voilacestdit

voilacestdit

L'idée de nature

 

J'ai hésité à publier ce billet parce que tout le monde (ne) parle (que) de coronavirus, et ce billet ne parle pas de coronavirus. Cependant, si l'on convient qu'un des effets de la crise du coronavirus est de nous obliger à repenser un certain nombre de nos gestes quotidiens et de nos pratiques plus globales  — alors ce billet n'est peut-être pas autant qu'on pourrait croire hors sujet.
 
 
 
« C’est l’heure d’une histoire », avait prévenu cette Américaine sur Facebook. Et voilà qu’elle nous raconte elle-même, dans un message devenu viral, comment elle s’est occupée avec amour pendant deux ans d’une jolie petite succulente (une plante grasse) reçue en cadeau... avant de se rendre compte qu’elle était en plastique.
 
1AA0498D-7DED-4B61-9A9D-A461B2D4850C.jpeg
 
« J’étais tellement fière de cette plante. Elle était fournie, d’une magnifique couleur, vraiment une plante parfaite. Je l’avais devant la fenêtre de ma cuisine. Son arrosage était toute une organisation, si quelqu'un d’autre essayait d’arroser ma succulente je devenais agressive parce que je voulais vraiment bien d’occuper d’elle. J’aimais totalement ma succulente », écrit la jeune femme.
 
Jusqu’à ce jour où voulant la rempoter… elle découvre que sa plante est en plastique !  « J’ai mis tellement d’amour dans cette plante! J’ai nettoyé ses feuilles. J’ai fait de mon mieux pour qu’elle soit belle, et c’est du plastique ! Comment j’ai fait pour ne pas voir ça […] J’ai l’impression que ces deux dernières années ont été un mensonge », conclut l’Américaine.
 
 
60DCF006-6BE6-416F-98CF-0AA27E7C7780.jpeg
 
                                                   
 
Au-delà du côté amusant  (voire succulent) — mais un peu surprenant — de la chose, cela traduit tout de même une curieuse relation à la nature, qui en fait n’est peut-être pas si éloignée que cela de ce qui peut se passer entre l’homme et la nature : à savoir une relation à sens unique et quelque peu abstraite, coupée de la réalité.
 
Ce pot, c’est quasiment une abstraction : ce n’est pas une plante, c’est une idée de plante…  et la relation de notre Américaine à sa plante est totalement à sens unique : la plante, et pour cause, ne lui renvoie rien. Ainsi souvent, quand on parle de la nature, c’est aussi quasiment une abstraction. Quand on oppose 'nature et homme', 'nature et société’,  'nature et art' etc., la nature c’est une idée, ça n’existe pas, on est dans l’abstraction. La nature en fait est tenue à distance, et la relation à elle ne peut être qu’à sens unique.
 
Abstraction et relation à sens unique : ce sont exactement les deux conditions qui ont permis l’exploitation à outrance de la nature  dans notre système économique et politique, avec les effets destructeurs qu’on connaît. La nature, en effet, n’est pas considérée en elle-même, en ce qu’elle est, dans sa réalité (la succulente comme une plante vivante), mais comme une abstraction : c’est une façon d’établir une distance entre les humains et la nature, alors on peut considérer la nature comme une ressource à exploiter. 
 
Dans bien des civilisations de jadis la nature, ce n’était pas cela, ce n’était pas une abstraction. Ces civilisations, d’ailleurs, comme au Japon (voir billet Aux sources de la tradition spirituelle du Japon — Le Shintō 神道 ), n'avaient pas de mot pour ’nature’. Il y avait continuité entre les humains et les non-humains, les uns les autres appartenaient au même monde, qui n’appartenait pas à une espèce Homo sapiens censée être au sommet de la hiérarchie des vivants.
 
La civilisation industrielle moderne a bouleversé cette compréhension du monde et instauré une relation faussée avec la nature. Et c’est ainsi qu’on en arrive aujourd’hui à ce que le développement des énergies fossiles et le réchauffement climatique qu’il engendre aboutissent à un point de bascule qui menace notre futur. D’où l’urgence de reconsidérer notre rapport à la Terre, d’inventer des façons alternatives de l’habiter, des formes alternatives de s’organiser entre humains et d’entretenir des relations avec les non-humains.
 
S’il y a comme une morale de l’histoire — que ce soit la petite histoire (la succulente) ou la grande (notre destinée) — ce serait d’apprendre à sortir du mensonge. 
 


15/03/2020
4 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 101 autres membres