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Qui sont les exclus ?

 

De mon épouse Chantal, ce texte un peu sévère pour un temps de fêtes — et pourtant bien d'actualité et en phase avec la signification profonde de la Crèche de Noël

 

 

 

L'expression "exclusion sociale" trouve son origine dans l'ouvrage de René Lenoir "Les exclus", paru en 1972. Les représentations mentales changent et, à partir de 1975, l'appellation des "nouveaux pauvres" fait son apparition. Comme fait social, le concept d'exclusion s'est imposé dans le vocabulaire dans les années 1990 pour être aujourd'hui complètement caractérisé. Son évolution est révélatrice des transformations sociales et culturelles de notre ère. 

Auparavant, la société se découpait  selon des concepts différents. Ainsi, à l'ère industrielle, on parlait de classes sociales (bourgeoisie, classe ouvrière) ; l'Ancien Régime, quant à lui, distinguait trois ordres (noblesse, clergé, tiers-état).

En toile de fond, il y a toujours eu les riches et les pauvres, mais les sociétés, en fonction du contexte historique de leur époque, ont structuré et formalisé des approches spécifiques qui reflétaient leur manière d'appréhender ces réalités.
 

Une société coupée en deux

Un nouveau découpage s'opère sur le mode duel  et il est lié à notre entrée dans  l'ère numérique. La première condition qui permet de parler d'exclusion est que le monde soit divisé en deux. Parler des exclus laisse supposer l'existence d'un monde dont on ne fait pas partie et auquel on ne peut accéder. Dans le vocabulaire, exclus s'oppose à inclus ; mais ce monde dont on est ou on se sent exclus n'est pas nommé , il s'identifie tout simplement au monde. Il se prend pour Le monde (posture narcissique propre à un mode de fonctionnement duel). Ces deux mondes ne s'opposent donc pas sur un mode symétrique. Ce découpage ne définit pas deux classes sociales; c'est un système dans lequel il y a ceux qui sont dedans et ceux qui sont dehors, sachant que la frontière peut être mouvante. 
L'espace dans lequel on se trouve lorsqu'on est exclus n'est pas nécessairement une catégorie et il n'y a pas de point d'appartenance partagée entre ceux qui ne font pas partie du système. C'est un monde qui ne se dessine qu'en creux.
Une autre difficulté d'approche du concept tient à la perte des grands schémas de pensée sociale et d'explication globale des sociétés. Les catégories ont changé ; nous sommes passés à un mode dual, et nous n'avons pas de point de repère pour comprendre le phénomène, le circonscrire, voire pour avoir prise sur lui. De ce point de vue, c'est une page blanche de l'histoire qui se découvre, sans référents historiques sur lesquels s'appuyer.
 

Les exclus du système économique

Concrètement, les exclus sont ceux qui ne font pas partie du "système", c'est à dire ceux qui n'ont pas pris le train des NT, de l'Internet, de la mondialisation…  L'avènement des NT a dessiné un nouveau paysage social, il a vu naître de nouvelles manières de réussir, de s'enrichir, au niveau individuel et collectif, en mutation profonde par rapport à l'ère précédente. Un nouveau profil de star de l'entrepreneuriat a fait son apparition, les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) ont connu une ascension fulgurante et vertigineuse, supplantant par leur puissance les grandes entreprise industrielles, avec de nouveaux modes et structures de fonctionnement propres à l'économie de l'immatériel qui prend ses repères au niveau global et à un rythme toujours plus accéléré,  au mépris des considérations locales et du temps humain. Elles se sont aussi solidement installées dans nos quotidiens et se sont infiltrées dans les espaces les plus intimes de nos vies et de nos relations. Ceux qui  qui ont les moyens de s'adapter aux NT et qui en maîtrisent les symboles trouvent leur place dans cette société. éminemment fluide.
Les exclus sont les laissés pour compte, aussi bien sur le plan intellectuel, culturel que social. Ceux qui se retrouvent dans les emplois d'exécutants purs ; ceux qui exercent des métiers de service non qualifiés ; ceux dont l'emploi dépend d'entreprises ou d'organisations qui sont devenues éminemment mobiles en fonction d'intérêts toujours changeants et imprévisibles ; ceux dont le savoir faire n'apporte pas de valeur dite ajoutée ;  ceux dont l'emploi est interchangeable, pouvant être occupé par d'autres n'ayant pas de qualification professionnelle et ayant des exigences salariales moindres ; ceux qui  n'ont pas les moyens de la mobilité géographique et qui sont extrêmement fragiles du point de vue économique, etc... 
Tous ces éléments constituent un ensemble qui n'a pas de force de cohésion ni d'identité sociale commune. Leur dénominateur commun se définit en creux, par le fait qu'ils ne font pas le poids dans le fonctionnement de la machine économique comme, par exemple dans le passé, la classe ouvrière dans la machine industrielle. Ils n'existent pas, ou, plus exactement, on ne leur reconnaît pas d'existence tant qu'ils ne se manifestent pas par la force et la violence ; et c'est là le propre d'un fonctionnement duel, sans médiation. 
 

