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Danse avec la vie

 

 

J’ai récemment eu un grand plaisir à lire La ferme africaine de Karen Blixen, dans la traduction d’Alain Gnaedic à partir du texte original danois.
 
Je pense que beaucoup d’entre nous ont vu et apprécié le célèbre film Out of Africa de Sydney Pollack tiré du livre. Le film doit sa force à de magnifiques paysages, une musique inoubliable et au jeu des comédiens, Meryl Streep et Robert Redford. Le film, en vérité, n’exploite qu’une partie du livre-témoignage de Karen Blixen, la partie la plus romantique, pour parler comme cela, son amour passionné pour son ami Denys, grand chasseur de safari, à la vie aventureuse, qui ne voudra jamais s’engager avec Karen même après qu’elle se soit séparée de son mari (un personnage peu intéressant). Mais le livre !
 
Le livre est exceptionnel par la beauté du style et aussi l'acuité de la pensée, je dirais de la méditation, au long du récit. Ce récit n’est pas un roman, c’est plutôt l’autobiographie d’une tranche de vie, les quinze années que Karen Blixen, descendante d’une famille patricienne du Danemark, passe au Kenya, à partir de 1914, dans la ferme — une plantation de café — qu’elle dirige avec son mari. Cette vie n’est pas facile, elle est intense et mouvementée, riche de la rencontre et du respect des ‘autres' que sont les indigènes. Le récit fourmille de notations justes, souvent prophétiques de ce que sera l’évolution des rapports entre la civilisation européenne et le devenir africain.
 
Mais d’abord le récit rend à merveille l’émotion poétique que Karen éprouve face au « spectacle éblouissant » de la nature africaine. Le film offre de magnifiques images de paysages de la savane africaine, le livre restitue l’émotion première suscitée par la beauté resplendissante de ces grands panoramas, ou fait partager des sentiments plus intimes, ainsi de l’attente fébrile de la pluie, dont dépendent les plantations, que fait espérer le vent qui se lève :  
 
« Quand le souffle passait en sifflant au-dessus de ma tête, c’était le vent dans les grands arbres de la forêt, et non la pluie. Quand il rasait le sol, c’était le vent dans les buissons et les hautes herbes, mais ce n’était pas la pluie. Quand il bruissait et chuintait à hauteur d’homme, c’était le vent dans les champs de maïs. Il possédait si bien les sonorités de la pluie que l’on se faisait abuser sans cesse, cependant, on l’écoutait avec un plaisir certain, comme si un spectacle tant attendu apparaissait enfin sur la scène. Et ce n’était toujours pas la pluie.
Mais lorsque la terre répondait à l’unisson d’un rugissement profond, luxuriant et croissant, lorsque le monde entier chantait autour de moi dans toutes les directions, au-dessus et au-dessous de moi, alors c’était bien la pluie. C’était comme de retrouver la mer après en avoir été longtemps privé, comme l’étreinte d’un amant. » 
 
Les relations de Karen Blixen avec les indigènes sont empreintes d’affection  — c’est le mot qu’elle utilise — quand bien même quelques propos peuvent paraître datés ou choquants (« mes gens », « nègre »…) mais ils ne l’étaient pas à l’époque. 
 
« En ce qui me concerne, je me suis prise d’affection pour les indigènes dès que j’ai mis le pied en Afrique. C’était un sentiment fort et irréversible qui comprenait les êtres des deux sexes et de tous les âges. Ma rencontre avec les Noirs fut pour moi ce que la découverte de l’Amérique fut à Christophe Colomb, et, de la même manière, un élargissement de mon monde entier. [...] Quand j'ai connu les indigènes, j'ai abandonné ma routine — mon train-train quotidien — pour suivre leur rythme. » 
 
Karen Blixen saura comprendre, j’allais dire la philosophie de vie des indigènes, et de celle-ci nourrir sa propre vie intérieure.
 
« Les Kikuyus s’attendent à l’imprévu et sont habitués à l’inattendu. Ils se différencient en cela des Européens qui, eux, préfèrent se prémunir contre le sort. Les Noirs entretiennent une relation d’amitié et de confiance avec le destin, ils remettent leurs vies entre ses mains et, pour eux, il est pour ainsi dire aussi familier que le foyer, que la hutte obscure, il forme un terreau profond pour leurs racines. Ils acceptent les aléas de l’existence avec force calme et contenance. » 
 
C'est cela que j'appelle "danse avec la vie". Karen Blixen subira de nombreuses épreuves, personnelles ou collectives avec tous ses 'gens' dans la vie de la ferme, mais toujours elle s’inspirera de ces principes et conservera une grande équanimité dans sa conduite de vie. 
 
Il en va ainsi pareillement de son écriture, aussi bien dans ses Contes gothiques et ses Contes d'hiver ou le fameux Festin de Babette : c'est comme dans la vie, c'est-à-dire que c'est totalement inattendu. Tout peut arriver.  Là où c'est très calme, en fait c'est un orage. Au vrai, c'est avec cela que Karen Blixen a appris à composer...
 
 
 
 
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02/10/2019
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