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Espérer l'inespérable

 

 

J’étais l’autre soir attablé devant un demi dans un café à Grenoble, au Tonneau de Diogène, en attendant un rendez-vous chez le médecin, lorsque deux jeunes, qui jusque-là discutaient dehors à la terrasse, rentrèrent avec leurs verres et s’installèrent près de moi, poursuivant une conversation animée commencée à l'extérieur. L’un des deux (il devait, comme son camarade, avoir dans les 20 ans) insistait avec force expression dans la voix :  
— Je suis optimiste ! Je suis optimiste ! 
Je compris qu’ils parlaient du devenir de la planète.
L’autre opinait.
Le premier reprit, avec exaltation :
— Je suis optimiste ! Je crois dans la technologie !
ajoutant : 
— Je n’ai pas dormi depuis 24 heures. Je suis naze. Mais je suis optimiste !
Là-dessus, l’air un peu las, ils allèrent régler leur note au comptoir et s’en furent dans la nuit tombante...
 
Je me suis demandé comment on pouvait être optimiste aussi résolument, alors que la technologie, si elle peut faire progresser les choses dans certains domaines, multiplie les dégâts dans d’autres… Tout dépend de l’intentionnalité qui la guide, et qui peut être optimiste sous ce rapport ? Au point de ne plus éprouver d’indignation, de désespoir, de colère, en raison de la destruction des milieux vivants et de la biodiversité, de la destruction de nombre d’espèces, jusqu’à peut-être l’effondrement de la vie sur Terre... Bref, je ne puis partager l’optimisme de mon jeune voisin.
 
L’optimisme, si j’en crois le dictionnaire, est une « tournure d'esprit qui dispose à prendre les choses du bon côté, en négligeant leurs aspects fâcheux. » 
Là est le problème. L’optimisme s’apparente dans les faits à une forme de déni de la réalité : on ne regarde pas tout, on ne garde que le bon côté des choses. Ce faisant on se leurre. 
 
L’optimisme traduit peut-être un heureux caractère mais décidément il n’est pas de mise quant à l’analyse de la réalité. La réalité, c’est que le climat a été déréglé par les activités destructrices et polluantes de l’homme. Ça remonte aux débuts de l’ère industrielle vers 1850, longtemps la courbe de l’élévation de la température moyenne du fait des activités de l'homme a été presque plate, mais maintenant, depuis peu, on est aux débuts d’une courbe exponentielle qui va nous mener à une hausse terrifiante des températures, rendant une partie de la Terre inhabitable, d’autres exposées à la montée des eaux, sans parler de phénomènes extrêmes qui vont se répéter (cyclones, sècheresses, pluies torrentielles etc…). La végétation, déjà, dans nos jardins, donne des signes d'affolement. L’année 2022 a été déclarée  « exceptionnelle » en comparaison des 20 ou 50 années précédentes, 2023 risque d'être pire que 2022, 2024 pire que 2023 etc. C’est la réalité qu’il faut affronter.
 
En l’absence de tout horizon, le désespoir vous étreint : c’est comme entrer dans une nuit noire.
 
Mais c’est de la nuit que naît l’espérance d’un jour nouveau. Peut-être faut-il consentir à entrer dans cette nuit obscure sans se leurrer, pour en sortir et voir surgir une nouvelle lumière. À l’instar de l’âme qui dans la nuit des mystiques quitte sa demeure et « sort », comme dit St Jean de la Croix :
 
Par une nuit profonde, 
Enflammée d'un amour inquiet, 
Ô l'heureuse fortune 
Je suis sortie sans être aperçue, 
Lorsque ma maison était tranquille... 
 
Au bout de la nuit, l’espérance apparaît quand on ne l’attend plus. L’espérance, c’est Péguy qui en a le mieux parlé. Il la voit comme une petite fille tenant par la main ses grandes soeurs, la foi, une épouse fidèle, et la charité, mère ardente, pleine de coeur. La petite espérance n’a l’air de rien du tout…
.
[...] C'est cette petite fille pourtant qui traversera les mondes.
Cette petite fille de rien du tout.
Elle seule, portant les autres, qui traversera les mondes révolus […]
 
C'est elle, cette petite, qui entraîne tout.
Car la foi ne voit que ce qui est.
Et elle elle voit ce qui sera.
La charité n'aime que ce qui est.
Et elle elle aime ce qui sera.
 
Ainsi l’espérance donne à voir ce qui sera, et aimer ce qui sera. Elle nous enseigne à croire en l’avenir, au-delà des leurres de l'optimisme et des épreuves du désespoir.
 
 
 
 « S’il n’espère pas l’inespérable, il ne le découvrira pas »
(Héraclite, Fragment 66)


22/01/2023
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