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Minorque une île singulière (II) La civilisation talayotique

 

 
Minorque… à perte de vue des enclos faits de grands murs de pierres sèches admirablement appareillées, qui protègent du vent du Nord et entourent des champs ou des parcs à bestiaux, et, dispersés sur la totalité de l’île au milieu de ce paysage minéral, des mégalithes quatre fois millénaires…
 
C’est que Minorque a été le berceau d’une civilisation protohistorique dite « talayotique »  dont on trouve ici plus que de simples traces, pas seulement quelques pierres égarées au milieu des champs, mais des ensembles de constructions toujours dressées, debout, impressionnantes, qui ont défié les siècles, et donnent à penser en remontant loin en arrière dans le temps.
 
Les plus anciens vestiges datent de l’âge de bronze (à partir de 2 200 ans avant J.C.) — époque appelée ici âge prétalayotique   —, ce sont pour la plupart des nécropoles formées de grottes artificiellement piquées à même la pierre ; de la même période datent les navetas, édifices composés de blocs de pierre empilés et hauts de près de 3 m servant probablement de chambres funéraires.   
 
Puis, à partir de 1400 av. J.C. — on entre dans l’époque proprement dite « talayotique », qui couvre près de huit siècles, jusque 800 av. J.C. — apparaissent les premiers talayots, grandes tours tronconiques de près de 10 m de hauteur, certaines isolées, d’autres groupées, érigées sur des lieux à haute visibilité, construites avec d’énormes pierres assemblées « à sec », suivant la technique dite « cyclopéenne », dont la fonction était probablement la surveillance — peut-être étaient-elles aussi équipées de fanaux, pour servir de loin en loin de repères et communiquer, à la fois voir et être vu. Leur structure comporte également une petite chambre dont la fonction reste à déterminer, peut-être rituelle. Près de 300 talayots ont été recensés sur l’île.
 
Mais les talayots ne sont pas les seules constructions monumentales à témoigner de la présence de cette civilisation protohistorique. Dans la plupart des sites mégalithiques, comme celui de Torralba d’En Salort, ici en illustration, c’est tout un ensemble de constructions qu’on trouve rassemblées près du talayot, formant un village entier, entouré d’une muraille, et comprenant une taula (un sanctuaire), des hypogées talayotiques (des tombes communautaires), une aire, une citerne, une salle hypostyle (un entrepôt), d’autres vestiges encore… datant tous du premier millénaire av. J. C..
 
 
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Muraille cyclopéenne entourant le village
 
Certaines de ces constructions sont très impressionnantes par leur technique. Ainsi de la muraille cyclopéenne qui encercle le village, montée selon un schéma qui se répète : a) socle, b) grandes dalles posées verticalement ; le tout formant un mur d’une largeur considérable, de presque 4 mètres.
 
 
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Salle hypostyle
 
Ainsi aussi de la salle « hypostyle » (du grec hupostulos, signifiant « supporté par des colonnes »), qui servait semble-t-il d’entrepôt, formée de colonnes soutenant les grandes dalles de la toiture, et constituée de 3 parties : un tumulus, un couloir d’accès et une chambre.
 
 
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  La taula au premier plan ; au second plan le talayot
Mais plus intriguant encore, parce que l’on entre dans le domaine du symbolique, sont ces vestiges énigmatiques désignés sous le nom de taulas (« tables » en catalan), des structures de pierres levées constituées d’une pierre verticale plantée dans le sol, qui sert de support à une longue table de pierre horizontale, le tout formant un immense “T” (les taulas peuvent mesurer jusqu'à 3,7 m de haut), situées au centre d’une aire circulaire délimitée par des dalles verticales — dont la fonction précise, rituelle, reste inconnue. Mais l’émotion est grande d’entrer à son tour dans l’intérieur du cercle.
 
 
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L'entrée de la taula toujours tournée vers le Sud
 
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Au centre de l'aire circulaire la taula
 
Quelles cérémonies ? Quelles offrandes ? Ce que l'on sait seulement, c’est que ces cérémonies, ces offrandes (dont on a trouvé des traces lors des fouilles archéologiques) honoraient dans la civilisation talayotique la Terre Mère, principe de vie. Et c'est comme un immense pont jeté par-dessus le Temps entre la religion (du latin religare « relier ») de ces hommes du talayotique célébrant leur filiation avec la Terre Mère, créatrice de la vie, et la sensibilité écologique d’aujourd’hui qui nous fait reconsidérer notre rapport à la nature : non un rapport de force, de domination mais de relation, puisque nous sommes issus de la Terre Mère, et que nous dépendons d’elle, pas l’inverse.
 
J’aurais aimé pouvoir errer en ces lieux au profond de la nuit, le regard tourné vers les étoiles. Peut-être aurait-il été plus aisé de rejoindre dans le silence des éléments la grande Relation initiée ici, que nous tentons, comme à la recherche d’une patrie perdue, de retrouver — après tant de siècles où la société, régie par le droit du paterfamilias introduit par les Romains, a perdu contact avec la Terre Mère, jusqu’à violenter la nature, usant d’elle à son gré, sans autre considération ni pour elle-même, ni pour les autres espèces vivantes sur Terre...
 
 


29/06/2019
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