Impressions de voyage en Birmanie novembre 2007
Impressions de voyage en Birmanie
(Myanmar)
(Myanmar)
Novembre 2007
La Birmanie (aujourd'hui appelée Myanmar par les militaires au pouvoir depuis 1962) est un pays différent, comme le disait déjà R.Kipling : "Voici la Birmanie, un pays qui sera différent de tous ceux que tu connais". Différent, parce que couvert de pagodes (le pays aux "dix mille pagodes"), dont certaines, comme la célèbre paya Shwedagon à Rangoon, ou la paya Shwezigon à Bagan, sont revêtues d'or ; différent, parce que les Birmans sont des gens extrêmement affables et serviables, toujours souriants ; différent, parce que hors du temps ; différent enfin, parce que non seulement les pagodes, mais le silence aussi, ici, est d'or : personne ne parle politique (les militaires, invisibles en civil, sont partout, contrôlent tout).
Le pays est peuplé de 56 millions de personnes. Dans leur grande majorité (environ 87% de la population) les Birmans sont bouddhistes (les chrétiens et les musulmans représentent les deux principales minorités, 4% chacune : la plupart, d'origine indienne, habitent les grandes villes). Est-ce parce que les Birmans sont bouddhistes qu'ils sont si avenants, toujours calmes, prévenants ? Il exhale d'eux comme une douceur de vivre. Pourtant leurs conditions de vie sont particulièrement difficiles. Ils sont pour la plupart très pauvres, à la limite du supportable, mais toujours dignes. Ni résignés ni révoltés ils haïssent le gouvernement militaire qui s'en met plein les poches et les pressurisent jusqu'à l'extrême.
Le doublement du prix de l'essence, le 15 août 2007, a été un élément déclencheur. Le coût des transports a considérablement augmenté, et dans la foulée, celui de toutes les denrées alimentaires (dont le riz, base de leur alimentation). Les bonzes (on recense en Birmanie 500000 bonzes), complètement intégrés dans la population, dont ils dépendent pour la nourriture qu'ils mendient, ont initié fin sptembre un vaste mouvement de protestation dans les deux grandes villes, Rangoon et l'ancienne capitale Mandalay. Les gens se sont reconnus en eux. Ils ont été plusieurs centaines de mille à emboîter le pas. Mais la junte, au quatrième jour (le temps de faire venir du nord du pays des troupes de l'Etat Kachin appartenant à la minorité chrétienne - les militaires bouddhistes ne pouvant être envoyés contre les bonzes), a férocement réagi. En une nuit les principaux monastères de Rangoon et de Mandalay ont été vidés de leurs occupants : les bonzes envoyés on ne sait où, probablement dans des camps de travaux forcés (ces évènements, rapportés par le très officiel Myanmar News se résument à des "actions de sédition justement réprimées" et l'instauration d'un couvre-feu "pour restaurer l'ordre"; pas un mot sur l'origine des marches ; les bonzes sont rappelés à l'ordre : ils ont à s'occuper de spirituel, pas de politique).
Débarquant, quant à nous, à Rangoon six semaines après les évènements, nous avons trouvé les deux principales pagodes de la ville, la paya Shwedagon, et la paya Sule, aux abords de laquelle ont eu lieu les principaux affrontements, quasiment vides de bonzes : une ou deux dizaines visibles, là où ils étaient, nous a-t-on dit, plusieurs centaines.
Cependant la vie dans et autour des pagodes offre toujours le spectacle d'une animation à la fois sereine (les gens vaquent paisiblement à leurs occupations), pieuse (ils prient devant les multiples représentations du Bouddha, font leurs dévotions, posent des fleurs sur toutes sortes de piedestaux) et décontractée (certains se reposent ou dorment dans les salles de prières). Mais la suspicion est partout présente. Un bonze nous a abordés le premier jour. Les questions qu'il posait, la manière de mener la conversation nous a fait penser qu'il pouvait s'agir d'un militaire (ce genre de fait nous a été confirmé plus tard dans notre voyage). Nous nous sommes éloignés.
Dans les rues on voit des affiches vantant les mérites du gouvernement militaire. La télévision, quant à elle, sur les deux chaînes nationales, passe en boucle des informations sur les bienfaits dispensés par la junte.
