Et l’on s’étonne après, quand le débat a été biaisé, qu’il resurgisse, sous d’autres formes, la violence appelant la violence : violence physique des affrontements entre gendarmes et militants ; violence verbale des agriculteurs qui en arrivent à traiter les défenseurs de l’environnement [qui se nomment « zadistes », de ZAD : zone à défendre] de « djihadistes verts »… Dérisoire démocratie.
Comment redonner sens à notre démocratie ? Il faut, me semble-t-il, en premier lieu, sortir impérativement de la situation d’entre-deux où nous nous trouvons vis-à-vis des instances supérieures de l’Europe. On ne peut pas rester au milieu du gué. Faire marche arrière est illusoire : il faut mobiliser les énergies, orienter les volontés, pour aller plus avant. C’est cela qu’on peut attendre, qu’on est en droit d’attendre de nos dirigeants. Peu importe le « cuir tanné » (on sait qu’un dirigeant doit avoir la santé, mais le débat n’est pas là), la question n’est pas de « se cramponner » , elle est d’indiquer une direction, avoir une grande vision pour aller plus avant et redonner à la démocratie les moyens de la démocratie.
Redonner aussi à la démocratie les moyens de la démocratie dans l’exercice local en ne tolérant plus toutes ces situations génératrices de possibles conflits d’intérêts : je ne comprends pas de ce point de vue qu’on tarde tant (c’est bien qu’il y a des intérêts en jeu) à interdire le cumul des mandats, qui non seulement confisque le pouvoir entre les mains d'un petit nombre alors qu'il faudrait le répartir auprès du plus grand nombre, mais nuit absolument par ses effets pervers à l’exercice de la démocratie.
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