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Alexander Grothendieck, le génie secret des mathématiques

 

Ce dernier billet de l'année est plus conséquent que d'accoutumée. J'ai été intrigué par le parcours atypique de Grothendieck, ce mathématicien de génie récemment disparu qui, après vingt années de travaux récompensés par la médaille Field 1966 (le Nobel des mathématiciens), a brutalement rompu avec la communauté mathématique et mené quarante-cinq ans durant une vie retirée et solitaire se consacrant à la méditation, la recherche du sens, le retour sur soi. J'ai cherché à comprendre.

Hors du cercle des mathématiciens qui en sont encore à explorer les voies ouvertes par ce visionnaire, on dispose de peu de documents concernant Grothendieck, à l'exception d'un témoignage de sa propre main, une sorte de journal intime qu'il a tenu (intime et en même temps extime, puisqu'il en a adressé quelques exemplaires à d'anciens collègues ou ex-élèves, et pensait un moment le publier mais n'a pas trouvé d'éditeur) - un très long journal de plus de mille pages intitulé  Récoltes et Semailles Réflexions et témoignage sur un passé de mathématicien, impublié donc, mais qui court sous le manteau, dont je cite ici plusieurs extraits, pour faire connaître et apprécier ce témoignage d'un homme en quête d'absolu.

Ce billet est en 3 parties :

I. Un génie secret ou quelques éléments de biographie

II. L'oeuvre mathématique

III. La rupture. Sens et spiritualité

 

Je souhaite à tous de bonnes fêtes de Noël et du solstice, fêtes du retour au sens par excellence !

 

 
 
Le nom de Grothendieck, un mathématicien récemment disparu à l’âge de 86 ans, est peu connu voire totalement inconnu du grand public. Il s’agit pourtant d’une personnalité hors du commun qui a marqué son temps - un génie solitaire qui a ouvert des voies nouvelles insoupçonnées en mathématiques, un des plus grands scientifiques du XX siècle ; et aussi un esprit libertaire, contestataire, anticonformiste, qui tel Rimbaud abandonnant d’un coup la poésie, a brutalement rompu en 1970, au faîte de sa renommée, avec la communauté mathématique, - Rimbaud s’ignorant lui-même préférant son destin à son oeuvre, s’occupant de commerce de café et de fusils ; Grothendieck retiré solitaire dans un petit village des Pyrénées, non pour se fuir mais pour se retrouver lui-même, au travers d’une insatiable quête spirituelle, dont témoigne Récoltes et Semailles.
 
 

I Un génie secret

 
Quelques éléments clés d'une biographie singulière, accompagnés de citations glanées ici et là dans  Récoltes et Semailles.
 
Alexander Grothendieck est né d’un père juif russe, révolutionnaire anarchiste, du nom de Schapiro, et d’une mère allemande, militante d’extrême-gauche, du nom de Grothendieck (il porte donc le nom de sa mère). Son père est incarcéré de 1906 à 1917 pour avoir participé à la révolution contre le tsar Nicolas II. Le couple émigre en France au moment de l’arrivée au pouvoir de Hitler, laissant leur enfant Alexander (il a alors six ans) en Allemagne aux soins dune famille d’accueil - un pasteur qui pratique la méthode Frénet  et prône le "retour à la terre".
 

C’est en 1933, alors que j’étais dans ma sixième année, que se place le premier tournant crucial dans ma vie, qui a été en même temps un tournant crucial aussi dans la vie de ma mère comme de mon père, dans leur relation l’un à l’autre comme dans celle à leur enfants. C’est l’épisode de la destruction violente et définitive de la famille que nous formions tous les quatre, destruction dont j’ai été le premier et le seul, quarante-six ans plus tard, à faire le constat et à suivre les péripéties, dans la correspondance de mes parents et dans un ou deux souvenirs exsangues, énigmatiques et tenaces, patiemment sondés et déchiffrés - bien longtemps après la mort de mon père et celle de ma mère. Ce n’est pas mon propos de m’étendre ici sur ce que j’ai appris et compris au cours de ce long travail, au sujet de la portée et du sens de cet épisode. [...] En décembre 1933, je me trouve largué en toute hâte dans une famille étrangère, que moi, ni ma mère qui m’y amenait depuis Berlin, n’avions jamais vue. En fait, ces gens inconnus chez qui elle m’amenait étaient simplement les premiers venus qui veuillent bien de moi comme "pensionnaire" pour une pension plus que modique, et avec aucune garantie d’aucune sorte que celle-ci serait jamais payée, alors que ma mère s’apprêtait à rejoindre au plus vite mon père, qui se morfondait à l’attendre à Paris. [p.451]

 
Après avoir participé à la Guerre civile espagnole, ses parents reviennent en France en 1938 avec le statut de réfugiés et récupèrent leur enfant (il a alors dix ans).  Mais en 1939 ils sont  jugés "suspects"  à cause de leur nationalité et de leurs activités : son père est interné au camp du Vernet (Ariège), avant d’être livré aux nazis par les autorités de Vichy, et de disparaitre à Auschwitz ; sa mère est internée avec son enfant au camp de Rieucros (Lozère). De 1942 à 1944 le jeune Alexander est caché au Chambon-sur-Lignon au "Collège Cévenol", dirigé par le pasteur Trocmé qui mène des actions de résistance dédiées au sauvetage d’enfants juifs.
 
