D'un effondrement l'autre
Peu d'entre vous savent probablement de quoi Javols est le nom. Javols est le nom d'un petit village de Margeride en face de l'Aubrac, à une trentaine de kilomètres de Mende. Mais ce même modeste village aujourd'hui de 300 habitants fut jadis une capitale gallo-romaine ! la capitale des Gabales, peuple gaulois qui a donné son nom au Gévaudan, l’actuelle Lozère.
Son nom antique était Anderitum : une appellation gauloise composée de ande (grand) et ritu (gué), évoquant la présence d’un gué sur la rivière Triboulin qui traverse le vallon — puis changement de nom au IIIᵉ siècle, celui-ci devient Ad Gabalos (chez les Gabales), qui a glissé phonétiquement vers Javols.
Il est difficile d’imaginer la vie des dix mille habitants qui avaient investi ce vallon aujourd’hui peu occupé. Il ne reste que des traces de ces existences d’autrefois. Les fouilles archéologiques récemment entreprises sur le site révèlent que la capitale comprenait un forum, une basilique, une nécropole, elle avait son théâtre, ses thermes, ses quartiers d’habitation, disposait de quais le long du Triboulin et surtout — cela expliquant sans doute son développement — était au carrefour de la voie romaine importante Est-Ouest menant de Lyon à Bordeaux et d’une autre voie romaine Nord-Sud reliant Augustonemetum (Clermont-Ferrand) à Anderitum (Javols). De tout cela ne reste que le passage des ans qui ont tout recouvert.
Le site actuel vu du théâtre en direction du forum
Restes d'une construction de gros blocs canalisant le Triboulin
Traces en sous-bois d'une voie aboutissant à une entrée d'Anderitum
Comment expliquer le brutal effacement de la cité ? Les historiens comme souvent cherchent des causes externes, quelque catastrophe, une fatalité. Pour certains, cela aurait pu être un grand incendie, dont on retrouve des traces ; d’autres pointent la concurrence de Mende, le succès en particulier d’un pèlerinage chrétien qui aurait détourné les foules.
Mais on ne peut exclure un affaissement sur soi-même, une fin de civilisation, qui n’est pas une fatalité mais le résultat d’un processus interne inéluctable qui conduit soudainement à la perte. On ne peut l’exclure, parce que des civilisations ont ainsi disparu dans le passé, et le pourraient aujourd’hui (cf un billet ancien sur le destin tragique des Pascuans, les habitants de l'île de Pâques Effondrement ).
Julien Gracq écrit dans Les terres du couchant (publication posthume, éditions Corti, 2014) : « On dirait que par toute décision où nous nous exprimons pleinement le monde est brusquement fertilisé : là où s’étendait à perte de vue le sol de l’hiver, mille possibles tout à coup pointent la tête et le reverdissent ».
À l’inverse, pensais-je en regardant du haut d’un promontoire ces vastes étendues aujourd’hui vides du vallon du Triboulin, seulement égayées ici ou là du blanc d’un champ de narcisses ou de l’ocre brun de genêts sur les coteaux — à l’inverse, le défaut de décision, le manque de courage peut faire que le monde perd l’opportunité d’être à nouveau fertilisé, peut faire manquer les mille possibles qui le reverdiraient.
Ainsi par exemple de l’écologie aujourd’hui mal menée. Je pense à l’incapacité de graver dans la loi l’interdiction du glyphosate, cet herbicide soupçonné d’avoir des effets cancérigènes, d’ici à 2021 (au motif spécieux qu’il faut faire confiance à l’industrie !) ; je pense à l’incapacité d’interdire de diffuser des publicités pour l’alimentation transformée, facteur d’obésité pour les enfants et les générations à venir ; je pense à l’incapacité d’interdire des épandages de pesticides à proximité des lieux de vie etc etc.
Les décisions fortes ne sont pas prises, toujours repoussées au lendemain. Jusqu’au jour où, à l'instar d'Anderitum, il n’y aura plus de lendemain.
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