Vivre, aimer selon le philosophe Marcel Conche
Un ami, fidèle lecteur du blog, Jean-Claude S., m'a communiqué le lien d'une vidéo - un récent documentaire de France 3 intitulé : "Vivre, aimer selon le philosophe Marcel Conche".
J'ai déjà eu l'occasion de parler ici de l'approche philosophique de Marcel Conche [voir le billet Immortalité de l'âme].
Je tiens personnellement Marcel Conche pour un philosophe de référence. J'apprécie sa culture grecque antique, sa pensée nourrie des Antésocratiques, sur lesquels il a beaucoup écrit - des ouvrages qui font autorité -, et surtout sa liberté de pensée, une pensée personnelle, loin des dogmatismes et des systèmes. Si d'ailleurs Marcel Conche est tant attaché à la pensée des premiers philosophes grecs, c'est précisément pour cela, parce qu'il y trouve une école de liberté : "S'il y a plus de vérité chez les Antésocratiques, cela tient à ce qu'ils sont plus près - se sont moins écartés - des intuitions initiales de l'homme libre qui, par soi-même seulement, pense le monde et la vie" [Confession d'un philosophe].
Pour Marcel Conche, la philosophie est recherche de la Vérité - avec un grand V. "Mais, poursuit-il, qui croira qu'il sera jamais possible de posséder la Vérité (absolue) ? Le temps des dogmatismes, et même le temps des systèmes, ce temps-là est passé. Sur le fond d'un scepticisme inéluctable s'inscrivent des choix philosophiques. À partir de mes convictions vécues (Gesinnunen, dit Hegel), qui sont tout autre chose que des opinions (car non induites par la collectivité ou par des préférences, mais forgées dans l'expérience vive), s'est dessinée, s'est constituée ma propre vision du monde et de la vie, d'ailleurs toujours en devenir - même si ce devenir a un sens. J'ai ma vérité ; quant à posséder la Vérité, je ne saurais y songer" [id.].
La démarche intellectuelle de Marcel Conche est inspirée de celle de Montaigne - non que Montaigne lui ait appris l'essai [" J'étais persuadé, bien avant de le lire - à quarante ans passés ! - que le temps des systèmes était, en philosophie, révolu, que la condition métaphysique de l'homme était une condition d'ignorance, et que l'oeuvre du philosophe ne pourrait consister qu'en tentatives toujours recommencées"] - mais il l'a conforté dans son approche : "La démarche de Montaigne est une démarche d'humilité - et c'est aussi la mienne. Il n'engrange pas ses certitudes. Elles subsistent le temps d'une évidence, et puis se délitent, quitte à être restaurées" [Philosopher à l'infini].
Le temps d'une évidence, dans cette recherche de la vérité sur soi, toujours remise en cause ? Peut-être faut-il comprendre ainsi cet épisode de vie récent qui marque le parcours de Marcel Conche : à près de 90 ans, il s'amourache d'une jeune Eurasienne, pour des raisons philosophiques, - oui, il voit en elle la femme idéale, une figure de la divinité grecque... - et quitte sa maison de Treffort dans l'Ain pour la rejoindre en Corse, où il espère mourir (voire envisage de se donner la mort) dans ses bras, et être enterré dans son jardin, en haut de la colline qui domine la mer...
Las ! Un an plus tard, il revient dans sa Corrèze natale. Marcel Conche dit pudiquement dans la vidéo : "Les choses ont changé"... Son ami Roland Jaccart (qui a préfacé certains de ses ouvrages) écrit ceci sur son blog :
[...] La surprise, un an plus tard, c’est qu’Émilie ne supporte plus la présence de Marcel. Plus de tombe dans son oliveraie. Adieu Clotilde de Vaux et Auguste Comte ! Il serait prêt à tout pour elle, mais elle ne veut plus rien de lui. Elle me le dépeint comme un colérique exténuant d’égoïsme. Elle refuse que son nom soit mentionné dans Le Journal étrange, hymne à leur amour. Elle s’est éprise d’un jeune Italien et m’explique froidement que la psychologie de la femme mariée – elle compte l’épouser – diffère radicalement de celle de la femme libre. Elle tourne la page. Adieu Marcel Conche et son complice, Noël, le berger corse. Je conseille à Marcel la lecture de l’essai sur les femmes de Schopenhauer. Il est plongé dans Agatha Christie et me demande si elle n’a pas raison quand elle écrit que toutes les femmes sont des démons. Je confirme. Il rit en songeant qu’il a tout faux sur les femmes et l’amour. Il a hâte de fuir la Corse. Pour le distraire, je lui demande de commenter pour un magazine philosophique un entretien avec Brigitte Bardot. Elle déclare que si elle avait une erreur à corriger, ce serait celle d’être née. Marcel accepte. Après tout, pourquoi ne finirait-il pas ses jours à la Madrague ?
Lorsque je demande à Marcel Conche si cela ne le gêne pas que je parle sur un ton légèrement sarcastique des dispositions successives qu’il a prises pour ses funérailles, il m’assure que non. Précisant, malgré tout, qu’il n’est pas encore mort."
Il n'empêche. Il dit encore dans la vidéo, après son retour de Corse, donc : "Si elle me disait 'Reviens en Corse', j'accourrais en Corse... Mourir, je le crois, me sera facile, si cela a lieu en présence d'Émilienne [elle lui a interdit de citer son nom, alors maintenant il l'appelle Émilienne] et si je puis, comme Socrate fait avec Phédon, lui caresser la tête et presser dans ma main les cheveux qui flottent sur son cou"...
André Comte-Sponville [avec qui il a écrit Confession d'un philosophe] y voit "étonnement et admiration". En tout cas Marcel Conche n'en finit pas de chercher sa vérité, et c'est cela qui est beau.
"Vivre, aimer selon le philosophe Marcel Conche"
Un documentaire de Marie Cristiani Une coproduction : GB Pro, France Télévisions
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