Les dernières années de la guerre, alors que ma mère restait internée au camp, j’étais dans une maison d’enfants du "Secours Suisse", pour enfants réfugiés, au Chambon sur Lignon. On était juifs la plupart, et quand on était averti (par la police locale) qu’il y aurait des rafles de la Gestapo, on allait se cacher dans les bois pour une nuit ou deux, par petits groupes de deux ou trois, sans trop nous rendre compte qu’il y allait bel et bien de notre peau. La région était bourrée de juifs cachés en pays cévenol, et beaucoup ont survécu grâce à la solidarité de la population locale. [p.32]
 
Alexander suit ses études au lycée sans faire partie, selon son propre jugement, des élèves "brillants" ;  à vrai dire, il s’emploie plutôt à mener sa barque comme il l’entend, en manifestant très tôt un esprit d’indépendance qui ne le quittera pas.
 
Au lycée, en Allemagne d’abord la première année, puis en France, j’étais bon élève, sans être pour autant "l’élève brillant". Je m’investissais sans compter dans ce qui m’intéressait le plus, et avait tendance à négliger ce qui m’intéressait moins, sans trop me soucier de l’appréciation du "prof" concerné. La première année de lycée en France, en 1940, j’étais interné avec ma mère au camp de concentration, à Rieucros près de Mende. C’était la guerre, et on était des étrangers - des  « indésirables", comme on disait. Mais l’administration du camp fermait un oeil pour les gosses du camp, tout indésirables qu’il soient. On entrait et sortait un peu comme on voulait. J’étais le plus âgé, et le seul à aller au lycée, à quatre ou cinq kilomètres de là, qu’il neige ou qu’il vente, avec des chaussures de fortune qui toujours prenaient l’eau. [p.32]
 
Il obtient son baccalauréat au "Collège Cévenol" et devient étudiant à Montpellier en 1945. Commence alors sa période de formation scientifique. D’emblée Grothendieck surprend ses aînés. Il réinvente, seul, « l’intégrale de Lebesque »  qui date de 1902 et permet de calculer des volumes complexes. 
 
Aux yeux des deux ou trois aînés à qui j’ai parlé de ce travail (voire même, montré un manuscrit), c’était un peu comme si j’avais simplement perdu mon temps, à refaire du "déjà connu". Je ne me rappelle pas avoir été déçu, d’ailleurs. A ce moment-là, l’idée de recueillir un "crédit", ou ne serait-ce qu’une approbation ou simplement l’intérêt d’autrui, pour le travail que je faisais, devait être encore étrangère à mon esprit. […]Sans même le savoir, j’ai appris alors dans la solitude ce qui fait l’essentiel du métier de mathématicien - ce qu’aucun maître ne peut véritablement enseigner. Sans avoir eu jamais à me le dire, sans avoir eu a rencontrer quelqu’un avec qui partager ma soif de comprendre, je savais pourtant, "par mes tripes" je dirais, que j’étais un mathématicien : quelqu’un qui "fait" des maths, au plein sens du terme - comme on "fait" l’amour. La mathématique était devenue pour moi une maîtresse toujours accueillante à mon désir. Ces années de solitude ont posé le fondement d’une confiance qui n’a jamais été ébranlée. [p.34]
 
Arrivé à Paris en 1948, il rejoint bientôt Nancy où des mathématiciens du groupe "Bourbaki" [du nom d'un mathématicien imaginaire] de renommée internationale tels Jean Dieudonné et Laurent Schwartz le formeront et l’encadreront, autant que faire se peut. Très vite le disciple surpasse ses maîtres : pour le tester ils lui confient quatorze problèmes qu’ils ne parviennent pas à résoudre. Il peut choisir celui qui l’intéresse… Dieudonné raconte la suite : « En moins d’un an, il avait résolu tous nos problèmes ! »
 
Recruté et promu au CNRS, il passe quelques années à l’étranger (à Sao Paulo) après sa thèse. À son retour commence ce qui sera sa grande période, s’échelonnant de 1958 à 1970, qui coïncide avec l’apogée du groupe Bourbaki. La chance lui sourit avec la création de l’IHES [Institut des Hautes Études Scientifiques de Bures-sur-Yvette] où une chaire de mathématiques lui est offerte en duo avec Dieudonné. La grande aventure de Grothendieck a trouvé son lieu. Il anime alors un prestigieux séminaire où se pressent tous les jeunes talents qui se livrent à la découverte mathématique avec passion et formule un programme grandiose ayant pour ambition d’opérer une fusion entre l’arithmétique et la géométrie.
 
