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L'horreur politique (II)

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En 1996 paraissait un essai de Viviane Forrester, L’Horreur économique, qui eut un grand succès. Le titre évocateur  provient  d’un texte en prose d’Arthur Rimbaud qui évoque  « nos horreurs économiques ». Ces horreurs économiques, Viviane Forrester les stigmatisaient en décryptant comment le monde de l’entrepreneur était insidieusement escamoté au profit « du libéralisme absolu, de la globalisation, de la mondialisation… »

 

L’horreur aujourd’hui est politique, et n’a plus rien d’insidieux. Le néolibéralisme avance à visages découverts, qui s’affichent tous les jours sur les écrans, personnifiant la brutalité comme le fait du plus fort.

 

Le capitalisme à vrai dire, dont le néolibéralisme est une sorte de métastase, a incarné dès ses origines la brutalité du plus fort, mais sans s’en glorifier. Les historiens racontent ainsi ce qui s’est passé en catimini dans les années 1420 sur l’île de Madère, qui était alors inhabitée. Les colons portugais l’ont traitée en terra nullius, s’appropriant la ressource qui donna son nom à l’île : le bois (madeira en portugais).

 

Dans un premier temps, les forêts de l’île ont été abattues pour répondre aux besoins en bois (construction navale) des colons ; puis il parut plus lucratif d’utiliser les terres et les arbres pour la production du sucre ; une nombreuse main-d’oeuvre fut importée, d’abord en provenance des îles Canaries, puis d’Afrique.

 

Dans les années 1470, Madère devint la plus grande productrice de sucre au monde. La main d’oeuvre était bon marché, les contraintes sociales inexistantes, les ressources en bois (pour alimenter les chaudières nécessaires au raffinage et au traitement du sucre) abondantes… jusqu’au jour où elles devinrent rares, puis inexistantes. Il fallut aller chercher au loin le bois, ce qui constitua un coût important, mobilisa de la main-d’oeuvre etc. — la productivité s’effondra, divisée par quatre en vingt ans, la rentabilité réduite à zéro. Les colons partirent, pour aller exploiter une autre île récemment découverte plus au sud, et recommencer.

Au passage, c’est tout l’écosystème forestier qui a été perturbé sur l’île, entraînant la première de plusieurs extinctions majeures d’espèces au début du XVIᵉ siècle…

 

La brutalité n’a cessé depuis lors de se répéter, provoquant, pillage après pillage, de nombreuses crises, se manifestant aujourd’hui par les biais d'un régime de ploutocrates (du grec ploutos : dieu de la richesse et kratos : pouvoir), où le pouvoir est accaparé par les plus riches et exercé de manière autoritaire, imposant la loi du plus fort — menaçant l’existence de la démocratie (du grec dêmos : peuple et kratos : pouvoir).

 

Le président de la première puissance ne peut être plus clair. Voici ce qu’il écrit sur son réseau (c’est lui qui utilise les capitales)  : « Nous allons forger la civilisation la plus libre, la plus avancée, la plus dynamique et LA PLUS DOMINANTE qui ait jamais existé sur la surface de cette Terre. »

Dans le même temps, son gouvernement vient de prendre une trentaine de mesures qui mettent en péril la lutte contre le réchauffement climatique et détricotent toutes les dernières avancées environnementales...

 

 



Le récit des néolibéraux est devenu le discours dominant, avec pour effet d’étouffer l’imagination politique. Les gens sont renvoyés à ce que Spinoza appelait les « passions tristes », qui font l’affaire des dominants : « Le pouvoir a besoin de tristesse parce qu’il peut la dominer », commentait Deleuze.

 

Le problème politique est bien posé par Spinoza : comment se fait-il que les gens qui ont le pouvoir, dans n’importe quel domaine, ont besoin de nous affecter d’une manière triste, d’inspirer des passions tristes ? Lorsque Spinoza dit, dans le Traité théologico-politique, que le despote a besoin de la tristesse de ses sujets, il n’entend pas tristesse dans un sens vague, il prend tristesse au sens rigoureux qu’il a su lui donner : la tristesse, c’est l’affect en tant qu’il enveloppe la diminution de la puissance d’agir.

 

Où l’on comprend que les passions tristes, diminuant la puissance d’agir, font de celui qui en est affecté un « sujet » (au sens de sujétion) aisément malléable et soumis au pouvoir.

 

En revanche, apprendre à résister aux passions tristes, c’est apprendre à résister tout court. Ma réflexion, ces jours-ci, se porte sur ce thème. Quelle réponse face aux passions tristes ? Il faut expulser la mélancolie. Ce qui peut nous permettre de résister aux passions tristes, c'est, selon Spinoza, la joie qui, au contraire de la tristesse, augmente notre puissance d'agir : « La joie est résistance, parce qu’elle n’abandonne pas. » (Deleuze)

 

 

 

 



15/03/2025
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