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La Chine : chacun pour soi, camarades

 

La Chine, encore la Chine qui fait débat ; pas seulement par sa puissance financière : elle viendrait même au secours de l'Europe ? mais que va-t-elle nous exporter ? ça commence par l'argent, ensuite, dans la foulée, ce modus vivendi ? Un post d'Alexandre qui reprend un article du Monde qui laisse pantois.

 

 

Chacun pour soi, camarades

 

Mon post sur le sentiment de "chacun pour soi" en Chine vient de trouver dans l'actualité, mais à quel prix, l'appui d'un fait divers édifiant.

Cet article paru dans le journal Le Monde (reproduit ci-dessous sans l'accord des ayant-droits) raconte comment dans la ville de Huangqi, dans une rue animée, Yueyue, une petite fille de deux ans, a été écrasée par un camion, est restée blessée au sol sans que personne n'y prête attention, avant qu'un second camion ne lui roule sur les jambes sans plus s'arrêter que le premier. 18 personnes passeront devant elle sans s'en occuper (vidéo de surveillance à l'appui). Elle est morte à l'hôpital hier.

Vous n'y croyez pas ? Allez faire tour en Chine. Vous y croirez au retour.

La seule bonne nouvelle dans cette histoire, c'est la réaction massive des Chinois. Une part au moins de la population comprend le chemin suicidaire sur lequel la société chinoise s'est engagée.

Une petite fille en pantalon rouge se dandine sur une portion d'allée couverte, entre des boutiques de matériel de nettoyage. Des balles de marchandises si hautes qu'elles débordent d'une échoppe. On est à Huangqi, près de Foshan, un centre industrieux de la province du Guangdong. 
Yueyue a 2 ans, ses parents, venus du Shandong, à l'autre bout de la Chine, tiennent l'une des 2 000 boutiques de ce marché de la quincaillerie de 400 000 m2, sorti de terre il y a dix ans à peine. En quelques secondes, c'est le drame. Une camionnette la renverse et passe sur son corps avec sa roue avant droite. Le chauffeur s'arrête un instant. Puis repart, écrasant une nouvelle fois la fillette avec sa roue arrière. 
Un passant déambule sans prêter attention à Yueyue qui gît à terre. Survient un homme à Mobylette qui contourne l'enfant. Une troisième personne jette un regard sans s'arrêter. Puis une deuxième camionnette apparaît. Elle roule sur les jambes de l'enfant - essieu avant, essieu arrière. Défileront devant l'enfant blessée un cycliste encapuchonné et dégoulinant de pluie, à la monture chargée de longues tiges. Un triporteur pressé dont la benne est remplie de cartons vides. Une dame trottinant avec sa fillette. Un motocycliste qui s'arrête, perplexe, et se retourne même vers Yueyue. 
Ainsi de suite jusqu'à la... dix-neuvième personne. Une petite dame sèche comme un coup de trique. Elle s'appelle Chen Xianmei et sera ensuite fêtée par les médias et couverte de récompenses. Mais, pour l'instant, ce n'est qu'une récupératrice de métaux qui arpente les allées du marché en quête d'un bout de ferraille. Quand elle voit la petite fille par terre, elle pose son baluchon et prend le corps mou comme une chiffe, le déplace sur le côté. Appelle à l'aide. La mère accourt, soulève sa fillette inanimée. C'est une jeune femme au beau visage émacié que l'on verra ensuite recroquevillée dans l'hôpital militaire de Canton où Yueyue a fini par êtretransportée. Son mari à côté d'elle est en sanglots.
La vidéo, capturée par une caméra de sécurité, a fait le tour des télés chinoises depuis mardi, et gagné les réseaux en ligne du monde entier. Vendredi 21 octobre, Yueyue est morte des suites de ses blessures.
 
Ce spectacle insoutenable de l'indifférence est un électrochoc pour les Chinois, qui s'interrogent, comme ils ne l'ont jamais fait, sur un syndrome qui n'est pas tout à fait nouveau - même l'écrivain Lu Xun le décrivit il y a plus d'un siècle, dans L'Appel aux armes. Inertie, crainte de se mêler des affaires d'autrui... On n'intervient pas, car personne ne le fait, la culpabilité en est alors réduite d'autant, divisée par le nombre d'indifférents avant vous : "Tout cela traduit une confiance bien faible dans la société", avance Hu Shenzi, un psychologue parmi d'autres qui donne son avis au Quotidien de Canton. 
Des faits divers retentissants ont façonné en Chine le sentiment qu'un "bon Samaritain" ne risque que des ennuis. L'affaire Peng Yu, en 2006, est connue de quasiment tous les Chinois : à Nankin, un jeune homme, Peng Yu, qui s'était porté au secours d'une dame tombée dans la rue et qui l'avait conduite à l'hôpital, fut accusée par celle-ci de l'avoir renversée. Elle fit un procès, le juge lui donna raison. L'infortuné dut débourser plusieurs milliers de yuans. En août, un chauffeur de bus à Rugao, dans le Jiangsu, s'est arrêté pour relever une dame âgée qui avait fait une chute de vélo - elle aussi réclama une indemnisation. Mais la police visionna les images de la caméra du bus et découvrit que le chauffeur était innocent. 
Avant Yueyue, d'autres affaires ont elles aussi conduit à des examens de conscience sur la réticence à se porter au secours d'autrui. Des cas de chauffards qui ne s'arrêtent pas, voire... achèvent leurs victimes, ont plusieurs fois ému l'opinion. Quand, il y a quelques semaines, une touriste américaine a plongé dans un lac d'Hangzhou, pour sauver une jeune fille qui s'y noyait, les internautes se sont extasiés sur son héroïsme. Mais voilà, rien n'y fait : un "grand froid" a gagné les rouages de la société chinoise et paralyse les "relations humaines", analysent les médias. Le service de microblog Sina Weibo, le Twitter chinois, a recensé près de quatre millions de messages sur ce thème de l'indifférence depuis l'horrible accident de Yueyue. Au moins 400 000 usagers avaient relayé, jeudi 20 octobre, le message : "S'il vous plaît, cessons d'être aussi froids !"
Enquêtant sur le marché d'Huangqi, le reporter du quotidien Nanfang Dushi Bao, de Canton, constate que personne ou presque ne connaît son voisin. On trime, on besogne et l'on ne pense qu'à ça, un "gigantesque marché et un froid si terrible" - à l'image, insinue-t-il, de la Chine entière. Sans foi ni loi, l'empire du Milieu ? Le paradoxe, c'est que tous ceux dont le premier réflexe serait d'aider une personne en difficulté craignent justement d'être entraînés dans un procès à l'issue aussi fluctuante que l'humeur du juge. Et qu'aucune loi ne sanctionne la "non-assistance à personne en danger".
Les autorités du Guangdong ont pris l'initiative de lancer sur le microblog Weibo une enquête pour sonder le public. 63 % des 18 000 personnes qui y ont répondu à ce jour sont favorables à une loi pour "protéger les bons Samaritains". Pour qu'un jour, peut-être, plus aucune Yueyue ne passe sous les roues de deux camionnettes de livraison et n'agonise sous les yeux de dix-huit passants.
 
Brice Pedroletti


03/11/2011
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