 
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Grothendieck reçoit en 1966 la médaille Fields, la plus prestigieuse récompense pour la reconnaissance de travaux en mathématiques, souvent comparée au prix Nobel. Première trace de fêlure cependant : Grothendieck  boycotte la cérémonie de remise de la médaille, tenue à Moscou, pour protester contre les actions militaires soviétiques en Europe de l’Est.
 
La béance s’ouvre en 1968 : Grothendieck anarchiste, libertaire, découvre en intervenant devant des étudiants qui occupent la fac d’Orsay qu'il est vu par eux, lui l'anticonformiste,  comme un  "mandarin" ! Il venait devant eux défendre la recherche scientifique : deux ans plus tard, il abandonne la communauté mathématique en posant la question  : "Allons-nous continuer la recherche scientifique ? », et s’en retourne à Montpellier, où il devient simple professeur, jusqu’à sa retraite - retraite qu'il prendra retiré solitaire dans un petit village des Pyrénées - jusqu’à sa mort survenue le 13 novembre dernier.
 
 

II L'oeuvre mathématique

 
Comment donner une idée de lapport exceptionnel de Grothendieck aux mathématiques ? - un apport qui demandera sans doute des décennies pour être digéré par les générations suivantes de mathématiciens.
 
Cet apport résulte dune approche résolument globale, la recherche dune compréhension totale qui fait fi des frontières habituellement admises séparant des domaines séparés. L’ambition de Grothendieck, sa vision, cest de rapprocher les deux mondes séparés de la géométrie et de l'arithmétique en développant ce qu'il propose d’appeler une nouvelle "géométrie arithmétique"  :
 
On peut considérer que la géométrie nouvelle est avant toute autre chose, une synthèse entre ces deux mondes, jusque là mitoyens et étroitement solidaires, mais pourtant séparés : le  monde "arithmétique", dans lequel vivent les (soi-disants) "espaces" sans principe de continuité, et le  monde de la grandeur continue, ou vivent les "espaces" au sens propre du terme, accessibles aux moyens de l’analyste et (pour cette raison même) acceptés par lui comme dignes de gîter dans la cité mathématique. Dans la vision nouvelle, ces deux mondes jadis séparés, n’en forment plus qu’un seul. [p.50]
 
Le titre de son grand ouvrage montre la dimension quil entend donner à son travail.  Les Éléments de géométrie algébrique  renvoient aux Éléments de mathématiques dEuclide. Il sagit ni plus ni moins que de concevoir de nouvelles mathématiques d'après les mathématiques euclidiennes.
 
Grothendieck dans  Récoltes et Semailles  revient sur la démarche qui a été la sienne, utilisant, à son habitude, des images : ici celles de la "maison"  à construire, des héritiers, du bâtisseur :
 
La plupart des mathématiciens sont portés à se cantonner dans un cadre conceptuel, dans un   "Univers" fixé une bonne fois pour toutes - celui, essentiellement, qu’ils ont trouvé "tout fait" au moment où ils ont fait leurs études. Ils sont comme les héritiers d’une grande et belle maison toute installée, avec ses salles de séjour et ses cuisines et ses ateliers, et sa batterie de cuisine et un outillage à tout venant, avec lequel il y a, ma foi, de quoi cuisiner et bricoler. Comment cette maison s’est construite progressivement, au cours des générations, et comment et pourquoi ont été conçus et façonnés tels outils (et pas d’autres. . . ), pourquoi les pièces sont agencées et aménagées de telle façon ici, et de telle autre là - voilà autant de questions que ces héritiers ne songeraient pas à se demander jamais. C’est ça "l’ Univers", le "donné" dans lequel il faut vivre, un point c’est tout ! Quelque chose qui paraît grand (et on est loin, le plus souvent, d’avoir fait le tour de toutes ses pièces), mais familier en même temps, et surtout : immuable.
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Je me sens faire partie, quant à moi, de la lignée des mathématiciens dont la vocation spontanée et la joie est de construire sans cesse des   maisons nouvelles. Chemin faisant, ils ne peuvent s’empêcher d’inventer aussi et de façonner au fur et à mesure tous les outils, ustensiles, meubles et instruments requis, tant pour construire la maison depuis les fondations jusqu’au faîte, que pour pourvoir en abondance les futures cuisines et les futurs ateliers, et installer la maison pour y vivre et y être à l’aise. Pourtant, une fois tout posé jusqu’au dernier chêneau et au dernier tabouret, c’est rare que l’ouvrier s’attarde longuement dans ces lieux, où chaque pierre et chaque chevron porte la trace de la main qui l’a travaillé et posé. Sa place n’est pas dans la quiétude des univers tout faits, si accueillants et si harmonieux soient-ils - qu’ils aient été agencés par ses propres mains, ou par ceux de ses devanciers. D’autres tâches déjà l’appelant sur de nouveaux chantiers, sous la poussée impérieuse de besoins qu’il est peut-être le seul à sentir clairement, ou (plus souvent encore) en devançant des besoins qu’il est le seul a pressentir. Sa place est au grand air. Il est l’ami du vent et ne craint point d’être seul à la tâche. [pp.38-39]
 