Mais la junte, qui s'est construit une nouvelle capitale bunkérisée au coeur de la jungle, Naypyidaw (construite à partir de rien, sur le conseils d'un astrologue, comme au temps des rois birmans...), et vit bien, de ce qu'elle extirpe par tout un système d'impositions et la confiscation des richesses du pays (la Birmanie possède 90% des ressources mondiales de jade, idem pour le teck), ne se préoccupe guère de satisfaire les besoins élémentaires du peuple : 0,5% seulement du PNB est consacré à l'éducation (pour une moyenne de 2,7% dans le reste des pays de l'Asie du Sud-Est, les crédits alloués à l'éducation sont 8 fois moins importants que ceux consacrés à la défense) ; les routes - en dehors de l'abord des grandes villes - sont complètement défoncées, ayant été construites sur un soubassement dérisoire qui ne résiste pas aux pluies de la mousson et au passage des lourds camions (nous avons mis 8 heures pour faire en voiture les 190 kms qui séparent Mandalay de Bagan) ; les maisons dans la campagne bâties sur pilotis sont construites du toit, aux murs et au sol en bois de bambou ; l'électricité, distribuée dans les villes, donnant un courant très faible permettant à peine de s'éclairer, est constamment vacillante : difficile de faire la part dans les pannes constantes, de jour comme de nuit, entre (1) les "coupures gouvernementales" apparemment programmées (2) les pannes de secteur (3) les pannes locales... ; les points d'accès à internet sont nombreux (souvent folkloriques : 2 ou 3 ordinateurs dans un état pas possible au milieu d'un étal de marchandises), mais l'accès lui-même est aléatoire, tant à cause des multiples pannes de courant que de l'omni contrôle des militaires (seules les adresses en .com ont quelque chance de passer).
La population souffre beaucoup de la situation. De plus les gens vivant du tourisme venaient seulement de prendre conscience, à la mi-novembre, de l'impact des évènements de fin septembre sur la haute saison (qui va de novembre à avril) : les touristes sont quasiment absents. Nous n'avons rencontré au cours de notre séjour que quelques groupes (se comptant sur les doigts d'une main) à Rangoon, au lac Inle ou à Bagan, aucun à Mandalay, seulement quelques routards individuels comme nous au cours de notre périple. Les hôtels sont vides, alors qu'ils étaient pleins les années passées en cette saison. Une catastrophe économique, pas tant pour les militaires dont les revenus principaux ne viennent pas du tourisme (la Birmanie est riche en pierres précieuses et autres ressources du sous-sol ; elle a le quasi monopole du bois de teck ; enfin les militaires sont soutenus financièrement par la Chine), que pour les petites gens qui vivent du tourisme (hôtels locaux, restaurants locaux, taxis, carrioles, trishaws...). Nous avons perçu une inquiétude poignante : comment joindre les deux bouts ? Tous les prix ont considérablement augmenté depuis le 15 août, et les revenus s'effondrent. Un Birman nous disait : "Quand les gens voient leurs enfants pleurer parce qu'ils ont faim, on est à la limite du supportable".
Militons pour que les voyageurs reviennent au plus vite. Dans le contexte actuel de la dictature militaire l'ouverture est un acte de résistance. De ce point de vue on peut penser que la consigne donnée aux touristes en 1996 par Aung San Sun Kyi, Prix Nobel de la Paix, de boycotter le Myanmar, a été une erreur fondamentale (Sun Kyi demandait aux voyageurs de "rendre visite aux Birmans plus tard" en insistant sur le fait qu'une visite, à cette époque, équivalait à "excuser le régime"). Le boycott à mon sens est une solution simpliste qui va à l'encontre de l'intérêt des gens qui ont plus que jamais besoin d'activité et d'ouverture (noter : Sun Kyi est depuis peu revenue sur sa position, elle ne prône plus le boycott).
Le pays a besoin de se développer, que les gens sortent de la pauvreté et de leur trop grand isolement. Le pays a besoin pour cela de se débarrasser des dictateurs. L'histoire montre que toute dictature a toujours une fin. Mais quand ces 3 lettres F I N
s'inscriront-elles sur les téléscripteurs des agences de presse ?
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