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Elliott Erwitt, la magie du photographe

 

 
Lorsque je regarde des photographies qui me plaisent bien, je me demande parfois, passé le moment qui me transporte, d’où vient ce sentiment qui m’a emporté, suscitant en moi l'émotion et l’admiration, mais l’admiration pour quoi ? Certes, je peux analyser, après coup, tel ou tel élément technique : le contenu, l’exposition, le cadrage etc. qui participe à l’émergence du sentiment de saisir quelque chose d'unique, mais l’essentiel n’est pas là. Il y a autre chose. Serait-ce la présence, cachée derrière ce qui apparaît, du photographe lui-même, son humanité, le regard qu’il partage ? Il se pourrait.
 
 
Provence, 1955
 
 
Visitant récemment une exposition consacrée au photographe Elliott Erwitt au Musée Maillol à Paris — une rétrospective de l'oeuvre de l’artiste de 95 ans, à travers un ensemble de 215 photographies en noir et blanc et en couleur — ces questions me sont revenues. J’ai beaucoup apprécié les clichés en noir et blanc, qui relèvent du régime de l’intime et de la vie quotidienne, plus que les oeuvres de commande, la plupart en couleurs, du photographe publicitaire ou du portraitiste de personnalités. Elliott Erwitt lui-même n’a d'ailleurs jamais caché sa préférence pour le noir et blanc, car, dit-il, ce type de clichés saisit la « synthèse » du thème traité.
 
Mais revenons à ces photographies en noir et blanc : elles immortalisent des moments, parfois incongrus, de la vie quotidienne, que seul un regard vif et aimant peut capturer. Alors oui, ce qui s’offre dans la photographie, ce n’est pas seulement la scène, que pourrait enregistrer n’importe quelle caméra de surveillance sans aucun résultat artistique, c’est la scène transfigurée par le regard de l’artiste, par son humanité, — ce qu’aucune IA (intelligence artificielle) ne sera jamais capable de produire.
 
Tout est dans l’art de saisir les instants de grâce et susciter l’émotion. Elliott Erwitt le dit bien : « Je pense que la chose la plus importante que l’on puisse faire en photographie est de susciter l’émotion, de faire rire ou pleurer, ou les deux à la fois. »
 
Dans un petit film présenté au cours de l’exposition, Erwitt partage à un moment une curieuse remarque à l'occasion d'une interview : "La question la plus stupide qu'on m'ait posée, c'était à Moscou, le journaliste m'a demandé si j'étais là quand j'ai pris la photo... et quelque part, c'était une question intéressante, parce que j'ai répondu : Je crois que j'étais là"… Question, oui, plus intéressante qu’il ne paraît, au-delà du sens trivial : il y a, dans la photo, quelque chose de l'humanité de l’auteur qui transparaît et participe de la beauté.
 
Dans son Esthétique Hegel fait cette réflexion « Nous croyons pouvoir affirmer que le beau esthétique est supérieur au beau naturel, parce qu’il est un produit de l’esprit. L’esprit étant supérieur à la nature, sa supériorité se communique également à ses produits et, par conséquent, à l’art. »
 
Je n’entre pas ici dans les débats qui s’en sont ensuivis quant à la comparaison du beau esthétique et du beau naturel, je retiens seulement la place de l’esprit dans le beau esthétique. C’est, de fait, ce que je ressens devant, par exemple, une belle photographie : c’est un produit de l’esprit. Où je retrouve encore une réflexion d’Elliott Ervitt : "Une image est bonne si elle possède ces deux qualités, la composition et le contenu, mais aussi la magie. » La magie comme produit de l’esprit.
 
 
 
Toutes ces photos sont prises sur le vif ; ainsi, entre autres, celle du California Kiss : cette photo « n’a pas été mise en scène. Je connais ces personnes. Ils s’embrassaient dans leur voiture. J’étais juste à côté », souligne Erwitt :
 
 
New York City, 1946
 
 
California Kiss, USA,1955
 

 

 

Bratsk, Siberia, USSR, 1957
 
 
Museo Del Prado, Madrid, 1995
 
 
 
Ces photo-là sont composées, elles répondent à une commande ; la première pour une marque de chaussures, la deuxième pour le centenaire de la Tour Eiffel :
 
 
New York City, 1974
 
 
Paris, Umbrella jump, 1989
 
 
 

Extrait de biographie

Né le 26 juillet 1928 à Paris, sa famille, d'origine russe, émigre aux États-Unis en 1939. Erwitt étudie la photographie à Los Angeles et travaille en tant que photo-journaliste à New York. À la fin de son service militaire dans les années 1950, Robert Capa, qui admire son style spontané, l’invite à rejoindre Magnum Photos, dont il assumera le poste de président durant trois mandats. « Photographe professionnel par métier et photographe amateur par vocation », Erwitt commence sa carrière en tant que photographe indépendant et travaille pour de célèbres magazines tels que Look, Life et Holiday. Il a parcouru le monde en capturant des scènes sur le vif ou pour répondre à des commandes. Il aime les chiens, qui deviennent le sujet d'une centaine de photos :  « Cela ne les dérange pas si vous les photographiez. Ils ne se plaignent pas et ne demandent pas de tirages », souligne-t-il avec humour. Erwitt vit actuellement à New York.

 



21/04/2023
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