 
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Grothendieck poursuit, nous livrant sa propre relecture de son oeuvre de mathématicien :
 
Si j’ai excellé dans l’art du mathématicien, c’est moins par l’habileté et la persévérance à résoudre des problèmes légués par mes devanciers, que par cette propension naturelle en moi qui me pousse à voir des questions, visiblement cruciales, que personne n’avait vues, ou à dégager les  "bonnes notions" qui manquaient (sans que personne souvent ne s’en soit rendu compte, avant que la notion nouvelle ne soit apparue),  ainsi que les "bons énoncés" auxquels personne n’avait songé. 
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Mais plus encore que vers la découverte de questions, de notions et d’énoncés nouveaux, c’est vers celle de   points de vue féconds, me conduisant constamment à introduire, et à développer peu ou prou, des  thèmes entièrement nouveaux, que me porte mon génie particulier. C’est là, il me semble, ce que j’ai apporté de plus essentiel à la mathématique de mon temps.
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Mais comme son nom même le suggère, un "point de vue" en lui-même reste parcellaire. Il nous révèle   un des aspects d’un paysage ou d’un panorama, parmi une multiplicité d’autres également valables, également "réels". C’est dans la mesure où se conjuguent les points de vue complémentaires d’une même réalité, où se multiplient nos "yeux", que le regard pénètre plus avant dans la connaissance des choses. Plus la réalité que nous désirons connaître est riche et complexe, et plus aussi il est important de disposer de plusieurs "yeux" pour l’appréhender dans toute son ampleur et dans toute sa finesse.
Et il arrive, parfois, qu’un faisceau de points de vue convergents sur un même et vaste paysage, par la vertu de cela nous rend apte à saisir  l’ Un à travers le multiple, donne corps à une chose nouvelle ; à une chose ⋄ qui dépasse chacune des perspectives partielles, de la même façon qu’un être vivant dépasse chacun de ses membres et de ses organes. Cette chose nouvelle, on peut l’appeler une vision. La vision unit les points de vue déjà connus qui l’incarnent, et elle nous en révèle d’autres jusque là ignorés, tout comme le point de vue fécond fait découvrir et appréhender comme partie d’un même Tout, une multiplicité de questions, de notions et d’énoncés nouveaux. [pp.41-43]
 
La vision unificatrice de Gothendieck, lamenant à définir un cadre commun permettant détudier simultanément les aspects géométriques ("continus")  et arithmétiques ("discrets") de la mathématique, remet en cause la notion despace. On a dès lors comparé Grothendieck à Einstein. Le rapprochement, Grothendieck la fait lui-même, non pour s’en prévaloir, mais pour marquer entre lui et Einstein à la fois la parenté d’esprit et une différence de "substance", l'oeuvre d'Einstein étant celle d'un physicien, la sienne d'un mathématicien :
 
La comparaison entre ma contribution à la mathématique de mon temps, et celle d’ Einstein à la physique, s’est imposée à moi pour deux raisons : l’une et l’autre oeuvre s’accomplit à la faveur d’une mutation de la conception que nous avons de "l’espace" (au sens mathématique dans un cas, au sens physique dans l’autre) ; et l’une et l’autre prend la forme d’une  vision unificatrice, embrassant une vaste multitude de phénomènes et de situations qui jusque là apparaissaient comme séparés les uns des autres. Je vois là une parenté d’esprit évidente entre son oeuvre et la mienne.
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Cette parenté ne me semble nullement contredite par une différence de    "substance" évidente. Comme je l’ai déjà laissé entendre tantôt, la mutation einsteinienne concerne la notion d’espace physique, alors qu’ Einstein puise dans l’arsenal des notions mathématiques déjà connues, sans avoir jamais besoin de l’élargir, voire de le bouleverser. Sa contribution a consisté à dégager, parmi les structures mathématiques connues de son temps, celles qui étaient le mieux aptes à servir de "modèles" au monde des phénomènes physiques, en lieu et place du modèle moribond légué par ses devanciers. En ce sens, son oeuvre a bien été celle d’un physicien, ⋄ et au delà, celle d’un "philosophe de la nature", au sens où l’entendaient Newton et ses contemporains. Cette dimension "philosophique" est absente de mon oeuvre mathématique, où je n’ai jamais été amené à me poser de question sur les relations éventuelles entre les constructions conceptuelles "idéales", s’effectuant dans l’ Univers des choses mathématiques, et les phénomènes qui ont lieu dans l’ Univers physique (voire même, les événements vécus se déroulant dans la psyché). Mon oeuvre a été celle d’un mathématicien, se détournant délibérément de la question des "applications" (aux autres sciences), ou des "motivations" et des racines psychiques de mon travail. D’un mathématicien, en plus, porté par son génie très particulier à élargir sans cesse l’arsenal des notions à la base même de son art. C’est ainsi que j’ai été amené, sans même m’en apercevoir et comme en jouant, à bouleverser la notion la plus fondamentale de toutes pour le géomètre : celle d’  espace (et celle de "variété"), c’est à dire notre conception du   "lieu" même où vivent les êtres géométriques. [p.68]
 
