voilacestdit

voilacestdit

Voltaire combattant des Lumières

 

 

Je n’ai pas de sympathie particulière pour le personnage de Voltaire, ce diable d’homme hyper-actif, extravagant, turbulent, excessif, souvent déchaîné… (dans "Voltaire", il y a le mot "volt" qui, certes, n’existait pas encore, datant de 1800, mais Voltaire a quelque chose de monsieur 100 000 volts), tout occupé à briller de sa personne, capable d'assassiner ses victimes avec ses mots d’esprit...
 
Comment, cependant, ne pas être admiratif devant la pugnacité de ses combats contre l’injustice, contre les abus de pouvoir, pour obtenir la réhabilitation de victimes de l’intolérance et du fanatisme (Calas, le jeune La Barre…), préparer les esprits à vivre libres - tous combats menés infatigablement, lui toujours malade, jusqu’au bout avec la même énergie, la même foi, avant de mourir, épuisé, dans sa quatre vingt quatrième année, le 30 mai 1778, à la veille de la Révolution.
 
Le dissident de Ferney, déclaré persona non grata plus de trente ans par la cour de Versailles, interdit de séjour à Paris, saura sur ses terres, où il joue à l'aristocrate, utiliser à bon escient sa fortune considérable (il s’entendait en affaires et placements) pour faire renaître un pays abandonné, assécher les marais, les convertir en prairies et en labours, planter des milliers d’arbres, installer des centaines de ruches, construire des maisons, fonder cinq fabriques : tannerie, dentelles, céramique, soie, horlogerie  (il se fait courtier en montres auprès des cours d'Europe) etc. qui apportent de l’activité alentour au pays de Gex. « Vous ne pouvez, dit un visiteur, le chevalier de Boufflers, vous faire l’idée de la dépense et du bien qu’il fait. Il est le roi et le père du pays qu’il habite, il fait le bonheur de ce qui l’entoure… » Avec ça, Voltaire écrit, c’est tout lui : « Je me ruine, je le sais bien, mais je m’amuse. Je joue avec la vie, voilà la seule chose à quoi elle soit bonne. » Avec la production littéraire.
 
Cette production littéraire, Voltaire la consacre à l’écriture de tragédies, bien ignorées de nous, mais qui constituaient dans son esprit l'essentiel de son oeuvre littéraire : L’Orphelin de la Chine, Tancrède, Saül, Olympie, Le Triumvirat, Les Scythes  (cette dernière tragédie à la limite du pamphlet : à la place de Scythes tout le monde pouvait lire Suisses), La Princesse de Babylone, Les Lois de Minos, et son chant du cygne, Irène.
 
Des tragédies, mais aussi, outre quelques ouvrages historiques conséquents comme, avec son Siècle de Louis XIV écrit à la cour de Frédéric à Berlin, le Précis du Siècle de Louis XV, ou une Histoire de Russie ; des écrits philosophiques : une quarantaine d'articles pour l’Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, le Dictionnaire philosophique portatif,  La Philosophie de l’Histoire, Le Philosophe ignorant, des Dialogues et Entretiens sur les sujets les plus divers etc.; des contes, comme les malicieux Contes de Guillaume Vadé, ou son chef-d’oeuvre Candide ; en sus de tout cela, une immense correspondance (Voltaire, à Ferney, correspond avec tout ce qui compte en Europe : plus de 20 000 lettres retrouvées) ; et encore : de nombreux écrits polémiques, des libelles, des pamphlets, qui donnent la mesure de son talent, de sa fougue et de son implication dans les grands débats de société de son temps.
 
De tous ces écrits de circonstance, il en est un qui a gardé pour nous, plus que les autres encore, valeur de référence et donne de Voltaire l’image d’un philosophe épris de liberté («Plus j’approche de ma fin, plus je chéris ma liberté ») et défenseur des libertés pour tous, intellectuel engagé comme on aimerait qu’il y en eût encore parmi nous aujourd’hui, en ces temps où des libertés fondamentales sont ouvertement menacées : je veux parler de cet opuscule, le Traité de la tolérance, écrit, peut-on dire, en moralité de l’affaire Calas, qu’il a portée de bout en bout, jamais lâchée (il n’abandonnera « cette affaire qu’en mourant », écrit-il en pleine bataille).
 
