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"anéantir"

 

 

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J’ai abordé le dernier Houellebecq comme si ce n’était pas du Houellebecq. Car le personnage m’importe peu, je fais abstraction de l’auteur, pour m’intéresser au récit, et celui-ci, je dois le dire, m’a réellement happé. Certes l’atmosphère n’est guère joyeuse, les personnages sont pour le moins désabusés, mais ce qui est passionnant dans le récit, au demeurant assez bien mené, c’est le regard qui est porté sur notre société, un regard lucide, sévère, difficile parfois à supporter, mais qui ne manque pas de compassion, selon moi.
 
Je dis : 'selon moi', car j’ai lu certaines critiques qui ne partagent pas ce point de vue. Ainsi, dans l’émission La Grande table critique, de France Culture, les trois invités ont éreinté le livre. Pour Marie Sorbier, c’est « un roman plat qui ne suscite que l’ennui » ; Johan Faerber, lui, dénonce la pauvreté de l’ambition littéraire de l’écrivain, parlant d’ « absence d’écriture » et de « platitude jouant sur la platitude » ; pour Lucile Commeaux enfin, « la dimension de thriller politico-mystique n'est qu'un leurre ». Pas de quoi donner envie de lire les 730 pages du roman !
 
Cependant, pour ma part, loin de trouver de l’ennui, j’ai pris plaisir à suivre les méandres du récit, j’ai trouvé que le roman était tout sauf plat, comme je le montrerai, quant à la dimension thriller (peut-être ce qui fait le plus penser à Houellebecq comme on le connaît), elle me paraît être plutôt accessoire dans la structure de ce récit.
 
Nous sommes à la veille de 2027, année d'élections présidentielles. Le personnage principal, Paul Raison, énarque, inspecteur des finances approchant de la cinquantaine, travaille comme conseiller personnel du ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Juge (clone de Bruno Le Maire), dont il est très proche. Le père de Paul, Edouard Raison, un ancien de la DGSI, vient d’avoir un AVC sévère. Avec Prudence, la femme de Paul, elle-même énarque et inspecteur des finances, travaillant à la direction du Trésor, les choses ne vont pas trop bien : le couple vit comme séparé dans un magnifique duplex sur le parc de Bercy. Paul a une soeur, Cécile, d’une dévotion étroite, qui vit à Arras, mariée à un notaire au chômage, et un frère plus jeune, Aurélien, qui travaille comme restaurateur d'oeuvres d'art au Ministère de la Culture et est marié à Indy, journaliste genre anticonformiste, pas très affable.
 
C’est autour de ces personnages, rassemblés par la maladie du père, que le récit va se nouer. Certes la dimension thriller sur fond de menaces et d’attentats terroristes est aussi présente, le contexte de l'élection présidentielle (dans laquelle Bruno Juge joue un rôle de premier plan) tient une certaine place etc., — mais tout cela n’est qu'une toile de fond, décrit l'ambiance dans laquelle se déroulent ces histoires de vie. Le vrai récit, bouleversant, c’est celui de cette famille où se retrouvent, autour du père en fin de vie, les personnages aux destins entrecroisés, qui affrontent vaille que vaille, ensemble ou dans la solitude, la vie, la maladie, la mort… On a là, sur un tempo moderne, « l’image de la condition des hommes », comme dit Pascal, que cite volontiers Houellebecq.
 
L’écriture m’a paru fluide, sobre, sans effets excessifs, à même de traduire l'histoire de ces vies qui tentent d'assumer leur destin : comment vivre, vieillir, mourir et éviter de s’anéantir ? Le roman est parsemé de réflexions telles celles-ci (est-ce là de la platitude ?) : « … une amélioration des conditions de vie va souvent de pair avec une détérioration des raisons de vivre », — « Les hôpitaux ne devraient pas être situés dans les villes, l’ambiance y est trop agitée, trop saturée de projets et de désirs, les villes ne sont pas un bon endroit pour mourir », — « Ce qu'il ne supportait pas, il s'en était rendu compte avec inquiétude, c'était l'impermanence en elle-même ; c'était l'idée qu'une chose, quelle qu'elle soit, se termine ; ce qu'il ne supportait pas, ce n'était rien d'autre qu'une des conditions essentielles de la vie » etc.
 
Certes certains passages sont assez durs à lire, l’auteur n'épargne aucun détail dans la description clinique de protocoles extrêmes — il procède à la façon du roman naturaliste, on dirait à certains endroits du Zola —, la mort est partout présente, mais, ce que je ressens, à lire le roman, c’est moins la fatalité face au destin de l'anéantissement, qu'une certaine forme de lucidité qui in fine donne sens à l’existence. Un regard sur notre condition mortelle désenchanté mais non désespéré.
 
 

 

 


13/03/2022
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