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Azurs noirs

Première séquence

 
À Montmartre dans la lumière éclatante d’un été surchauffé. Le jeune Léo vient d’emménager avec sa mère au 14 de la rue Nicolet, dans l’immeuble même où Verlaine et Rimbaud, découvrira-t-il plus tard, se sont rencontrés, cent cinquante ans plus tôt. Léo est resté seul dans l’appartement, il n’a pas voulu accompagner sa mère, partie pour un long périple avec des amis en Laponie. L’été est caniculaire, la chaleur insupportable, la lumière aveuglante : chaleurs, incendies, inondations, dérèglement climatique… Éblouissante certitude que tous les malheurs du monde ne peuvent qu’empirer. Éblouissements. Voiles noirs qui passent devant les yeux : Léo se sent devenir aveugle (ne plus voir le monde qui sombre ?). Effacements. Peu à peu Léo préfère la nuit. Se réfugier  dans l’obscurité de l’appartement tous volets clos lumières éteintes. Sa mère au loin veut qu’il consulte un ophtalmo. L’ophtalmo « ne voit rien ». Mais voir est autre chose. 
 
 

Deuxième séquence

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Voilà que Léo, après quelques jours, « voit » Rimbaud dans la rue. Oui, ce tout petit portrait auréolé de couleurs, peint par l’artiste Morèje sur la façade du 16 de la rue Nicolet, qu’il n’avait pas remarqué jusqu’ici, c’est bien Rimbaud, qui fixe de ses yeux d'azur celui qui l’observe, Léo donc. Le regard perçant de Rimbaud est tendre, fraternel, le sourire retenu semble vouloir dire Je ne te connais pas mais je te vois, je te comprends, toi qui a le même âge, les mêmes cheveux ébouriffés, les mêmes yeux bleus. C’est vers un monde de couleurs que je t’entraînerai, ces couleurs dont mon portrait est auréolé, tesselles ocre, bleu de ciel et bleu de nuit, vertes et mauves, rouges, un monde de couleurs et de liberté, vers le temps d’une jeune espérance, celui des vents salubres et des azurs verts.
Léo devient voyant. "Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie ; il cherche en lui-même, il épuise tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. [...] Il arrive à l'inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre l'intelligence de ses visions, il les a vues !" (Rimbaud)
 
[ ici s'achève la lecture en cours du roman d'Alain Blottière, Azur noir ]
 
 

Troisième séquence

20 heures. Arrivée aux urgences. Le brancardier relègue le lit dans le couloir le long du mur. Vous serez bien là. 21 heures. 22 heures. 23 heures. Le lit est déplacé dans une petite pièce attenante violemment éclairée. Commence l’interrogatoire : comment c’est arrivé, quand ? Examens, traitements, attentes, puis manifestement plus rien. 

01 heure. Le lit est à nouveau déplacé dans une sorte de grande chambre aveugle où tiennent 10 lits, vaguement séparés les uns des autres par des toiles. Râles continuels, parfois des cris. En face de moi une vieille dame geint J’ai 86 ans, aha...je suis tombée, aha... je vis toute seule, aha... À ma gauche un homme râle... Je veux retourner dans mon Ehpad, aha... A! A! La vieille dame reprend ses gémissements, aha... On ne voit personne. Est-ce le jour est-ce la nuit ? Je pense que Bergson a raison de parler de Durée. Aha... aha... A! A! Le temps est suspendu. La marée continuelle des râles, le rythme soutenu m’emporte, je sombre. Je suis dans la cale du navire, peut-être dans la salle des machines. Halètements. Matière informe. Azur noir...
14 heures. On m’annonce que vais être transféré dans une chambre.

 

 

Quatrième séquence

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Un monde nouveau s’ouvre. Des équipes attentionnées. Le soin est un humanisme (Cynthia Fleury). Comme tout ce qui touche à l’humain, c’est complexe, rien de simple : des complications qui s’ajoutent les unes aux autres. Des équipes qui cherchent, qui s’adaptent. Des diagnostics qui évoluent...

J’ai aimé dans ces circonstances ce petit texte de ma petite-fille Jordane (bientôt 7 ans) :
“ Un seul mot ne suffit pas
Un seul mot ne suffit pas pour dire Bonjour et Au-revoir
Un seul mot ne suffit pas pour dire Jouer, Manger, Lire
Un seul mot ne suffit pas pour la Terre et la Nature
Mais plusieurs mots ça suffit... »
Ainsi il aura fallu aussi plusieurs mots aux équipes pour cerner la complexité de la réalité... Une réalité qui résiste. Des moments de souffrance intenses aussi. Comme une digue qui rompt.
Léo fuit le monde déréglé où tout va empirant et il se laisse entraîner vers le temps d’une jeune espérance en convoquant ses fantômes rimbaldiens.
Ici présence tellement réelle ! de mon épouse Chantal, de mon fils Alexandre venu 2 jours de Paris, revenu encore 1 jour, de ma fille Eléonore venue 2 jours de La Rochelle, et de tous les amis attentionnés proposant leurs services pour soulager mon épouse. (Pour le moment, COVID-19 obligeant, une seule visite est autorisée d’une seule personne par jour...!.

Grâce à la famille, aux amis, se lève le temps d'une jeune espérance.

 

 

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Ici, par la fenêtre de ta chambre au 4ème étage,

tu peux tous les matins

lever les yeux vers la lumière du ciel 

 

 

 

Juxtapose à la fatalité la résistance à la fatalité.

Tu connaîtras d'étranges hauteurs.

René Char

 

 

 

Chambre 431



18/10/2020
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