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Disparition de Roland de la Poype

 

 

 

Nous venons d'apprendre la disparition de Roland de la Poype. J'avais interwievé en juillet 2010 sa fille Alexandra, voisine et amie, pour le quatre-vingt-dixième anniversaire de son père. Je présente ici mes condoléances à Alexandra et redonne le billet de 2010 en mémoire de son père.

 

En ces temps où l'ambiance est à la morosité, où l'audace de vivre intensément est émoussée, où l'on se borne à regarder ce qu'on voit, où l'on revendique de faire avec seulement ce qu'on a, il me plaît de rapporter ce parcours de vie qui nous rappelle à l'ambition de regarder vers ce qu'on ne voit pas, au-delà de l'horizon pragmatique, et cultiver l'audace qui contribue à faire advenir un monde autre.

 

 

Roland de la Poype : une poétique de l'audace

De la Poype : un nom qui claque comme un étendard. Une lignée qui s'est illustrée sur les champs de bataille et pour sa liberté d'esprit. Roland de la Poype est de cette lignée. 
 
Le 20 juin 1940 - il n'a pas encore 20 ans - il décide avec  ses camarades de promotion de l'école de pilotage d'Angers de répondre à l'appel de de Gaulle et rejoint l'Angleterre : "Nous préférions jouer cette chance de continuer avec de Gaulle, plutôt que d'être faits prisonniers bêtement sans combattre" [citation - ainsi que les suivantes - extraite du livre de Mémoires de Roland de la Poype "L'épopée du Normandie Niémen"].

L'intégration dans une unité opérationnelle de la RAF prend quelque temps.  Finalement, après une intense préparation comme pilote de chasse, il est  affecté, au début de l'année 1942, au 602 squadron, une unité prestigieuse, héroïne de la bataille d'Angleterre. Cette unité compte dans ses rangs l'as irlandais à la trentaine de victoires, Paddy Finucane, qui vient d'être nommé, à moins de 22 ans, le plus jeune wing commander [chef d'escadrille"] de la RAF. Paddy Finucane choisit Roland de la Poype - lui aussi moins de 22 ans - comme équipier ! Avec lui il multiplie les missions.

Le 13 avril 1942 reste marqué dans la mémoire de Roland de la Poype : de  retour d'un engagement avec des chasseurs allemands,  il entend dans ses écouteurs son chef d'escadrille, lui annoncer : "- Hullo Roland, good show. You shook him ! (Allô Roland, bon boulot. Tu l'as secoué !"). Une première victoire homologuée, qui sera suivie de beaucoup d'autres qui feront de lui un des pilotes de chasse les plus fameux de la Seconde Guerre mondiale et  approcher ses modèles : Fonck, Guynemer, Nungesser - et son héros : Mermoz.

Mais la grande aventure de ce pilote d'exception prend un tour nouveau lorsqu'il a l'opportunité, au cours de l'été 1942, d'intégrer le groupe de volontaires français voulu par de Gaulle,  accepté par Staline, pour combattre sur le front de l'Est. Ce "Groupe de chasse n°3", assez restreint [à sa création 14 pilotes, une quarantaine de mécaniciens] - unité française sous commandement français - va particulièrement s'illustrer au cours de la formidable bataille autour du fleuve Niémen. Baptisé "Normandie" [selon la tradition  le nom d'une province française], le groupe se verra décerner par Staline l'appellation de "Normandie-Niémen", qui depuis lors est entrée dans la légende.

Roland de la Poype et ses camarades du "Normandie-Niémen" seront les premiers Frantzouzy à être décorés de l'ordre des héros de l'Union soviétique. "Mon émotion monte d'un cran, se souvient-il, quand je vois arriver, posée sur le velours rouge d'un écrin de maroquin, la fameuse étoile d'or fixée à un court ruban de moire écarlate. Suivant la tradition russe, on nous remet la médaille en mains propres au lieu de nous l'épingler sur la poitrine. Troublé par les caméras et les photographes, il me faut quelques secondes pour trouver une poche où glisser la boîte minuscule..."

Roland de la Poype aurait pu rester dans l'armée. Mais il sait que l'avenir auquel il pense n'est pas de ce côté. Fin  1947 - à  peine âgé de 27 ans - il fait le choix de se reconvertir dans le civil. Il écrit dans ses Mémoires cette phrase révélatrice :  "Je veux un métier qui me passionne et me permette de subvenir à mes besoins tout en m'amusant". Il continue : "En regardant autour de moi, je me rends compte qu'il existe un créneau encore peu exploité en France : celui des emballages plastiques".

Tout Roland de la Poype est dans ces mots : "passion", "s'amuser", "regarder autour de soi" [vision].

