La vie en douce
Comment vivre face à la dureté des temps, les incertitudes et les peurs, le sentiment d’être enfermé sur soi, éloigné des autres, soumis aux aléas sans fin du virus ? Avec cela devoir subir l’étroite surveillance de l’État qui décide pour nous de ce qu’on peut faire, ne pas faire, à quelles conditions... De quoi perdre nos repères personnels.
Je voulais écrire quelques mots à propos, et voilà que me revient le souvenir d’un voyage au Japon, c’était il y a quelques années. J’ai été très frappé par la prégnance des rituels, inspirés de la tradition ancienne, qui régissent aujourd'hui encore les gestes les plus courants de la vie quotidienne, se saluer par exemple : pas question de se serrer la main ou de se toucher, les gens usent de courbettes très codifiées, les hommes inclinent le buste en joignant les mains, les femmes en croisant les bras sur leur poitrine, le degré d’inclinaison étant fonction du rapport hiérarchique entre les personnes qui se rencontrent. Ainsi de multiples gestes qui sont comme autant de rituels toujours actifs.
Parmi ces gestes très codifiés dans la tradition ancienne, il y avait tout ce qui concerne l’écriture, plus exactement la calligraphie. Selon la nature du texte à écrire, les calligraphes utilisaient tel ou tel papier, telle ou telle plume ou pinceau, telle ou telle encre… qui s’accordait au mieux avec la tonalité du message à transmettre.
Imaginons, dans l’esprit d’une telle tradition... quel papier, quelle plume pour parler de la dureté des temps ? On pourrait penser à un papier solide, qui ne se déchirerait pas facilement, tel un parchemin, et pour écrire une plume métallique qui accroche bien, avec une encre ferrique. À la réflexion, je préférerais une plume de verre, dont la pointe, gravée de fines rainures, s’utilise avec du papier vergé — un papier dont les vergeures (fils de laiton, très serrés et parallèles, dont l'ensemble constitue une sorte de toile métallique destinée à retenir la pâte, dans la fabrication du papier à la main) forment des aspérités ténues. Au toucher, ce papier a la chaleur du fait main, il en émane une certaine douceur.
« Douceur » : voilà le mot approprié. La vie est dure, dit-on. Ce n’est pas la vie, ce sont les temps qui sont durs. La vie, elle, est création, réinvention toujours renouvelée, elle trouvera son chemin lentement, sûrement, face à la dureté des temps, à l’image de ce lierre qu’évoque René Char : « J’ai, captif, épousé le ralenti du lierre à l’assaut de la pierre de l’éternité » — autre expression de la douceur propre à la force de la vie. Opposons à la dureté des temps la vie en douce, tenace, qui poursuit son chemin, au ralenti, comme le lierre. Noël ne sera pas comme les autres ? Nous ne pourrons tous nous réunir ? Il faudra user de multiples précautions ? Subir de multiples restrictions ? N’est-ce pas l’occasion, puisqu’on ne rentre plus dans les cadres habituels, de repenser en douceur le sens des choses, et réinventer une manière originale, simplifiée sans doute, de vivre les fêtes ?
Bonnes nouvelles fêtes !
J’ai, captif, épousé le ralenti du lierre à l’assaut de la pierre de l’éternité
René Char
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