Grothendieck nous livre beaucoup de lui-même dans ces mots :« J’ai été amené, sans même m’en apercevoir et comme en jouant, à  etc… » qui font penser aux jeux d’un enfant. De fait, pour lui, la "création" nous relie à la capacité originelle de lenfant qui part à la découverte du monde comme en se jouant :
 
Dans notre connaissance des choses de l’ Univers (qu’elles soient mathématiques ou autres), le pouvoir rénovateur en nous n’est autre que l’innocence. C’est l’innocence originelle que nous avons tous reçue en partage à notre naissance et qui repose en chacun de nous, objet souvent de notre mépris, et de nos peurs les plus secrètes. Elle seule unit l’humilité et la hardiesse qui nous font pénétrer au coeur des choses, et qui nous permettent de laisser les choses pénétrer en nous et de nous en imprégner.
[…]
La découverte est le privilège de l’enfant. C’est du petit enfant que je veux parler, l’enfant qui n’a pas peur encore de se tromper, d’avoir l’air idiot, de ne pas faire sérieux, de ne pas faire comme tout le monde. Il n’a pas peur non plus que les choses qu’il regarde aient le mauvais goût d’être différentes de ce qu’il attend d’elles, de ce qu’elles devraient être, ou plutôt : de ce qu’il est bien entendu qu’elles sont. Il ignore les consensus muets et sans failles qui font partie de l’air que nous respirons - celui de tous les gens censés et bien connus comme tels.
[…]

Le petit enfant découvre le monde comme il respire - le flux et le reflux de sa respiration lui font accueillir le monde en son être délicat, et le font se projeter dans le monde qui l’accueille. L’adulte aussi découvre, en ces rares instants où il a oublié ses peurs et son savoir, quand il regarde les choses ou lui-même avec des yeux grands ouverts, avides de connaître, des yeux neufs - des yeux d’enfant [p.127].

 

Pour terminer cette section, je livre le très beau texte de Grothendieck sur la création du monde :

Dieu a créé le monde au fur et à mesure qu’il le découvrait, ou plutôt il   crée le monde éternellement, au fur et à mesure qu’il le découvre - et il le découvre au fur et à mesure qu’il le crée. Il a créé le monde et le crée jour après jour, en s’y reprenant des millions de millions de fois, sans répit, en tâtonnant, se trompant des millions de millions de fois et rectifiant le tir, sans se lasser. . . A chaque fois, dans ce jeu du coup de sonde en les choses, de la réponse des choses ("c’est pas mal ce coup-là", ou : "là tu déconnes en plein", ou "ça marche comme sur des roulettes, continues comme ça"), et du nouveau coup de sonde rectifiant ou reprenant le coup de sonde précédent, en réponse à la réponse précédente. . . , à chaque aller-et-retour dans ce dialogue infini entre le Créateur et les Choses, qui a lieu en chaque instant et en tous lieux de la Création, Dieu apprend, découvre, Il prend connaissance des choses de plus en plus intimement, au fur et à mesure qu’elles prennent vie et forme et se transforment entre Ses mains. Telle est la démarche de la découverte et de la création, telle a-t-elle été de toute éternité semble-t-il (pour autant que nous puissions le connaître). Elle a été telle, sans que l’homme ait eu à faire son entrée en scène tardive, il y a à peine un million d’années ou deux, et qu’il mette la main à la pâte - avec, dernièrement, les conséquences fâcheuses que l’on sait. [p.128]

 

 

III La rupture. Sens et spiritualité

 

J’évoquais plus haut Rimbaud, autre génie qui, à l’âge de 21 ans, abandonne la poésie pour suivre son destin d’aventurier. La controverse ne se résoudra jamais sur le sens qu’il faut donner à ce départ. Grothendieck de son côté n’abandonne pas vraiment les mathématiques (il continue à noircir des pages et des pages de calculs du fond de sa retraite "des cartons pleins de gribouillis"), il quitte la "communauté mathématique", les instances mathématiques, abandonne son poste, sa chaire, son séminaire… pour se trouver, au long d’une quête insatiable de sens. 

Comment est arrivée cette rupture ? Ses collègues évoquent le choc de mai 68 : les "enragés" qui le traitent de mandarin. "Ça a été une gifle terrible, c’était d’une violence inouïe ; après, il n’était plus le même ». Il rompt avec le fondateur de l’IHES qui a accepté des crédits militaires pour financer l’Institut. Rien ne va plus. Il décide de s’éloigner et rejoint son université d’origine comme simple professeur.

