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Corps, âme et esprit

 

Un des précédents billets, intitulé  Devant la mort, a suscité de la part de mes lecteurs quelques questions, certaines exprimées sur le blog, d’autres sur ma messagerie. Je retiens celles-ci : quel sens donnes-tu au mot âme, et à celui d’esprit ? Ces deux notions sont-elles différenciées ? ou représentent-elles deux aspects d’une même entité ?
 
 
Pour répondre, je vais revenir un peu en arrière. Dans ma jeunesse, j’ai appris que l’homme était composé d’un corps et d’une âme, le corps dépérissant à la mort tandis que l’âme, immortelle, s’en allait vers le ciel. Au-delà de cette représentation imagée, il faut entendre que l’homme est conçu comme composé de deux entités, le corps et l'âme : on parle d’anthropologie binaire, ou de dualisme corps-âme.
 
Ce dualisme corps-âme fait partie de l'enseignement de l’Église catholique. Citations du Catéchisme officiel (1992) :
 
« 366  L’Église enseigne que chaque âme spirituelle est immédiatement créée par Dieu (cf. Pie XII, enc. " Humani generis ", 1950 : DS 3896 ; SPF 8) – elle n’est pas " produite " par les parents – ; elle nous apprend aussi qu’elle est immortelle (cf. Cc. Latran V en 1513 : DS 1440) : elle ne périt pas lors de sa séparation du corps dans la mort, et s’unira de nouveau au corps lors de la résurrection finale. »
 
« 367 Parfois il se trouve que l’âme soit distinguée de l’esprit. Ainsi S. Paul prie pour que notre " être tout entier, l’esprit, l’âme et le corps " soit gardé sans reproche à l’Avènement du Seigneur (1 Th 5, 23). L’Église enseigne que cette distinction n’introduit pas une dualité dans l’âme. »  
 
L’homme donc est conçu comme composé de deux entités : corps et âme ; l’âme pouvant être distinguée de l’esprit (ce n’est pas très clair)... « sans que cette distinction introduise une dualité dans l’âme. » 
 
 
 
Ceci est l’enseignement d’aujourd’hui. Mais dans l’Antiquité, ainsi qu'au temps de St Paul et des Pères de l’Église, c’est autre chose qui était enseigné, à savoir que l’homme est composé, non pas de deux, mais de trois entités : corps-âme-esprit : on parle d’anthropologie ternaire, ou tripartite. C’est personnellement la conception à laquelle je me rattache et l’anthropologie qui m’inspire.
 
Ce qui caractérise cette anthropologie, comme exposé dans les écrits anciens, ce n’est pas la distinction du corps et de l’âme, mais celle de l’âme et de l’esprit. L’homme est un être composé de trois dimensions, à savoir : le corps, l’âme et l’esprit. Ces trois dimensions sont ontologiques, c'est-à-dire nécessaires à la définition de son être.
 
Le corps, par ses cinq sens, constitue, comme dirait Merleau-Ponty, notre « être-au-monde », il nous met en relation avec le monde physique (le monde des sens), monde inséparablement fait de matière, d’espace et de temps.
 
L’âme (de anima en latin, la psyché en grec) met en relation avec le monde psychologique, le psychisme, le mental, le monde intelligible (perceptions, émotions, sentiments, pensées…). L’âme et le corps sont irréductibles l’un à l’autre. Blaise Pascal dirait que ce sont là choses appartenant à des « ordres de réalité » différents.
 
L’esprit enfin, appartient lui aussi à un ordre de réalité particulier. L'esprit est ouverture à quelque chose de plus grand que soi, il ouvre sur le monde spirituel. Cet ordre de réalité est immatériel, atemporel, non spatial.
 
Cette anthropologie tripartite, on la trouve non seulement chez des auteurs de l'Antiquité en Occident, mais également en Orient, et aussi dans la chrétienté des origines et chez les Pères de l’Église. Ce n’est pas le lieu ici de citer toutes les sources historiques, mais si je devais n'en retenir qu'une, chrétienne, ce serait celle de St Irénée de Lyon, auteur d'un célèbre traité intitulé Contre les hérésies, où il constate précisément des hérétiques : « Ils ne comprennent pas que trois dimensions constituent l’homme achevé à savoir : le corps, l’âme et l’esprit ».
 
 
 
 
Mais revenons à notre propos. Je partage, quant à moi, la conception de l’anthropologie selon laquelle l’homme est une totalité physique-psychique-spirituelle. Mais attention, il ne s’agit pas de trois étages, mais de trois « ordres de réalité » différents. L’esprit, d’autre part, doit être conçu au sein d’une certaine dynamique. St Irénée écrit que c’est l’homme achevé (teleios) qui est constitué de trois dimensions. Le corps est donné, l’âme est donnée — certes, ils auront encore à grandir, mais ils existent déjà à la naissance ; l’esprit, lui, est donné en puissance, il faut l'actualiser : autrement dit, l’accomplissement de l’homme est dans la dynamique vers les réalités spirituelles (certains spirituels parlent de cette dynamique comme d’une métamorphose).
 
Tel est donc le mouvement de cette anthropologie. Il est celui d’une tension vers un achèvement toujours situé au-devant de nous. Le sens de l'existence humaine, c'est de devenir homme achevé, teleios : corps, âme, esprit.
 
Un neuropsychiatre comme Viktor E. Frankl, rescapé d'Auschwitz, mort en 1997, dont les ouvrages font référence, partageait cette conception d’anthropologie spirituelle et en faisait la base de sa pratique. Je cite volontiers ces lignes en guise de conclusion :
 
 « Que l’être de l’homme, en tant qu’individué, soit centré chaque fois autour d’une personne (comme centre spirituel, existentiel), c’est cela et cela seulement qui fait que cet être échappe à la dispersion : seule la personne spirituelle fonde l’unité et la totalité de cet être : l’homme. Elle fonde cette totalité comme physique-psychique-spirituelle. Ici nous ne saurions trop insister sur ce fait que c’est seulement cette trinité ternaire qui constitue tout l’homme. Le propos si fréquent présentant l’homme comme « totalité corps-âme » n’est nullement justifié ; corps et âme, admettons-le, forment une unité — disons l’unité psycho-physique. Mais il n’est pas question que cette unité résume la totalité humaine : pour former celle-ci, pour compléter ce tout de l’homme, il faut en plus le spirituel ; et le spirituel est même nécessaire en tant qu’élément spécifique de l’homme. Aussi longtemps que l’on parle seulement de corps et d’âme, on ne peut encore parler de totalité. » 
 
«  Être homme c’est toujours déjà se dépasser, et cette transcendance de soi-même est l’essence même de l’existence humaine. » 
 
 
 
 


03/05/2023
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