Mon dernier billet sur " la montée du populisme " a suscité un certain nombre de commentaires qui apportent des compléments très intéressants à l'analyse que je proposais. Aussi je les redonne tels quels, dans l’ordre où ils sont arrivés, en remerciant les auteurs de leur contribution. J’en profite, à la suite, pour apporter de mon côté quelques précisions.
La publication de ce billet dimanche 28 octobre, le jour même de la possible arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro, raciste, homophobe, xénophobe, climatosceptique, qui regrette que la dictature militaire brésilienne ne soit pas allée plus loin en matière de répression, qui appelle à la violence et à l'extermination des démocrates, qui considère que les droits humains n'ont pas leur place — en montre la brûlante actualité.
Commentaires apportés au billet précédent La montée du populisme
fred ·
je me questionne : y a t il montée du populisme ? ou mesurons nous ici l'accélération liée au numérique ?
le nazisme s'est alimenté avant guerre sur la crise économique
pourtant, de nos jours des pays en bonne, voire très bonne santé économique (USA, Autriche, Suède ...) voient les populisme croître
comment expliquer ce phénomène ?
est-ce que le populisme, par ses côtés simplificateurs, émotionnels, rapides, parfois simplistes, parfois "fake" ... n'a pas trouvé son média idéal dans twitter ?
versus : le livre imprimé a été le vecteur de la renaissance, des lumières, du protestantisme, il a fortement contribué à leur émergence et leur développement. Pas de livre, pas de "Lumières".
pas de twitter / pas de Trump ?
pas de snapchat / pas de Bolsonaro ?
merci pour ton texte !
pierre06 ·
C'est un article passionnant. Merci. Cependant je pense que pour lutter contre ces montées des différents populisme, il n'est pas nécessaire de faire de grands textes, mais par contre, re-apprendre l'histoire du Monde, notre histoire. Les gens ont oublié, et c'est à nous de montrer aux jeunes toutes ces manipulations et atrocités. Je pense que les gens de notre époque sont capables de se révolter , mais il ne faut pas de grands textes juste leur faire utiliser les réseaux avec quelques photos et leur faire comprendre que le passé est à nouveau présent. Toutes ces personnes qui cherchent le pouvoir et l'argent sont effectivement très dangereux.
Jean Claude Serres ·
Merci Gerard pour cette analyse précise de la définition du populisme. Regarder le monde tel qu'il est n'est ni optimiste ni pessimiste mais réaliste et salutaire. Notre condition sociale et le devenir de la société occidentale touchent au tragique. Macron lors de la campagne électorale a fait un discours aux armées qui m'a beaucoup touché. Nous sommes ré-entrés dans la grande histoire ! En parlant de l'histoire européenne. Cela m'a donné à penser que la construction européenne n'est pas finie qu'elle va rebondir sur un périmètre beaucoup plus restreint. Des annexions comme la Crimée ou sous d'autres formes sont toujours possibles pour la Pologne, la Hongrie et d'autres. Les frontières ne sont pas figées dans le marbre. Menaces ou opportunités, cela est de la responsabilité de chaque nation.
Nous confondons l'idéal démocratique qui est une vertu et sa déclinaison politique qui a été pertinente mais qui ne l'est plus. Face aux multiples castatrophes-métamorphoses interdépendantes que sont le climat, les flux migratoires, la transformation numérique, les transformations familiales, nos modes de gouvernances ne sont plus adaptés et trop peu agiles. Toutes ces transformations sociétales génèrent les peurs, le repli identitaire et la montée des populismes comme des systèmes religieux (témoins de Jéhovah..., transhumanisme, télévangélisme en Amérique du sud...
Du pire peut naître le meilleur mais sans doute pas pour tous. Aux catastrophes humanitaires liées au climat s'ajouteront d'autres types comme l'écroulement de mégapoles dépourvues de résilience alimentaire etc...
Paradoxalement nous pouvons vivre le tragique sereinement en étant concerné mais pas complice, inscrit dans un chemin spirituel ou au contraire inconscient... à chacun son chemin.
Pierre-Marie DUGAS ·
Merci Gérard de cette excellente synthèse, que je partage en tous points.
J’y ajouterais une précision et un complément.
