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Le Cid de Corneille



C'est toujours un bonheur de revoir une pièce du répertoire classique, quand bien même celle-ci n'est pas jouée classiquement, soit par une jeune compagnie qui tente d'allier modernité et classicisme, soit par une troupe de comédiens qui osent résolument une nouvelle approche. 

 

Je réalise que la même expression est employée : on "monte" une pièce comme on "monte" un diamant.

 

Le diamant (dont le nom signifie en grec "indomptable"), c'est le texte :  de Corneille,  Racine... toujours aussi pur, fascinant, scintillant, il reste identique à lui-même;  la mise en scène : classique, convenue, audacieuse... toujours réinventée, elle a pour fonction de mettre en valeur le texte, comme la monture le diamant.

 

J'ai vu récemment un Cid assez étonnant où le flamenco et le bruit des pas rythmés sur les planches se mêlent à la musicalité des alexandrins, offrant une lecture non conformiste du texte, que n'aurait peut-être pas désavouée Corneille lui-même.

 

Car Corneille, et voilà de ce que je redécouvre, était loin d'être un conformiste en matière d'esthétique théâtrale. Le Cid, pour commencer, n'était pas annoncé comme une "tragédie", mais comme une "tragi-comédie".

 

Le sujet (tiré d'une comédie espagnole Les Enfances du Cid de Guilhem de Castro) nous est connu à travers nos souvenirs scolaires. Pour venger l'honneur de son père, Rodrigue est obligé de tuer le père de celle dont il est amoureux, Chimène. Au dilemme de Rodrigue [se venger, c'est perdre Chimène; ne pas se venger, c'est perdre l'honneur, et donc aussi perdre Chimène : Réduit au triste choix ou de trahir ma flamme / Ou de vivre en infâme / Des deux côtés mon mal est infini...] répond le dilemme de Chimène [aimer, c'est s'oublier ; haïr, c'est oublier l'honneur de Rodrigue : Ma passion s'oppose à mon ressentiment / Dedans mon ennemi je trouve mon amant...].  Ces dilemmes (cornéliens !) sont tragiques, et pourtant le tout finira dans une espèce de farce où l'on verra le roi, ridicule, et pourtant porteur de l'autorité [no comments], mettre fin à l'impasse.

 

La pièce, créée en 1637, fut fort critiquée par les théoriciens du théâtre, parce que les règles de la tragédie [règle de la vraisemblance, règle des trois unités, règle de la séparation des genres] n'étaient pas respectées.

 

Elle fut en revanche accueillie avec enthousiasme par le public [En vain contre le Cid un ministre se ligue, Tout Paris pour Chimène a les yeux de Rodrigue (Boileau)], peu soucieux des règles, mais pour qui ça fonctionnait : il  trouvait en Rodrigue un héros humain, manifestant une grandeur et un courage méritant d'autant plus l'admiration, que loin de se conformer au personnage traditionnel submergé par le destin, il est maître de lui-même : le véritable souverain.  

 

Le diamant jette encore tous ses feux. La langue est sûre, énergique, éclatante. Qui ne se prend à doubler à part soi les comédiens : O rage ! ô désespoir ! ô vieillesse ennemie ! N'ai-je donc tant vécu que pour cette infâmie ? [...] ou encore : Rodrigue, as-tu du coeur ? / - Tout autre que mon père l'éprouverait sur l'heure [...] ou la fameuse tirade : Nous partîmes cinq cents ; mais par un prompt renfort / Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port, / Tant, à nous voir marcher avec un tel visage, / Les plus épouvantés reprenaient de courage [...] etc. 


La monture, habillée de rythmes endiablés, danses sévillanes, claquettes effrénées... apporte une forte expression visuelle et sonore aux sentiments dans lesquels la conscience du héros se débat. L'action s'en trouve fortifiée, de même que le texte ainsi serti.


Tragédie et comédie : le pari de Corneille n'a rien perdu de son actualité, contre les tenants, toujours actuels, de la pensée conforme.

 




05/06/2009
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