Les migrants, nouvelle forme d'exclusion

Le concept d'exclusion qui a pris corps et forme au sein de notre société occidentale à l'heure du numérique nous permet d'éclairer une autre composante essentielle de notre paysage social, à savoir le phénomène migratoire, qui est en train de changer la donne dans notre pays comme il le fait dans toute l'Europe.
Depuis les années 2010, celui-ci a pris une telle ampleur qu'on parle désormais de crise migratoire. Celle-ci fait référence à l'augmentation constante et non maîtrisée du nombre des migrants - certains étant des réfugiés politiques - arrivant dans l'Union Européenne via la Méditerranée et les Balkans , depuis l'Afrique, le Moyen-Orient et l'Asie du Sud.
De mon point de vue, le concept d'exclusion peut s'appliquer aux migrants, avec des caractéristiques bien particulières, liés à notre époque. Pourquoi et comment ?
Ces migrants (je regroupe sous ce vocable les réfugiés politiques et les migrants économiques) sont rejetés de leurs pays ou se mettent eux-mêmes en situation d'exclusion, cherchant à rejoindre les pays occidentaux où ils espèrent trouver de meilleures conditions d'existence et/ou de liberté. Généralement, ils arrivent en Europe par des moyens souvent illégaux et précaires, et ils n'y sont pas bienvenus. On tente alors de les contenir dans les marges de la société (voir les camps ou centres de rétention et les problèmes liés à leur implantation, vécus comme de véritables abcès). Etant donné l'accroissement de leur nombre, les pays d'accueil ne savent plus quelle place leur donner — ou plus prosaïquement —qu'en faire. Les migrants éprouvent donc un double phénomène d'exclusion, par rapport à leur pays d'origine et par rapport au pays qui les "accueille" où ils (sur)vivent — fréquemment — comme des marginaux, dans des conditions extrêmement précaires.
 