Une précision, qui porte sur ton paragraphe 1 de ta première partie. La pierre de touche qui permet de repérer la dangerosité d’un régime, fut-il arrivé au pouvoir par les urnes est, nous dis-tu, la manière dont ils « manipulent les institutions indépendantes ». C’est un point central. Mais je le précise : ces institutions, ce sont bien entendu les institutions démocratiquement élues, Parlement, etc. Mais celles-ci, surtout si elles ont été élues dans la foulée de l’élection qui a créé le pouvoir central, peuvent être « godillots » – nous le voyons hélas en France depuis des années. Aussi faut-il élargir l’examen à toutes les autres collectivités, et s’apercevoir qu’elles aussi peuvent être plus ou moins dans les mains du pouvoir d’État qui leur attribue une partie de leurs moyens de vivre. L’examen essentiel devra donc porter sur le comportement du pouvoir à l’égard de l’ensemble de la société civile, c’est-à-dire de l’ensemble des corps intermédiaires qui structurent la population de manière informelle, les associations de tous types et les organisations syndicales.
À cet égard – c’est le complément que je voulais apporter – nous connaissons de graves dérives depuis des années, dérives que l’actuel pouvoir accentue dangereusement : mépris des organisations syndicales, étouffement de la vie associative et notamment de l’éducation populaire. Un populisme qui ne dit pas son nom, conduit par une petite partie de la population, celle qui détient les principaux leviers économiques et administratifs et qui se considère comme étant le peuple à elle toute seule, étouffe progressivement toute alternative démocratique – TINA, there is no alternative – tout en délivrant des miettes au peuple réel pour qu’il se taise.
Nous sommes en situation analogue à celle des années 1780, à la différence que les manants d’autrefois sont aujourd’hui des bac+2 ou bac 3. Quand se produira l’ébranlement, je ne sais, mais je sais qu’il se produira. Avec le risque que le nouveau pouvoir reproduise le modèle de ce qu’il aura connu, c'est-à-dire l’étouffement des corps intermédiaires, un TINA inversé.
C’est pourquoi il est important, en même temps que nous dénonçons la folie de ceux qui nous emmènent dans le mur, le mur écologique et le mur social, d’affirmer les droits égaux de tous les hommes et l’importance des corps intermédiaires qui structurent à son initiative la société civile
Crijob ·
Mon hypothèse sur la montée du populisme pourrait être l'équation suivante (on pourrait : rajouter d'autres facteurs mais j'écris depuis mon smartphone)
accroissement des écarts de revenus (les élites économiques s'enrichissent de façon exponentielle alors que la masse voit ses revenus stagner ou au mieux croître légèrement de façon linéaire) x crainte de l'avenir (chômage déclassement social fin de l'état providence) x abrutissement des masses (peu d'offre culturelle de qualité) x internet qui permet à la masse de contempler la vie des élites désir mimétique insatisfait et donc source de frustration x confiscation de la vie politique par l'élite (pas vraiment besoin de travailler pour vivre et donc à du temps libre pour la politique ) = populisme
On pourrait rajouter à cette équation l'embourgeoisement des partis de gauche.
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Suite à tous ces commentaires pertinents, dont je remercie encore une fois les auteurs pour leur contribution, je souhaite de mon côté apporter quelques compléments à mon texte précédent :
1) Lorsque j'évoquais la pratique établie des populistes consistant à "manipuler — à fin de les rendre inopérantes — les institutions indépendantes garantissant la séparation des pouvoirs ou l’exercice des libertés individuelles", je pensais aux institutions non élues que la démocratie se donne comme garde-fous institutionnels : tels, en France, le Conseil constitutionnel ou, aux États-Unis, avec des modalités différentes, la Cour suprême. Ces institutions ont pour charge notamment de contrôler la conformité de la loi à la Constitution. Les populistes arrivés au pouvoir ciblent généralement très vite ce type d'institutions pour les neutraliser. Ainsi en Hongrie, Orban, une fois installé, entreprit-il de nommer des partisans fidèles parmi les juges de la Cour constitutionnelle nationale. Idem en Pologne avec Kaczynski, qui modifia les règles de nomination des juges du Tribunal constitutionnel pour y placer des affidés. [La Cour de justice de l'Union européenne vient de lui demander de suspendre 'immédiatement' sa réforme]. Idem récemment avec Trump, qui a réussi à faire passer Brett Kavanaugh, son candidat pourtant discrédité, à la Cour suprême. Bolsonaro, s'il parvient au pouvoir au Brésil, a déjà prévu de neutraliser le Tribunal suprême fédéral pour qu'il ne fasse pas obstacle.