Deux passages de Récoltes et Semailles reviennent sur ce départ des institutions mathématiques : 

 

Comme tu le sais, j’ai quitté "le grand monde" mathématique en 1970, à la suite d’une histoire de fonds militaires dans mon institution d’attache (l’ IHES) Après quelques années de militantisme anti-militariste et écologique, style "révolution culturelle", dont tu as sans doute eu quelque écho ici et là, je disparais pratiquement de la circulation, perdu dans une université de province Dieu sait où. La rumeur dit que je passe mon temps à garder des moutons et à forer des puits. La vérité est qu’à part beaucoup d’autres occupations, j’allais bravement, comme tout le monde, faire mes cours à la Fac (c’était là mon peu original gagne-pain, et ça l’est encore aujourd’hui). Il m’arrivait même ici et là, pendant quelques jours, voire quelques semaines ou quelques mois, de refaire des maths à brin de zinc - j’ai des cartons pleins avec mes gribouillis, que je dois être le seul à pouvoir déchiffrer. [p.75]

 

Pourquoi j’ai quitté si abruptement un monde dans lequel, apparemment, je m’étais senti à l’aise pendant plus de vingt ans de ma vie ? Je parle ici et là dans Récoltes et Semailles de l’épisode de mon départ, sans trop m’y arrêter. Ce "départ" y apparaît plutôt comme une césure importante dans ma vie de mathématicien - c’est par rapport à ce "point" que constamment se situent les événements de ma vie de mathématicien, comme "avant" et "après". Il a fallu un choc d’une grande force pour m’arracher à un milieu où j’étais fortement enraciné, et à une "trajectoire" fortement tracée. Ce choc est venu par la confrontation, dans un milieu auquel j’étais identifié fortement, à une certaine forme de corruption sur laquelle jusque là j’avais choisi de fermer les yeux (en m’abstenant simplement de ne pas y participer). Avec le recul, je me rends compte qu’au delà de l’événement, il y avait pourtant une force plus profonde à l’oeuvre en moi. C’était un intense besoin de renouvellement intérieur. Un tel renouvellement ne pouvait s’accomplir et se poursuivre dans la tiède ambiance d’étuve scientifique d’une institution de grand standing. Derrière moi, vingt ans de créativité mathématique intense et d’investissement mathématique démesuré - et, en même temps aussi, vingt longues années de stagnation spirituelle, en "vase clos". . . Sans m’en rendre compte, j’étouffais - c’est de l’air du large que j’avais besoin ! Mon "départ" providentiel a marqué la fin soudaine d’une longue stagnation, et un premier pas vers une équilibration des forces profondes en mon être, pliées et vissées dans un état de déséquilibre intense, figé. . . Ce départ a été, véritablement, un nouveau départ - le premier pas dans un nouveau voyage.

 

 Les collègues de Grothendieck n'ont pas compris ce départ. Plusieurs ont parlé de "suicide" ; d'autres de "désertion" ; certains ont jugé "l'homme perdu pour les maths", "la machine s'est déréglée". Ses élèves, de leur côté, (parmi lesquels son disciple Pierre Deligne, future médaille Fields), se sont trouvé devant la lourde tâche de devoir assumer seuls la poursuite de l'exploration des champs ouverts par Grothendieck - mais le visionnaire n'est plus là... 

Ce brusque départ marque une césure majeure dans sa vie de mathématicien. L'évènement déclencheur apparaît donc avoir été le désaccord avec le fondateur de l'IHES qui a accepté des fonds militaires pour financer l'institution. À partir de là va grandir une prise de conscience, qui n'est pas nouvelle chez Grothendieck, mais va prendre sa pleine dimension et s'étayer au fur et à mesure que, se retournant sur son passé dans le monde des mathématiciens, il en découvre les failles, les compromissions, les "moeurs" qu'il décrypte et analyse sans concessions, en arrivant à poser publiquement  - devant un auditoire composé des scientifiques du CERN  ! - la question assassine : "Allons-nous continuer la recherche scientifique ?" 

 

 

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 Tract annonçant la conférence au CERN le 27 janvier 1972

 

Derrière cette question iconoclaste, c'est la prise en compte des enjeux de ce qu'on commençait à appeler l'écologie politique que revendique Grothendieck, lequel milite à ce moment au sein du groupe  "Survivre et Vivre" : 

 