C’est au commencement de mars 1762 qu’il en eut la première nouvelle. « Vous avez entendu parler, écrit-il, d’un bon huguenot que le Parlement de Toulouse a fait rouer pour avoir étranglé son fils » qui voulait se faire catholique. Mais, à regarder de plus près, Voltaire se demande, quelques jours plus tard, s’il ne se trouve pas devant un de ces actes « infâmes » de l’intolérance. Une investigation sur les faits, commanditée par lui, le conforte dans son opinion : « Il est avéré que les juges toulousains ont roué le plus innocent des hommes ». Calas, le huguenot, père de cinq enfants, « ayant averti la justice que son fils aîné, garçon très mélancolique, s’était pendu, a été accusé de l’avoir pendu lui-même en haine du papisme pour lequel ce malheureux avait, dit-on, quelque penchant secret. Le père Calas a été roué, le pendu, quoique huguenot, considéré martyr. » Voltaire ajoute, c’est la clé de son engagement :  "J’en suis hors de moi : je m’y intéresse comme homme, un peu même comme philosophe. Je veux savoir de quel côté est l’horreur du fanatisme."  C’est en tant qu’homme et en tant que philosophe que Voltaire se sent touché ; comme individu et comme éveilleur de conscience : « Je défie Paris, tout frivole, tout opéra-comique qu’il est, de ne pas être pénétré d’horreur. » 
 
Voltaire prend fait et cause pour Calas. Il tente d'obtenir les pièces du procès : en vain : le Parlement de Toulouse refuse de les communiquer. Voltaire monte une campagne pour obtenir la publication de ces pièces. Il mobilise son réseau (« Écrivons de tous côtés, soulevons le ciel et la terre, il faut frapper à toutes les portes ») pour appuyer une requête en révision. 
 
Enfin, après moult démarches, contacts, relances inspirées par Voltaire, le Conseil est saisi. La cause est plaidée le 8 février 1763 par le maître des requêtes au cours d’une séance solennelle dans la galerie de Versailles : après trois heures de débats, le jugement de révision est prononcé unanimement. Les pièces seraient livrées et la révision suivrait. En épilogue, le jugement de Toulouse sera définitivement cassé, les parlementaires, qui avouent leurs sympathies pour le catholicisme janséniste, désavoués. Le Conseil du roi réhabilite la mémoire de Calas.
 
La victoire est exemplaire. Voltaire aurait pu en rester là. Il a agi en tant qu’homme - il prolonge le combat en tant que philosophe : il écrit en quelques jours le Traité sur la tolérance, publié en mars 1763, qui deviendra emblématique de la lutte contre tous les fanatismes. Voltaire ouvre ainsi la voie à ce que sera, ce que devrait toujours être, le rôle de l’intellectuel dans la société, lequel, grâce à la place qu’il occupe dans la production des valeurs sociales, peut lier l’individuel et le collectif. D'une affaire individuelle, il fait une cause universelle, qui concerne toute la société, le vivre-ensemble. 
 
Le plus remarquable dans l’affaire, étonnant aux yeux de Voltaire lui-même qui ne s’y attendait pas et en est très heureux, est l’écho considérable que reçoit dans l’opinion ce Traité, reconnu, célébré, avec ce mot qui va éberluer tout son siècle : tolérance.
 
L’opinion, c’est à l’époque ceux qui la font, qui appartiennent à la société privée, noble ou bourgeoise, riche ou pauvre, qui a conquis un espace politique autonome, face à la toute-puissance de l’État. C’est le cercle éclairé des lecteurs de Voltaire et des philosophes. Mais c’est aussi, dans les années 1760, le public de gens qui, sans même savoir lire, dans les lieux publics, les tavernes, les jardins, entendent des extraits, commentent, se nourrissent de pamphlets, libelles - certains interdits, d’autant plus cités, répétés. Voltaire a fait appel à l’opinion : l’opinion le consacre. Elle en fait un mythe, une légende, une figure d’histoire.
 
La Révolution, ce n’est pas encore maintenant, il s’en faut de vingt ans. Voltaire l’a cependant entrevue. De façon prémonitoire il écrit à Hennin, l’ambassadeur de France à Genève, en octobre 1768 : « Que vous êtes heureux ! vous verrez le jour de la Révolution dont je n’ai vu que l’aurore ».
 
Les feux de l’aurore ne doivent pas rien à Voltaire. La Révolution n’a pas été seulement entrevue mais "nécessitée et accomplie à demi, comme l’écrit Maurice Barrès, dans l’état d’esprit de Voltaire". La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en porte la marque, qui inscrit dans ses articles que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses » et que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme ». 
 
 
IMG_5414.jpg
 Statue de Voltaire, rue de Seine à Paris
 
« La Révolution est nécessitée et accomplie à demi dans l’état d’esprit de Voltaire »
Maurice Barrès


28/03/2015
1 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 104 autres membres