Retour sur la Pologne
Comme vous le savez peut-être (mais les médias en France en ont fort peu parlé), Pawel Adamowicz, maire de la ville de Gdansk, a été poignardé à mort dimanche 13 janvier lors d'un événement caritatif public de collecte de fonds pour l'achat d'équipements hospitaliers. La ville (à laquelle j'ai consacré mon premier billet sur la Pologne : Quelques impressions de Pologne (I) Gdansk ) est sous le choc. Pawel Adamowicz défendait la démocratie polonaise et les droits des minorités, des exilés, des migrants, résistant à la vague d’intolérance qui submerge son pays. Des milliers de personnes se sont rassemblées en silence dans le centre historique de Gdansk pour rendre hommage à Pawel Adamowicz et protester contre la violence. Sa mémoire mérite d'être honorée.
Gdansk pleure son maire
Ma pensée est donc revenue vers ce pays meurtri qui m'a beaucoup marqué lors de mon voyage l'été dernier. Dans le même temps, j'ai reçu d'un de mes lecteurs, Francis Heux, que je remercie ici, le texte suivant extrait d'un de ses Carnets de voyage en Pologne, lequel texte complète bien mes propres impressions en apportant son témoignage personnel :
Point d’orgue dans le parc Chopin
Dernier jour en Pologne à Varsovie. Nous nous sommes égayés dans le parc Chopin (au nom imprononçable pour nos langues de latins). Ce matin il a bien plu mais maintenant il fait grand beau sur les parterres de roses et si les gens ont ré-ouvert les parapluies c’est cette fois pour se protéger du soleil. Sous un immense bronze romantique de Chopin, on a installé un piano à queue sous un auvent de toile. Le voyage est terminé et à la perspective d’écouter ce magnifique compositeur mi-français, on se sent déjà un peu comme à la maison : un point d’orgue à la fin d’un beau voyage. En attendant le début du concert, je repasse dans ma tête le powerpoint des images du voyage.
Et tout à coup, sans prévenir, la terrible image est revenue.
Pourtant pour Auschwitz, on s’était préparé à l’abominable. Dans l’autocar de Bogdan, on n’avait pas eu le cran de chanter, comme on le faisait d’habitude. Passée la sinistre entrée « Arbeit macht frei », on avait enchaîné les images d’horreur : les clôtures électrifiées, la crasse des grabats, le gibet dans la cour où on suspendait pendant des heures -par les poignets liés dans le dos- des malheureux pour les punir de fautes imaginaires. On était passé devant des montagnes de chaussures, des tas de tresses blondes et dans une vitrine, deux mignonnes petites robes d’enfant, avec leurs petites fleurs brodées. C’était terrible, mais on s’était préparés comme pour un marathon. On avait tenu le coup.
Mais il y avait eu tout à l’heure, en contrebas du monument aux juifs, cette dernière visite d’une exposition en extérieur de vieilles photos noir et blanc.
Sur l’un des panneaux, Patrick avait, du bout de ses doigts, écarté les gouttes de pluie qui embrumaient une photo. Et, cette fois, nous avons été pris par surprise : trois petits enfants abandonnés, à même le sol, au pied d’un mur criblé de balles.
Nos tripes de pères et de mères s’en étaient d’un coup douloureusement tordues.
Un des enfants est allongé par terre ; dort-il ? Ou est-il malade, inconscient … ou déjà mort ?
Le second, un petit garçon, regarde l’objectif d’un œil teigneux : il lutte encore. Quelle belle personnalité il aurait eu ce gamin s’il avait eu le droit de devenir un homme !
La plus grande a peut être déjà compris qu’ils vont mourir tous les trois. Que peut-on espérer quand ceux qui ont noué tendrement votre pauvre foulard ce matin ne sont plus là et que vous vous retrouvez seuls, assis à même le sol d’un monde qui vous a totalement oubliés. C’est elle l’aînée ; elle devrait faire mais ne sait ni ne peut. Alors elle hurle son désespoir.
Sur le banc de pierre encore humide où je me suis assis parmi les roses blanches, le jeune couple de Polonais avec qui j’avais échangé tout à l’heure quelques mots courtois en Anglais se demande bien pourquoi leur voisin Français fait tout d’un coup une si drôle de tête.
Au secours !! Et l’image de petite Louise vient me sauver.
C’était une fin d’après-midi, j’avais accompagné ma fille Aurélie pour aller rechercher petite Louise à l’école. Petite Louise était sortie, souriant en cherchant sa mère dans la foule des parents qui attendaient dans la cour. Cette fois il y avait papiFan à côté d’elle. Alors, elle était accourue, cheveux blonds au vent, se jeter dans mes bras en riant.
Petite Louise, quand viendra l’heure de tes premiers grands chagrins : perte d’un premier proche parent, premier chagrin d’amour… dis-toi bien que la vie est quand même un vrai cadeau.
Et qu’il ne faut pas casser un si beau jouet.
À Varsovie, dans le parc Chopin, le concert du dimanche a commencé, la sérénité est revenue sur les bancs de pierre.
Et le soleil a fini de sécher l’eau sur le gravier et au coin des yeux d’un homme aux cheveux blancs.
Francis Heux
en ce jour du 74ème anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz-Birkenau
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