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Des nouvelles (3)

 

 

Des nouvelles extérieures plombantes. Encore un attentat. La COVID-19 hors de contrôle. Un re-confinement. Impact direct : le régime des visites à la Clinique, déjà limité à 1 visite/1 personne/jour, réduit à 1 visite/1 personne (la même)/semaine. Mais la rééducation permet des progrès sensibles de jour en jour dans la marche (avec déambulateur) : il n’est pas inenvisageable de quitter la Clinique d’ici 10 à 15 jours. Reste le problème des plaies vives profondes dans le pied dues à la bactérie : il faudra compter en mois pour la cicatrisation totale. Ceci excède ma capacité à imaginer l’avenir.
 
 
 
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 Photographie de Pierre Gaudu
 
Cette magnifique photographie de mon ami Pierre
a été prise à Grenoble à quelques blocs de la Clinique
le premier soir du couvre-feu
 
 
 

En lisant en relisant La Guerre et la Paix

 
Je l’ai déjà dit, la lecture de La Guerre et la Paix de Tolstoï en période d’hospitalisation a quelque chose de singulier. Les très longues descriptions des batailles mortifères de Napoléon sur le front russe engendrent un goût amer : moi cloué sur mon lit avec des plaies à vif, j’imagine trop bien l’horreur des combats meurtriers, les blessures vives, les membres arrachés, tout cela pour satisfaire la vanité d’un homme qui réalise rarement, retranché qu’il est dans son QG ou parcourant le champ de bataille au galop sans s’arrêter, la réalité des souffrances infligées aux soldats par milliers. Sauf peut-être en ce moment au soir du carnage de Borodino, où, malade, fiévreux, un sentiment personnel, humain l’emporte pour un court instant sur le sentiment de toute puissance :
 
« L’effroyable aspect du champ de bataille jonché de cadavres et de blessés s’ajoutant à la lourdeur qu’il [Napoléon] ressentait dans la tête, à la nouvelle que vingt généraux qu’il connaissait avaient été tués ou blessés, à la conscience de l’impuissance de son bras jadis puissant, tout cela eut un effet inattendu sur Napoléon qui, d’ordinaire, aimait à voir les tués et les blessés, éprouvant ainsi sa force d’âme (pensait-il). Ce jour-là, le terrible aspect du champ de bataille eut raison de cette force d’âme dans laquelle il voyait son mérite et sa grandeur. Il s’éloigna précipitamment et revint au mamelon de Chevardino. Jaune, bouffi, lourd, les yeux troubles, le nez rouge et la voix enrouée, il restait assis sur son pliant en prêtant malgré lui l’oreille au bruit des détonations et sans lever les yeux. Il attendait avec une angoisse douloureuse la fin de cette affaire à laquelle il croyait participer mais qu’il ne pouvait arrêter. Un sentiment personnel, humain, l’emporta pour un court instant sur ce mirage fallacieux de la vie qu’il avait servi pendant si longtemps. Il éprouva par lui-même les souffrances et la mort qu’il avait vues sur le champ de bataille. La lourdeur de la tête et l’oppression de la poitrine lui rappelaient qu’il pouvait lui aussi souffrir et mourir. » 
 
C’est comme si il y avait deux regards sur les hommes et le monde, un regard abstrait, et un autre ouvert à la compassion. La différence, c’est seulement la compréhension de la souffrance. Le premier regard, c’est celui des scientifiques, des dirigeants, des économistes, des conseillers qui pilotent leurs actions l’oeil rivé sur les statistiques. L’abstrait ne considère rien en-dehors des calculs, les gens ne sont pas susceptibles de souffrir, ce sont des catégories. Les chiffres, les calculs bien sûr sont nécessaires, mais pas suffisants. La SEULE question qui donne accès à la vraie vie, c’est la considération de la souffrance. 
 
 


31/10/2020
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