"Passion" : Dans les années de collège, le jeune Roland avoue être plus passionné par les avions - déjà - et sa motocyclette, que par les études... "S'amuser" : "J'étais tête en l'air, farceur"... Alexandra me dit :  dès le départ il avait un caractère fantasque, audacieux, énormément d'humour; il aimera toujours sortir, faire la fête. "Regarder autour de soi" : il s'intéresse à tout, a une vision, un temps d'avance sur son temps. Audacieux, entreprenant dès le plus jeune âge : "J'avais toujours l'esprit occupé par de nouvelles inventions".

Inventif, il le sera, ayant "vu"  les applications à tirer des nouvelles technologies du plastique. Il crée la SEAB (Société d'Etudes et d'Applications de Brevets). En 1952, il invente le berlingot Dop pour le compte de L'Oréal. En 1966, il crée une nouvelle société, Prepac. "Mon but est d'élargir mon champ d'action en produisant, en plus des emballages, le matériel nécessaire au conditionnement". Le concurrent Tetra Pak occupant le terrain européen, Roland de la Poype va courir le monde. Alexandra se souvient encore de  sa fascination lorsque, enfant, elle voyait son père de retour d'une longue absence atterrir près du château familial de Mozé en hélicoptère... Ces tournées sont fructueuses. "J'ai pour avantage de concevoir des emballages plus légers que la concurrence, notamment grâce au polyéthylène, une matière plastique qui est en outre peu polluante".

Ici perce un nouvel aspect de la personnalité de Roland de la Poype : son souci, avant l'heure, de l'écologie. C'est avec cette volonté de rechercher un développement industriel en harmonie avec l'écologie qu'il conçoit en 1968 la Méhari : "Sa recette est simple : une carrosserie légère  et découvrable sur un châssis existant, le tout propulsé par un moteur de petite cylindrée".  Qui sera de la partie ? Renault, avec la 4L ? Citroën, avec la 2 CV ? Finalement ce sera Citroën, pour des raisons techniques. La Méhari est née. Elle est lancée le 16 mai 1968, premier jour de la grève générale qui va paralyser le pays ! 


Celle que certains ont appelée "l'égérie de mai 68" ! va rencontrer son public [production totale 144 953 exemplaires] - même si Citroën n'a pas suivi l'inventeur dans toutes ses idées originales  (par exemple un prototype amphibie, en 1973). N'empêche. La carrosserie est une innovation : réalisée en ABS [Acrylonitrile Butadiène Styrène], elle est légère [35 kilos], peut reprendre sa forme initiale après un léger choc,  et est entièrement recyclable - une première ! 


Nous avons encore en mémoire la silhouette bien particulière de ce véhicule un peu déjanté [si je peux me permettre cette expression s'agissant d'un véhicule], dont les couleurs, intégrées au plastique, portent toutes des noms qui font référence aux régions désertiques  : "rouge Hopi", "vert Tibesti", "orange Kirghiz", "beige Hoggar" etc. L'inventeur s'est bien amusé en lançant, en quelque sorte, son VTT [Véhicule Tout Terrain] ultra léger.

Roland de la Poype, jamais à court d'idées, inventera aussi la Flipper [vendue à 3 500 exemplaires], une toute petite voiture de ville dont la direction avait la particularité de pouvoir pivoter à 180 degrés. Encore une première ! Il y a eu aussi une dernière : un ballon dirigeable  qui éclatera en plein vol. "Mais comme j'ai toujours eu la tête pleine de projets, ce n'est pas ça qui m'a  découragé".

Animé par le souci de l'écologie, Roland de la Poype va se lancer dans une nouvelle et belle aventure :  faire connaître les dauphins et le monde de la mer, pour gagner à leur cause le plus large  public. S'inspirant du Seaquarium de Miami, il va créer le Marineland d'Antibes. "De l'industrie non polluante à la protection des animaux marins, j'ai toujours eu la volonté de préserver les équilibres naturels de la planète".

"Bon pied bon oeil, toujours prêt à un bon mot, une bêtise, ouvert, aimant sortir, faire la fête, ne se prenant pas au sérieux..." tel me le décrit Alexandra, qui ne cache pas son admiration pour ce père entreprenant, inventif, visionnaire, qui s'est si bien inscrit dans la lignée de  ses ancêtres aventuriers dont les  portraits décorent les  couloirs du château familial... Un père qui n'a pas encouragé sa fille à fréquenter le monde de l'aviation - mais est assez fier de son brevet de pilote qu'elle a passé en Floride...


 


 

 

 "L'aventure personnelle, l'aventure prodiguée, communauté de nos aurores"

[René Char]



12-07-2010 | 1501 vues


24/10/2012
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