"Survivre et Vivre" (qui s’appelait d’abord "Survivre" sans plus) est le nom d’un groupe, à vocation d’abord pacifiste, ensuite également écologique, qui a pris naissance en juillet 1970 (en marge d’une "Summer School" à l’Université de Montréal), dans un milieu de scientifiques (et surtout, de mathématiciens). Il a évolué rapidement vers une direction "révolution culturelle", tout en élargissant son audience en dehors des milieux scientifiques. Son principal moyen d’action a été le bulletin (plus ou moins périodique) de même nom, dont les directeurs consécutifs ont été Claude Chevalley, moi-même, Pierre Samuel, Denis Guedj (tous quatre des mathématiciens) - sans compter une édition en anglais, maintenue à bout de bras par Gordon Edwards (un jeune mathématicien canadien dont j’avais fait connaissance à Montréal et qui a été parmi les quelques initiateurs du groupe et du bulletin). 
Le premier bulletin, entièrement de ma plume (naïve et pleine de conviction !) et tiré à un millier d’exemplaires, a été distribué au Congrès International de Nice (1970), lequel réunissait (comme tous les quatre ans) plusieurs milliers de mathématiciens. Je m’attendais à des adhésions massives - il y en a eu (si je me rappelle bien) deux ou trois. J’ai surtout senti une grande gêne parmi mes collègues ! En parlant de la collaboration des scientifiques avec les appareils militaires, qui s’étaient infiltrés un peu partout dans la vie scientifique, je mettais surtout les pieds dans des plats bien garnis. . . C’est dans le "grand monde" scientifique que j’ai senti la plus grande gêne - les échos de sympathie me venant de là se sont réduits à ceux de Chevalley et de Samuel. C’est dans ce que j’ai appelé ailleurs "le marais" du monde scientifique, que notre action a trouvé une certaine résonance. Le bulletin a fini par tirer à une quinzaine de mille d’exemplaires - un travail d’intendance dingue d’ailleurs, alors que la distribution se faisait artisanalement. (p.622)

 

Le message est simple : la planète n'en a plus pour longtemps, nous devons changer radicalement notre façon de vivre. Grothendieck change du tout au tout son mode de vie. Ayant abandonné sa chaire, son séminaire, il devient simple professeur dans son lycée d'origine à Montpellier jusqu'à sa retraite et s'installe retiré dans un petit village où il mène une existence recluse proche de la nature - se consacrant à ce qu'il appelle "la méditation".

À vrai dire, ce n'est pas du jour au lendemain qu'il change, comme il dit, la vision de sa propre personne. Il lui faudra quelques années pour "commencer à faire connaissance" avec lui-même et entrer dans la méditation.

 

Les "remises en question" (sur le "rôle social du scientifique", de la science, etc. . . ) auxquelles j’arrivais alors, soit seul, soit par la logique d’une réflexion et d’une activité communes au sein du groupe "Survivre" - ces remises en question restaient au fond superficielles. Elles concernaient le monde dans lequel je vivais, certes, et le rôle que j’y jouais même - mais elles ne m’impliquaient pas vraiment de façon profonde. Ma vision de ma propre personne, pendant ces années bouillonnantes, n’a pas changé d’un poil. Ce n’est pas alors que j’ai commencé à faire connaissance avec moi-même. C’est six ans plus tard seulement que pour la première fois de ma vie je me suis débarrassé d’une illusion tenace, non pas sur les autres ou sur le monde environnant mais sur moi-même. Ça a été un autre réveil, d’une portée plus grande que le premier qui l’avait préparé. C’était un des premiers dans toute une "cascade" de réveils successifs, qui, je l’espère, va se poursuivre encore dans les années qui me restent dévolues. [p.144]

 

En 1976 est apparue dans ma vie une nouvelle passion, aussi forte qu’avait été jadis ma passion mathématique, et d’ailleurs proche parente de celle-ci. C’est la passion pour ce que j’ai appelé "la méditation" (puisqu’il faut bien des noms aux choses). Ce nom, comme le ferait ici tout autre nom, ne peut manquer de susciter d’innombrables malentendus. Comme en mathématique, il s’agit là d’un travail de découverte. Je m’exprime à son sujet ici et là au cours de Récoltes et Semailles. [p.75]

 

Récoltes et Semailles a de quoi dérouter son lecteur. On y trouve énormément de réflexions, observations, analyses qui parfois tournent en boucle, ou semblent tourner en boucle, parce que indéfiniment reprises, redites, ré-examinées de plus en plus finement, comme il en serait d'un tamis qui maintient la substance à passer et sépare les éléments du mélange : tel est le fond sur lequel porte la méditation de Grothendieck, jusqu'à en extraire ce qui fait vérité et donne sens aux événements passés et ceux du présent. C'est de tout cela dont il est question dans Récoltes et Semailles :

 

Il y a beaucoup de choses dans Récoltes et Semailles et les uns et les autres y verront sans doute beaucoup de choses différentes : un voyage à la découverte d’un passé ; une méditation sur l’existence ; un tableau de moeurs d’un milieu et d’une époque (ou le tableau du glissement insidieux et implacable d’une époque à une autre. . . ) ; une enquête (quasiment policière par moments, et en d’autres frisant le roman de cape et d’épée dans les bas-fonds de la mégapolis mathématique. . . ) ; une vaste divagation mathématique (qui sèmera plus d’un. . . ) ; un traité pratique de psychanalyse appliquée (ou, au choix, un livre de "psychanalyse-fiction") ; un panégérique de la connaissance de soi ; "Mes confessions" ; un journal intime ; une psychologie de la découverte et de la création ; un réquisitoire (impitoyable, comme il se doit. . . ), voire un règlement de comptes dans "le beau monde mathématique" (et sans faire de cadeaux. . . ). Ce qui est sûr, c’est qu’à aucun moment je ne me suis ennuyé en l’écrivant, alors que j’en ai appris et vu de toutes les couleurs. 

