Del Faou, en Aubrac
À nouveau de retour d'Aubrac, ce pays magnétique où l'on revient sans cesse, attirés comme dans un champ de forces, de flux, d'inspirations qui ont modelé les paysages et façonné les caractères.
Nous descendions un vieux chemin creux, étroit, humide, s'enfonçant dans un val, bordé de part et d'autre de ces murs de pierres séculaires qui délimitent les pâturages, lorsque, tout à coup, un bruit d'abord amorti mais vite puissant de galop nous fait nous retourner, et plaquer contre les bords : un troupeau de vaches d'Aubrac dévalant le chemin à toute allure vient sur nous, nous frôle et va avant.
Un peu plus tard nous rencontrons les paysans, le fils de 40 ans, le père septuagénaire, qui ont belle allure, avec lesquels nous engageons une passionnante conversation sur leur mode de vie, le travail de la ferme, l'élevage des troupeaux, leur amour du pays, leur fierté de bien vivre - le sentiment aussi d'être isolés, le souci de qui prendra la relève.
Apprenant que nous résidons au lieu-dit Del Faou, le père me dit : "Faou, en vieux patois, ça veut dire hêtraie". La hêtraie peut être composée uniquement de hêtres ou mélangée avec du sapin ou du chêne. Le hêtre est un arbre qui n'est pas très exigeant sur la composition chimique du sol ; il craint tout de même les terrains humides et compacts et les sols trop acides ; par contre, il a besoin d'une atmosphère humide. L'exploitation du taillis est réalisée par le prélèvement des seuls brins arrivés à maturité sur une même souche. Cette pratique ancestrale est liée au droit d'usage donné par la commune à ses habitants, afin d'assurer un maintien de l'état boisé des biens communaux.
Voilà ce que j'apprends de la hêtraie. Le soir, je cherche quelques compléments sur internet. Surprise : je lis que faou est un mot breton ! qui signifie "hêtre". Mystérieuses correspondances du breton au patois de l'Aubrac ! qu'un linguiste peut sans doute expliquer.
Mais moi je reste fasciné par la poésie du mot faou - qu'on prononce "fou" me dit le père - et la lumière qui règne dans les sous-bois d'une hêtraie : n'imaginez pas des sous-bois sombres, ils sont éclairés d'une obscure clarté - ou disons que l'ombre est lumineuse ; le hêtre est l'essence d'ombre par excellence : l'abondance de ses feuilles disposées en mosaïque, sur un même plan, permet une grande moisson de lumière et donne une atmosphère quasi numineuse.
Ainsi se dessine un mystérieux chemin, sans but, entre ombre et lumière, invitant à l'errance, ici ou là, dans l'instant présent, simplement.
"Il n'y a pas de message dans l'errance, juste un questionnement"
[Raymond Depardon]
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