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En lisant en relisant Héraclite (II)

 

 

 
Dans quelques fragments, sept exactement parmi les quelque 130 conservés, Héraclite parle du feu. Il fait du feu l’élément primordial qui est constitutif de toutes choses, du cosmos, de la nature, des vivants. Ce feu, il faut l’entendre non seulement au sens ordinaire mais comme une sorte de souffle chaud et sec. C’est à la fois un élément matériel, qui constitue toutes choses, et aussi un élément métaphysique, ce à partir de quoi Héraclite rend compte de la nature véritable de l’homme. 
 
L’âme, pour Héraclite, est précisément faite de ce souffle chaud, de ce feu. Plus on a de feu en nous, plus on est ignés, mieux on va. Moins on a de feu en nous, moins bien on va. L’âme, comme dit Héraclite, devient « humide » , elle se liquéfie (l’eau est le contraire du feu). L’âme purifiée, dans la vision d’Héraclite, c’est celle qui « s’assèche », qui se débarrasse de ce qui n’est pas feu : « Lumière éclatante : l’âme sèche, la plus sage, la meilleure ».
 
Nous sommes faits du même feu que le Monde : voilà le grand récit, le logos que révèle Héraclite aux « éveillés », à ceux qui peuvent l’entendre. Le feu est le principe (arché) qui régit le cours des choses et il est aussi principe de vie. 
 
[Note sur la notion de « principe » (arché).  Heidegger dit, dans sa conférence Qu’est-ce que la philosophie ? : « Le mot grec arché, c’est dans la plénitude de son sens qu’il nous faut le comprendre. Il nomme ce à partir de quoi quelque chose prend issue. Mais cet "à partir de quoi" n’est pas, dans l’issue qui est prise, laissé en arrière. L'arché en vient bien plutôt à ce que dit le verbe archein — à ce qui ne cesse de dominer. »]
 
Le mot grec arché signifie donc à la fois ce qui est au commencement et ce qui ne cesse de dominer. Le feu, principe de vie, ne cesse d’être présent comme une force agissante. Tout comme l’Univers « feu toujours vivant, s’allumant à mesure et s’éteignant à mesure », nos vies sont faites de ce même feu qui préside à toutes nos transformations. Il s’agit quant à nous, dirions-nous en langage d’aujourd'hui, d’être « alignés » avec cette énergie qu'est le feu (jeu des mots : dans « aligné » il y a « igné).
 
Le feu domine tout. Il agit en nous, mais il se manifeste aussi à l’extérieur, de façon parfois violente. « La foudre gouverne toutes choses ». La foudre (keraunós) inclut l’éclair et le tonnerre. C’est un feu violent qui vient du ciel et se caractérise par son imprévisibilité, son instantanéité et sa puissance. Pour nous, dans nos vies, la foudre désigne tout événement subit qui vient nous bousculer, nous "foudroyer". La maladie, les épreuves, l’échec... c’est la foudre qui nous frappe et vient nous remettre en question. Héraclite dit : vient nous sortir de notre torpeur. 
 
Car pour Héraclite, nombreux sont ceux qui sont « endormis », qui passent à côté du logos, ne réalisent pas sa présence ;  la présence du logos en revanche est perceptible au petit nombre des « éveillés » : le vocabulaire ici est le même que dans les sagesses orientales. Aux dormeurs s’opposent les éveillés, à la foule ceux qui sont peu nombreux mais éclairés au feu du logos. Tous cependant sont appelés à l’éveil : « Tous les hommes ont reçu en partage de se connaître eux-mêmes et de penser sainement ».
 
Se connaître soi-même : c’est de soi, de sa propre expérience, qu’Héraclite tire sa sagesse et sa connaissance du monde et des hommes, éclairé par le feu du logos.
« Je me suis cherché moi-même » écrit-il. La recherche de soi conduit d’une manière ou d’une autre à cette forme de dépossession au profit de la reconnaissance que nous ne sommes qu’une partie de l’Univers.
 


02/10/2021
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