L'Épopée de Gilgamesh (II) Les deux héros
... Retour à l'Épopée : où les éléments principaux du récit sont mis en place
Tablette I : Les deux héros
Je vais entrer dans l’Épopée comme on entre en poésie, car qu’est-ce qu’une épopée sinon un large poème, qui fut d’abord certainement dit ou psalmodié sur une musique monocorde, parfois chanté. Du grec ancien epos, « récit ou parole d’un chant » et poieîn, « faire », littéralement « l’action de faire un récit », l’épopée est le récit poétique d’une grande action historique ou mythique, célébrée par le poète avec de nombreuses figures de style et hyperboles, comme on en trouvera dans l’Iliade. Le héros ici est Gilgamesh, roi d’Uruk qui, de retour d’un long voyage, étant passé par moult épreuves, et ayant acquis la sagesse, va nous conter son parcours initiatique.
Ainsi le proclame le Prologue :
Celui qui a tout vu
celui qui a vu les confins du pays
le sage, l’omniscient
qui a connu toutes choses
celui qui a connu les secrets
et dévoilé ce qui était caché
nous a transmis un savoir
d’avant le déluge.
Il a fait un long chemin.
De retour, fatigué mais serein,
il grava sur la pierre le récit de son voyage.
Dès le début du récit, Gilgamesh, dont le nom signifiait en akkadien « le guerrier qui est en avant », est présenté comme un héros magnifique d'illustre ascendance qui rassemble en lui de tels attributs de force et de beauté que le poète le déclare « pour deux tiers dieu » : c’est dire si l’homme est exceptionnel, mais il n’en demeure pas moins homme — « pour un tiers il est homme » — et c’est par ce côté humain, sa quête désespérée de la vie-sans-fin pour échapper à son destin d'homme, qu’il va nous toucher, au-delà de ses exploits surhumains.
Après que Gilgamesh eut été créé
par les grands dieux
Shamash [dieu-soleil] lui accorda la beauté
et Adad [dieu du tonnerre] la vaillance.
Pour deux tiers il est dieu
et pour un tiers il est homme.
Il est semblable à un taureau sauvage
sa force est incomparable
ses armes sont invincibles.
D’entrée de jeu cependant, les choses se compliquent entre le roi Gilgamesh, par trop jupitérien, qui abuse de son pouvoir (« nuit et jour règne sa violence »), et les gens d’Uruk, « qui vivent sans cesse dans la crainte ». Les dieux décident d’intervenir en créant un rival à la taille de Gilgamesh pour le modérer. La déesse-mère Aruru va fabriquer avec de l’argile un être à l’image d’Anu, dieu du ciel, et de Ninurta, dieu de la guerre :
C’est toi Aruru qui créa cet homme
crée maintenant pour lui un rival
qu’il lui soit par la force du coeur
et du corps comparable,
qu’ils luttent sans cesse ensemble,
ainsi Uruk gagnera la paix et la tranquillité.
Aruru ayant entendu ces paroles
conçoit en elle une image d'Anu,
elle lave ses mains, prend une poignée d’argile,
la lance dans la plaine
et dans la plaine est créé Enkidu le héros,
substance de Nunurta.
Voilà donc Enkidu qui entre en scène. Un homme sauvage qui vit loin de la civilisation, dont la force du coeur et du corps égale celle de Gilgamesh. Mais comment vont-ils se rencontrer ? Enkidu, dont la « seule compagnie est l'animal», qui « parcourt les plaines et les collines » et « avec la harde s’abreuve aux points d’eau », détruit les filets des chasseurs. Ceux-ci se plaignent auprès de Gilgamesh, qui décide de l’attirer dans sa cité par l’entremise d’une courtisane sacrée :
Va chasseur,
emmène avec toi une prostituée du temple
une courtisane sacrée.
Elle dominera cet homme
elle saura l’apprivoiser :
lorsqu’il viendra pour s’abreuver
avec sa harde aux points d’eau,
qu’elle enlève ses vêtements
dévoile sa nudité et les charmes de son corps.
En la voyant il sera attiré vers elle
et deviendra son captif.
Sa harde qui a grandi avec lui dans la plaine
ne le reconnaîtra plus.
Ainsi fut-il fait. Au cours des six jours et sept nuits qu’il va passer avec la courtisane sacrée, Enkidu, initié à l'amour, découvre son humanité. Les bêtes sauvages s’écartent de lui, il est « sans force, ses genoux le trahissent lorsqu’il veut suivre sa harde », mais « son coeur et son esprit sont épanouis ». La courtisane le convainc d'abandonner la plaine pour se rendre à Uruk découvrir la cité et la civilisation, et rencontrer Gilgamesh :
Je te regarde, Enkidu,
tu es pareil à un dieu.
Pourquoi parcours-tu la plaine avec l’animal ?
Viens, je vais te conduire dans Uruk
aux vastes marchés
au temple sacré,
demeure d’Anu et d’Ishtar [déesse de l'amour].
Lève-toi Enkidu
je vais t’emmener à l’Éanna sacré
demeure d’Anu et d’Ishtar
où vit Gilgamesh à la force incomparable
tu l’aimeras comme un autre toi-même
allons, lève-toi de la terre.
À ces paroles "le coeur d'Enkidu se réjouit car il attendait un ami"— en même temps qu'il est impatient de défier Gilgamesh :
Je vais le défier, je vais le provoquer,
je veux crier au coeur d'Uruk :
C'est moi le plus fort, oui c'est moi
qui vais changer les destins,
celui qui est né dans la plaine
est le plus fort et le plus vigoureux.
Gilgamesh, de son côté, fait des songes prémonitoires au sujet d'Enkidu, que sa mère, "l'avisée, l'omnisciente", lui interprète :
Cela signifie qu'un compagnon fidèle
et plein de force
te viendra en aide.
Il est le plus fort dans le pays
et d'une grande vigueur
sa force et sa vigueur sont
comme celles d'Anu.
Ainsi se trouve préparée la rencontre de Gilgamesh et d'Endiku, qui vont s'affronter dans un dur combat qui décidera de la suite de l'Épopée.
À suivre...
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