Pour tout l'or de Birmanie
J'étais l'an passé à cette époque-ci en Birmanie - juste après les manifestations des bonzes. La répression battait son plein. Elle se poursuit aujourd'hui encore. Récemment des tribunaux ont multiplié les condamnations à l'encontre des opposants - bonzes, avocats, journalistes... - au régime de la junte. Plus de 2000 détenus politiques restent enfermés dans les prisons. Les choses ne s'arrangent pas : le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, vient d'exprimer sa déception devant l'échec de sa mission de bons offices pour promouvoir la démocratie en Birmanie.
Je me souviens de mes sentiments partagés en visitant la pagode Shwedagon à Rangoon. D'un côté la tristesse : la pagode vide de ses bonzes, la population clairsemée sur le parvis, contrainte à la réserve (J'écrivais : "Le silence, ici, est d'or : personne ne parle politique, les militaires, invisibles en civil, sont partout, contrôlent tout"); et de l'autre, la vision éblouie de la pagode scintillante de tous ses ors dans les couleurs orangées du coucher du soleil... comme hors du temps.
En 1900, Pierre Loti avait écrit, exprimant son émotion à la vue de cette même pagode : "On croirait voir une grande cloche d'or, surmontée d'un manche d'or... C'est bien de l'or à n'en pas douter; cela brille d'un éclat très fin..."
Cet or recouvrant le temple comme d'une pure parure.
Et voilà qu'on apprend qu'à quelques 500 kilomètres au nord de Rangoon, dans la division de Mandalay, sur les contreforts des montagnes, de l'or a été découvert. Ce ne sont plus que bruits et fureurs. Des hommes et des femmes viennent de tout le pays chercher les précieuses pépites, certains creusant des galeries avec des pioches, d'autres transportant les pierres, d'autres encore les cassant, pour quelques milliers de kyats [quelques euros]... Des compagnies s'installent, protégées par la junte, utilisant la technique d'extraction au cyanure qui pollue l'environnement... L'or qui avilit.
Ô l'or! sang de la force implacable et moderne;
L'or merveilleux, l'or effarant, l'or criminel,
L'or des trônes, l'or des ghettos, l'or des autels;
L'or souterrain dont les banques sont les cavernes
Et qui rêve, en leurs flancs, avant de s'en aller,
Sur la mer qu'il traverse ou la terre qu'il foule,
Nourrir ou affamer, grandir ou ravaler,
Le coeur myriadaire et rouge de la foule.
Verhaeren, Mult. splendeur, 1906.
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