Pierre-Marie a raison de mentionner en outre parmi les institutions indépendantes susceptibles d'être manipulées le Parlement, ou les organisations syndicales, associations… on pourrait ajouter les ONG etc, qui représentent les idées et les intérêts de larges fractions de la population, souvent non reconnues par les populistes comme appartenant au peuple-vrai : auquel cas elles seront neutralisées ; au contraire soutenues, si idées et intérêts conformes. En fait, c'est tout le système démocratique qui est faussé.
2) Concernant les facteurs qui peuvent expliquer la montée du populisme, Christophe (Crijob) en liste avec raison un certain nombre, mais plus que la multiplicité, c’est leurs interrelations qui rendent l’analyse complexe, au sens propre. Le père de Christophe, parti il y a maintenant 14 mois, qui intervenait souvent sur ce blog et usait volontiers de la pensée complexe, nous aurait éclairé sur ce point. Jean-Claude, de son côté, usant de la même approche, invite à mettre ces facteurs en relation avec les multiples catastrophes-métamorphoses interdépendantes que sont le climat, les flux migratoires, la transformation numérique etc. De fait, nos modes de gouvernance n’intègrent pas cela, ils ne sont plus adaptés : ils sont « trop peu agiles » : c’est dit avec justesse.
3) Autre sujet passionnant évoqué par Fred, l’influence des réseaux sociaux dans la montée du populisme. Ma première réaction était de me dire : mais le réseau, ce n’est après tout qu’un outil. Avec ma binette (outil !) je peux biner mon jardin, mais aussi attaquer mon voisin à cause de sa binette (visage, figure !) qui ne me revient pas — l’outil est neutre. Soit, mais c’est plus complexe. Le sujet mériterait d’être repris pour lui seul.
La question posée, c’est celle de notre société modelée pour aller vite, à la fois grâce à la technique, qui permet d’aller vite, et à cause d’elle, qui fait de nous des gens pressés, rapides, qui pensent vite, qui agissent et réfléchissent après etc. Autre chose : on ne sait plus très bien faire la part de ce qui est réel et de ce qui est virtuel etc. Tout ceci fait le terreau du populisme, qui ne s’embarrasse pas de nuances, et joue du réel, des fake etc. Les réseaux cependant peuvent tout aussi bien servir de support pour contrer le populisme — ne serait-ce que parce qu’ils ne sont pas contrôlables par le pouvoir comme le sont des médias imprimés ou une télévision traditionnelle. Ces dernières années, ce sont les populistes qui ont fait l’usage le plus efficace des nouvelles technologies, dans le but de saper les fondements de la démocratie. Mais rien n’est jamais acquis définitivement concernant l’usage d'une technologie.
À propos de réseaux : certains rêvent d’une agora virtuelle pour remplacer l’agora physique d’Athènes. C’est vrai qu’à Athènes on pouvait réunir physiquement sur l’agora les 2000 à 3000 citoyens qui composaient le peuple — et débattre à ciel ouvert. Mais enfin, tous les habitants n’étaient pas réunis : ni les femmes, ni les métèques n’étaient convoqués. Et les débats étaient dirigés. Bref, il y a une belle distance entre un débat sur l’agora, où prenaient la parole des orateurs, et les arguments bruts de fonderie échangés à la va-vite sur FB ou tweeter (en 140 caractères).
4) Enfin, concernant la mémoire, je crois aussi comme Pierre que c’est un puissant antidote contre le populisme. La mémoire de ce qu’a été le nazisme devrait détourner de toute appétence pour l’aventure populiste — comme étant du possible puisque déjà réalisé dans les années 1930-1940 sous les couleurs du populisme.
Joachim Rønneberg est mort dimanche dernier 21 octobre, à 99 ans. Ce nom ne vous dit rien ? C’est celui d’un résistant norvégien qui avait dirigé un groupe composé de neuf hommes qui sabotèrent dans la nuit du 27 au 28 février 1943 une usine norvégienne produisant de l'eau lourde, portant un coup d'arrêt au programme de recherches nucléaires de l'Allemagne nazie. Très discret, ne se mettant jamais en avant, il déclara en 2015 :
« C'est important que nous sachions tous ce qui s'est passé pour ensuite parvenir à faire de meilleurs choix... Ceux qui grandissent aujourd'hui doivent comprendre que nous devons toujours être prêts à lutter pour la paix et la liberté ».