 

Impossible de reprendre, ou simplement donner une idée de tout ce qui est traité dans les pages foisonnantes de cette longue méditation-confession. Je reviens seulement sur ce que Grothendieck nomme les deux "corruptions" de son ancien milieu de travail. La première est celle qui a provoqué son départ de la scène mathématique : la connivence intéressée des scientifiques avec les appareils militaires. La seconde corruption, il la découvre près de quinze années plus tard, au moment où il rédige Récoltes et Semailles : c'est le pillage de son oeuvre par ceux qui s'approprient ses résultats sans même faire référence à son travail, sans jamais citer son nom - il parle d'Enterrement, de Funérailles. De sa méditation sur ces événements naît en lui le sentiment que ces deux corruptions ne sont pas sans relation. Il prend conscience que ce qui les lie, c'est le manque de respect de soi ; et c'est dans la perte du respect de soi qu'il reconnaît la racine de la perte du respect pour autrui, et pour l'oeuvre du Créateur - le non-respect de la nature, le non-respect de l'environnement. 

 

Je vois bien que ces deux corruptions, celle qui a déclenché mon départ et celle qui m’attendait à mon "retour", ne sont pas sans relation. Si j’essaye de cerner par des mots ce sentiment diffus d’un lien, je dirais ⋄ que dans l’attitude de facilité des scientifiques vis-à-vis des séductions de l’argent des militaires (pour ne parler que de cet aspect-là) et des commodités qu’il offre, je décèle un manque de respect de soi, aussi bien au niveau individuel, que collectif. Et c’est dans la perte du respect de soi que je reconnais la racine de la perte de respect pour autrui, et pour l’oeuvre vivante sortie de ses mains ou de celles du Créateur. Je ne prétends pas avoir "compris" ni l’une, ni l’autre "corruption". Il y a d’une part "l’esprit du temps", dont la dynamique particulière échappe presque entièrement (me semble-t-il) à l’action individuelle. Cette dynamique collective reste pour moi un mystère total, que je n’ai jamais songé à vouloir sonder. Il y a d’autre part la façon dont chaque être en particulier, doué de ses facultés de perception et de créativité, et lesté de tout le poids de ses conditionnements particuliers, répond à cet esprit du temps et fait de cette réponse (sciemment ou non) un des éléments cruciaux de son aventure particulière. [p.911]

 

Grothendieck s'est retiré de la scène pour ne pas cautionner même passivement la corruption, mais il n'a pas abandonné son oeuvre. Son désarroi devant le pillage auquel se livrent à ses yeux ses anciens élèves est d'autant plus intense. Cependant il ajoute ceci, fruit du travail sur lui-même :

 

Si Récoltes et Semailles, qui a été avant tout une réflexion sur mon passé de mathématicien, a eu un sens, c’est de me faire comprendre aussi entre autres choses, qu’alors même que tels parmi ceux qui furent mes élèves se sont plus à me désavouer, il ne m’appartient pas de désavouer aucun d’eux. Ce qui me revient à travers eux fait partie des récoltes de ce que j’ai contribué à semer, comme eux-même y ont contribué. Et ce constat que je dresse d’une plume sans complaisance n’est pas un acte d’accusation contre quiconque, mais un constat justement, et qui m’implique autant qu’aucun d’entre eux. [p.709]

 

Récoltes, semailles : on récolte aussi ce qu'on sème, on ne peut se dédouaner de toute responsabilité - cette prise de conscience fait aussi partie du long travail de découverte de soi initié par la décision, insensée ont pensé ses amis mathématiciens, de son départ.

 

Mon "départ" providentiel a marqué la fin soudaine d’une longue stagnation, et un premier pas vers une équilibration des forces profondes en mon être, pliées et vissées dans un état de déséquilibre intense, figé. . . Ce départ a été, véritablement, un nouveau départ - le premier pas dans un nouveau voyage.

 

 

 

"On dirait que par toute décision où nous nous exprimons pleinement le monde est brusquement fertilisé : là où s'étendait à perte de vue le sol de l'hiver, mille possibles tout à coup pointent la tête et le reverdissent." [Julien Gracq, les terres du couchant]

 

 

 

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Conférence au CERN 27 janvier 1972 :

http://cds.cern.ch/record/912518?ln=en

 

Ce billet a été traduit en anglais sur le blog d'Alexandre :

 http://al3x.svbtle.com/alexander-grothendieck

 



21/12/2014
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