Solstice d'hiver
Dans mon rêve, ou peut-être était-ce un fantasme, une Bête féroce bondissante fond sur moi emportant dans sa course folle le monde entier, le monde là-bas lointain et étranger, et mon monde proche et intime, sans but, sans raison, impossible à arrêter.
Je reconnais au réveil l'emprise des sombres événements de notre monde qui nous dévastent — et, curieusement, me revient un texte des Poèmes saturniens de Paul Verlaine :
La Force, qu'autrefois le Poète tenait
En bride, blanc cheval ailé qui rayonnait,
La Force, maintenant, la Force, c'est la Bête
Féroce bondissante et folle et toujours prête
A tout carnage, à tout dévastement, à tout
Égorgement, d'un bout du monde à l'autre bout !
Mais Le Poète, l'Amour du Beau, voilà sa foi, écrit Verlaine dans la fougue de sa jeunesse (les vers qui composent les Poèmes saturniens, son premier recueil, publié alors qu’il avait 22 ans, datent de son adolescence), qui affirme magnifiquement que le Poète, s'il se peut laisser emporter par la Bête féroce bondissante, sait par la foi en sa création reprendre les brides — et de fait, dans ce recueil de poèmes tourmentés où domine l'inquiétante influence de la "fauve planète" Saturne, se trouvent insérées des pépites, notamment dans ses deux parties les plus originales : "Melancholia" et "Paysages tristes", qui incitent à la rêverie...
Qui en effet n'est sensible à la musicalité, la mélodie, la fluidité des mots d'un poème comme "Mon rêve familier" (un rêve "étrange", pourtant présenté dans le titre comme "familier") :
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend. [...]
ou encore "Chanson d'automne" :
Les sanglots longs
Des violons
De l'automne
Blessent mon coeur
D'une langueur
Monotone. [...]
Cependant nous ne sommes plus dans cet automne-là, sous l'influence de la "fauve planète", —mais nous voilà entrés, à la date du solstice d'hiver, (cette année le 22 décembre) dans les jours de renaissance du "soleil invaincu", où la lumière diurne se met à nouveau à croître, reprenant décidément le pas sur l'irrésistible progression des nuits.
Le solstice d'hiver, qui portait chez les Latins le nom de Natalis dies (jour de naissance), et a donné "Noël" par appropriation des chrétiens voulant célébrer (à date fixe, le 25 décembre) le jour où naît le "vrai" soleil de justice identifié au Christ — est comme le portique qui nous introduit dans la lumière nouvelle.
Ainsi espérons-nous en ces jours, délivrés de persistantes ténèbres, nous réjouir de la lumière nouvelle qui s'annonce.
Bonnes et lumineuses Fêtes à tous !
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