Les exclus à l'échelle du monde

Je relie ces deux phénomènes d'exclusion, même si — à première vue — ils apparaissent différents l'un de l'autre par leurs origines. Il s'agit d'un phénomène émergent du nouveau paradigme qui gouverne le monde et ils en expriment les deux composantes principales  : à savoir le changement radical de nos référents technico-économiques et sociétaux, et la composante immatérielle qui, en abolissant nos frontières géographiques, participe au bouleversement de l'équilibre géopolitique mondial. Dorénavant, tout est lié dans le monde et les problèmes globaux se condensent sur les territoires nationaux.
Certes les phénomènes migratoires existent de tous temps et ont connu, au cours de l'histoire, des dimensions de très grande envergure et ce, pour des raisons très variées ; mais l'émigration du vingt et unième siècle connaît une originalité qui présente des caractéristiques propres.
Il se déverse en Europe des flux de migrants originaires de pays en guerre et/ou de surcroit, confrontés à la pauvreté. Un flux que rien ne pourra  contenir. Ce phénomène — lié aussi à la croissance galopante de la démographie  des pays dont sont originaires de nombreux  migrants — est en train de prendre la dimension et la puissance d'un mouvement de masse qui laisse présager un ouragan à venir capable de balayer nos frontières et nos règlementations. 
Ce mouvement fait déjà éclater nos concepts et notre vocabulaire sur la migration. Ainsi les catégories visant à faire le tri entre réfugiés politiques et économiques deviennent-elles de plus en plus obsolètes. Le profil des migrants est en pleine transformation. Grâce à la puissance des media, d'Internet, des moyens de communication, grâce au mixage des cultures, les habitants des pays pauvres s'imprègnent des images d'un Occident qui les fait rêver : la démocratie libérale, la richesse apparente, l'hyper consommation, contrastent avec les situations économiques et politiques de leurs pays où la violence et la répression sont souvent présente même si elles ne s'expriment pas par des situations de guerre. La richesse, la liberté des pays occidentaux représentent un appel d'air pour de nombreux pays, voire  des régions entières du globe (je pense à l'Afrique). 
Ainsi, nos concepts et catégories sur la migration ne correspondent plus aux réalités et il s'agit de les remettre à l'heure.
Nulle part, jusqu'à aujourd'hui, n'a été trouvée de solution ou même d'approche satisfaisante et efficace à cette question. On parle de crise migratoire pour signifier à quel point on est dépassés par ce phénomène, souvent vécu dans les fantasmes comme une sorte d'invasion.  Or ce phénomène mondial est à reconsidérer à la dimension des changements du monde. Le débat qui se cristallise autour de la question d'être pour ou contre l'accueil des migrants, et dans quelles limites, et qui agite tant de controverses morales et politiques, ne suffira pas, de toute façon, à résoudre le problème.
Il y a une force vivante et puissante derrière ce phénomène, et qui est inhérente à l'histoire qui est en train de s'écrire. Il s'agit de s'interroger sur sa signification globale pour l'aborder à sa mesure. 
La crise migratoire représente un défi majeur pour les années à venir, un problème  qui concerne l'équilibre mondial et dans lequel l'Europe est tout particulièrement concernée, étant donné le tropisme qu'elle exerce et le vieillissement de sa population.
 

Impact sur la société française

Notre pays concentre donc deux aspects du phénomène d'exclusion. Au niveau national, interne, il y a le poids des exclus de l'économie, un monde marginal qui n'a pas de place par la parole et la médiation, un monde qui gronde dans la révolte dont on a vu récemment des manifestations au moment des dernières élections présidentielles.
Il y a aussi les migrants, dont le nombre ne cesse de croître, mouvement qui s'inscrit plus largement dans le cadre d'une dynamique démographique mondiale.
L'exclusion est vécue comme un double problème, mais ses origines sont communes, comme nous l'évoquions précédemment. Ces problèmes ont de profondes interférences entre eux qui ont déjà un fort impact sur la société française.
En effet, l'arrivée des migrants crée des étincelles, elle provoque des rejets qui viennent, entre autres, des exclus "nationaux", car les étrangers sont perçus comme leur ôtant une part du gâteau — emplois, hébergement, etc… — censé leur revenir en priorité. Ces deux catégories d'exclus non seulement n'ont pas d'identité commune, mais à l'opposé, les migrants éveillent une hostilité de la part des pays d'accueil. Tout est d'autant plus intriqué qu'à travers le rejet des migrants, c'est plus largement le rejet de la mondialisation qui est visé. 
L'émigré, l'étranger, la mondialisation incarnent les boucs émissaires d'ores et déjà instrumentalisés par les partis d'extrême droite et les mouvements populistes en forte croissance dans les pays occidentaux ; et cette réalité représente une menace pour nos démocraties européennes. 
De mon point de vue, c'est dans ce creuset complexe que se joue en parallèle sur deux scènes — nationale et mondiale intimement imbriquées l'une dans l'autre — un pan de l'histoire du futur. Il est illusoire de penser que cette question de l'exclusion puisse se dénouer en se cantonnant à l'intérieur de nos frontières, en fermant nos yeux et nos oreilles au problème de l'exclusion au niveau mondial, c'est à dire à celui des migrants. 
  
Les exclus constituent une masse toujours plus puissante par leur nombre et leur existence considérée comme embarrassante et indésirable. Ils sont perçus comme une menace par et pour le monde des "inclus" car ils font obstacle à la dynamique du progrès . Le progrès, la bible du monde des "inclus", et - revers de la médaille - le même progrès, dont les exclus paient la facture.
 
 


19/12/2017
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