voilacestdit

Dans le dernier billet d'humus j'évoquais la figure antique du "physicien" Anaximandre qui, outre l'idée que la substance des choses est un "principe" apeiron qui est un mouvement continu, eut l'intuition, assez exceptionnelle pour son temps, que l'apparition de l'homme sur la Terre était le résultat d'une lente évolution biologique, faisant descendre l'homme du poisson...

Loin de moi de faire d'Anaximandre un précurseur de Darwin, mais tout de même, ses réflexions sur l'origine de l'homme donnent à méditer de la capacité des premiers penseurs grecs à "voir" les phénomènes du monde - au sens où Teilhard de Chardin, le grand visionnaire, écrit dans Le Phénomène humain : "Voir. On pourrait dire que toute la Vie est là, du moins essentiellement". [Teilhard, qui s'assigne pour but dans son ouvrage de voir et faire voir : "Ces pages représentent un effort pour voir, et faire voir, ce que devient et exige l'Homme, si on le place, tout entier et jusqu'au bout, dans le cadre des apparences"].

L'idée générale d'évolution ne fait plus réellement débat aujourd'hui - cependant il ne faut pas confondre les concepts d'évolution et d'évolutionnisme.

L'évolution est un fait - largement reconnu ; l'évolutionnisme est une théorie explicative de ce fait. En tant que théorie, l'évolutionnisme est susceptible... d'évoluer. Le paradigme classique du darwinisme assigne à la base des mutations qui produisent l'évolution la sélection naturelle. L'expression natural selection, a été avancée par A. R. Wallace dans les années 1850, indépendamment de Darwin - mais c'est Darwin qui fit connaître, et reconnaître en dépit de fortes oppositions, l'idée d'évolution, reprenant l'hypothèse d'une évolution des espèces [déjà développée par Lamarck dans les années 1780, bien qu'il n'ait pas employé le terme d'évolution], réinterprétée par l'idée d'une élimination des individus les moins adaptés - ce qu'on a appelé la "sélection naturelle".

Cette explication par la sélection naturelle est en quelque sorte négative. Ce qui vit, c'est ce qui survit.   Cependant, de nouveaux acquis en génétique et en biologie moléculaire ont conduit à des paradigmes mettant plutôt en avant la créativité comme principe positif de déploiement de la vie. Ainsi Fritjof Capra :

     "Plutôt que de considérer l'évolution comme le résultat de mutations aléatoires et de la sélection naturelle, nous commençons à considérer le déploiement créatif de la vie qui se manifeste sous des formes d'une diversité et d'une complexité toujours plus grandes comme une caractéristique inhérente à tous les systèmes vivants. Même si on reconnaît encore la mutation et la sélection naturelle comme des aspects importants de l'évolution biologique, l'accent est mis principalement sur la créativité, sur la recherche constante de nouveauté dont fait preuve la vie".

Là-dessus, le débat demeure : caractère hasardeux ou dessein intelligent ? La question est souvent tranchée plus par des raisons idéologiques que scientifiques. Pour ma part, j'aime assez la métaphore du bricolage, chère à Claude Lévi-Strauss, reprise par François Jacob :

     "À maints égards, le processus de l'évolution ressemble à cette manière de faire [le bricolage]. Souvent sans dessein à long terme, le bricoleur prend un objet dans son stock et lui donne une fonction inattendue. D'une vieille roue de voiture, il fait un ventilateur ; d'une table cassée, un parasol. Ce genre d'opération ne diffère guère de ce qu'accomplit l'évolution quand elle produit une aile à partir d'une patte, ou un morceau d'oreille avec un fragment de mâchoire".

Je ne suis pas sûr [au vu des exemples donnés] que François Jacob ait eu un grand talent de bricoleur, mais la métaphore est éclairante. Un bricolage de génie, ce pourrait être cela l'invention, toujours renouvelée, de la vie. Et la créativité le meilleur chemin de vie. L'Évolution créatrice, disait Bergson.