voilacestdit

Est-ce parce qu' étant daltonien je ne distingue pas dans la nature le rouge du vert ? - les couleurs rouges me fascinent tout comme ce scénario alchimiste de la création du monde tiré du "Livre d'Urizen" :  "La vie  se jette sur les écueils comme une cataracte [...]. Le vide béant agglutine la lymphe en nerfs [...]. Ne reste qu'une boule de sang frémissante qui flotte au-dessus de l'abîme [...] et qui se ramifie en racines, en fibres de sang, de lait et de larmes [...]." Rouge couleur de la poiésis, la "création". Mais comment dire une couleur indicible ?

Pour les Hébreux, le mot adom, synonyme d'adam, signifiait "fait de terre rouge". Les Grecs utilisaient le terme porphyros "rouge de la couleur de la pierre de porphyre" ou kokkinos "rouge écarlate" [de kokkos, la cochenille, dont la teinture écarlate était tirée]. Les Latins, quant à eux, employaient le mot ruber [d'où vient "rubéole", et aussi "rubis"] pour désigner la couleur rouge [de cette même racine latine on a "rubicond" - ou encore "rubrique", nom donné aux titres qui sont dans les livres de droit civil ou de droit canon, parce qu'autrefois on les imprimaient en rouge : leges rubrae].

Trois traditions sémantiques, trois obliques d'un même sommet, aurait dit René Char.

La terre rouge feu garde mémoire de la chaude nébuleuse solaire originelle dans laquelle se sont formés les premiers minéraux - immense forge qu'attisait le Soleil dans l'imaginaire ancien. Le mythe olympien de la création fait bonne place à la forge des Cyclopes  : au commencement de toutes choses la Terre-Mère surgit du Chaos, et mit au monde son fils Ouranos  [dont le nom signifie "le ciel"], qui fit descendre une pluie fertile sur ses fentes secrètes et donna naissance à l'herbe, aux fleurs, aux arbres et à tous les animaux  ; cette même pluie fit couler les rivières et remplit d'eau tous les creux et c'est ainsi que les lacs et les mers furent créés ;  puis naquirent de la Terre-Mère et d'Ouranos les sept Titans, et les trois Cyclopes ; ces derniers, maîtres du feu, forgeaient les éclairs du ciel [Cyclops signifie "oeil cerclé" ;  ainsi nommés à cause de leur unique oeil rond au milieu du front]. Cependant Ouranos jette les Cyclopes dans le Tartare, sombre lieu du monde souterrain, qui se trouve aussi éloigné de la terre que la terre l'est du ciel... La Terre-Mère, pour se venger, persuade les Titans d'attaquer leur père Ouranos ; ce qu'ils firent, sous la conduite du plus jeune des sept, Chronos ["le Temps"], lequel, armé de sa faux impitoyable, châtre son père Ouranos... Le rouge feu devient rouge sang.
 
"Écarlate" charrie une autre histoire, qui fait voyager dans plusieurs civilisations. Le point de départ est le latin classique sigillatus "orné de motifs en forme de sceaux". Ce mot est repris par l'arabe et devient siqillat, étoffe ornée de motifs en forme de sigilla, "sceaux". Le persan reprend aussi ce mot sous la forme saqirlat. Puis le mot passe au latin médiéval sous la forme scarlata qui devient en moyen français escarlate "étoffe ornée de dessins", toujours sans considération de couleur. Mais en Occident on teignait ces étoffes importées, ornées de motifs, en rouge avec un colorant tiré de la cochenille. Peu à peu l'étoffe escarlate devint systématiquement rouge et donna ce nom à la couleur d'un rouge éclatant.
 
Ruber enfin évoque le rouge rubis, brillant - comme l'est la variété rouge de la pierre précieuse de corindon qui semble avoir comme cristallisé dans ses reflets  l'allégresse du soleil levant parangon de la création chaque jour renouvelée.

Trois couleurs, trois obliques d'un même sommet.

L'état d'esprit du soleil levant est allégresse malgré le jour cruel et le souvenir de la nuit. La teinte du caillot devient la rougeur de l'aurore.

René Char, Rougeur des matinaux

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